1949 : DUSTIN WEAVER ASSURE LE SPECTACLE CHEZ DELCOURT


Certains albums vous prennent par surprise pour leur audace formelle et leur manière de vous saisir au collet. 1949, signé Dustin Weaver, est de ceux-là. Le récit, qui conjugue roman noir, science-fiction, horreur latente et une sacrée virtuosité graphique, s’impose comme l’une des créations les plus intrigantes de ces dernières années. Weaver, qu’on connaissait surtout pour ses travaux dans l’univers Marvel (S.H.I.E.L.D., Avengers, les X-Men), y déploie une liberté et une ampleur qui le font clairement passer dans la division supérieure (encore qu'on a toujours été fans du bonhomme, pour notre part). L’histoire se déroule, du moins au départ, dans le New York de l’après-guerre. L’inspectrice Blank enquête sur une série de meurtres particulièrement atroces. Belle, sudaméricaine, déterminée, elle évolue dans un commissariat où, étrangement, personne ne remet en cause sa légitimité. Ce n'est pas un détail, vu la date et le contexte. Tout paraît trop lisse, trop bienveillant pour être vrai. Et justement : ça ne l’est pas tout à fait. Car lorsque Blank s’endort, elle se réveille deux siècles plus tard. Dans cet avenir saturé de bleu électrique et de machines baroques, elle s’appelle Sebastiana, et elle n’est plus totalement humaine. C’est une androïde, employée du « Department of Historical Investigations », une agence chargée de résoudre les crimes du passé. C’est là que Weaver abat sa carte maîtresse : chaque époque a son esthétique, son langage visuel. Le monde de 1949, traité dans un noir et blanc dense et riche en contraste, s’inspire ouvertement de Howard Chaykin : silhouettes élégantes, érotisme à peine caché, graphismes anguleux, de l'encre et des néons. Weaver y ressuscite la tradition et la tension moite du polar classique, et ça marche fichtrement bien !



Puis, à chaque bascule vers le futur, le dessin change radicalement : la ligne devient claire, l’espace s’ouvre, les couleurs explosent. On entre dans le territoire de Moebius, plus précisément L’Incal,  et on y croise des véhicules improbables, des cités suspendues et des androïdes mélancoliques. Cette alternance entre deux univers (l’un étouffant, l’autre vertigineux) structure tout l’album. Weaver en fait un ballet graphique, un jeu de miroirs où le lecteur passe sans cesse de la réalité au rêve, de la chair au métal, du présent au souvenir. Le téléphone, motif récurrent, devient le signal de cet exercice mental, où l'enjeu principal est de pouvoir communiquer entre passé et futur, entre Sebastiana et Blank, de manière à préserver le souvenir des indices et de l'enquête, afin de la faire aboutir avant qu'il n'y ait trop de victimes à dénombrer. Mais 1949 n’est pas seulement une prouesse visuelle : c’est aussi une réflexion sur l’identité, la mémoire et le rôle de la fiction. Qui est vraiment Blank, donc ? Une policière en quête de vérité ou une machine programmée pour se comporter comme un être humain ? Weaver brouille les pistes et finit par tout fusionner dans un final aussi inattendu qu’émouvant. Le dernier chapitre opère une jonction parfaite entre les deux mondes, comme si le rêve avait fini par absorber la réalité. Même s'il faut le reconnaître, c'est aussi frustrant car trop bref, impromptu. On aurait souhaité passer quelques épisodes de plus dans cet univers double et riche, que l'on quitte tout à coup sans avoir pris la pleine mesure de ce qu'on a lu. Cet album est un peu un hommage vibrant aux maîtres du neuvième art, un dialogue entre les époques, une plongée dans le subconscient de la bande dessinée elle-même. Initialement paru sous forme de trois numéros mensuels d'une anthologie de science-fiction réalisée par Weaver chez Image Comics (Paklis), 1949 a pourtant tout pour être adapté au format d'un graphic novel trois fois plus long. L'artiste épate, allez feuilleter l'album pour vous en convaincre.



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