Marjorie et Harriet sont deux femmes complètement différentes. La première n'a aucun respect pour les règles établies. Elle profite d'une technologie très avancée, qui lui permet de voyager à travers les couloirs du temps, pour remonter le cours de celui-ci ou faire un saut dans le futur, afin d'y commettre des larcins tout genre. Nous la retrouvons par exemple dès le premier épisode dans l'Égypte antique, lors des funérailles du pharaon Ramsès II; il faut dire que celui-ci est enterré avec l'intégralité de son patrimoine, c'est-à-dire des diamants, des amulettes sacrées, des pierres précieuses… de quoi éveiller la convoitise de notre voleuse professionnelle. "Harri" est quant à elle membre des forces de la police temporelle qui veille au grain. Elle est censée mettre la main sur tous les criminels temporels, ceux qui sèment la zizanie dans le passé ou le futur et à cause de qui des interventions de réécriture de l'histoire sont nécessaires. Deux femmes très différentes donc, mais qui pourtant sont liées par le sang : elles sont sœurs ! Garth Ennis a mis la main sur un concept assez réjouissant, celui de faire des bonds de la préhistoire au futur de science-fiction que nous pouvons imaginer aujourd'hui, d'y générer le désordre, le chaos, de rencontrer des personnes célèbres, de modifier le cours d'événements qui ont marqué leur époque, le tout avec un humour sarcastique et décapant qui est un peu sa marque de fabrique, sans oublier (bien sûr) une bonne dose de vulgarité. Un détour par la présidence de Trump et l'assaut du Capitole ne manquera pas au menu, histoire de bien clarifier les positions politiques d'un scénariste qui mouille la chemise. Certaines remarques risquent de faire tomber de leur chaise les lecteurs les plus puritains. Le récit n'est pas seulement celui d'une chasse à l'homme (ou plutôt à la femme) qui concerne les deux frangines, il s'agit aussi d'un complot ourdi par un certain Seigneur du mal. Le type s'est associé à un ancien petit ami (cornu et en slip) de Marjorie, et il a l'ambition de mettre la main sur les originaux des textes sacrés, sur tous ces récits qui ont été dissimulés ou censurés avec le temps, et qui prouve que toutes les grandes figures religieuses ne sont que des hypocrites, que toutes les croyances qui se sont répandues au fil des siècles sont basées sur des mensonges grossiers.
Plus on avance dans l'histoire, plus on se rend compte que ce qui importe au scénariste Garth Ennis, c'est davantage une critique acerbe et complètement déjanté du fait religieux plutôt que les aventures de Marjorie Finnegan à travers le temps. Le plan du Seigneur du Mal permet d'ailleurs de démasquer tous les bigots, quelle que soit leur confession, de faire en sorte que chacun peut s'apercevoir qu'ils sont en fait des illuminés ou de grands naïfs prêts à gober n'importe quel texte sacré, qui ne repose sur aucun fondement solide ou crédible. Le personnage de Harriet, c'est-à-dire la sœur de Marjorie, évolue également beaucoup : de super flic inflexible elle va finir par se retrouver elle-même impliquée dans ce qui est un complot, et donc être entraînée par la nécessité de passer de l'autre côté de la loi, en aidant une frangine habituée à jouer les rebelles. Pour compléter cette histoire complètement dingue, ajoutons un autre personnages important, à savoir une simple tête, conservée dans une sorte de bocal, qui est un peu l'aide de camp de Marjorie, et donc les origines sont révélées dans l'avant dernier acte. Au dessin, nous retrouvons Goran Sudzuka, que nous avions déjà beaucoup apprécié dans le récent A walk through hell. ce n'est pas un hasard s'il fait équipe de manière stable avec Ennis. Son trait en apparence direct et sans fioriture, sa manière ultra accessible de mettre en page les idées de son compère scénariste ne sont pas sans rappeler ce que faisait le regretté Steve Dillon. Si ce dernier était tout de même un peu plus caricatural et Sudzuka se révèle plus appliqué et esthétiquement canonique, l'ensemble fonctionne un peu de la même manière, c'est-à-dire grâce à un style qui a comme qualité de servir à merveille la dérision du scénario, de le dédramatiser et de le rendre extrêmement caustique. Une vision ultraréaliste des idées d'Ennis pourraient par exemple faire perdre beaucoup de son effet comique. Ici, la synthèse fonctionne et pour peu qu'on aime les bandes dessinées truffées de dialogues saugrenus ou franchement outranciers, toutes les conditions sont réunies pour dévorer ces huit épisodes d'une traite et sans jamais s'ennuyer. Signalons pour terminer que Black River édite un autre album publié en VO chez AWA Upshot Studios, une maison d'édition récente dont le catalogue est aussi fourni qu'hétéroclite. Vous devriez vraiment vous pencher sur leur cas.
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