
En 1986, tandis que Frank Miller redéfinissait le mythe du justicier urbain avec The Dark Knight Returns, un autre héros sans cape, ni gloire, ni morale commençait à faire parler la poudre du côté de Marvel. Ce croisé psychorigide, c’est Frank Castle, alias le Punisher. Un vétéran du Vietnam qui, après avoir vu sa famille exécutée dans un parc new-yorkais, décide de consacrer le reste de sa vie à la guerre, littéralement. Pas de superpouvoirs, pas de credo humaniste, juste une méthode : éliminer le crime un chargeur après l’autre, sans la moindre once de pitié. Une punition quotidienne. La première série régulière du Punisher fut un tel succès qu’elle entraîna rapidement une prolifération de spin-offs. L’un d’eux, War Journal, reste aujourd’hui le plus marquant, non seulement pour ses histoires plus ancrées dans la psyché de Castle, mais aussi parce qu’il révéla au monde un jeune prodige : Jim Lee. Sous la houlette de Carl Potts, l’ancien responsable éditorial devenu scénariste, le tandem livra une chronique de guerre urbaine au ton froid et clinique, où chaque page vibrait comme un rapport de mission rédigé à la première personne du carnage. Le fameux journal de bord du Punisher, en somme. Potts fit du Punisher un personnage presque introspectif, hanté par ses souvenirs du Vietnam et sa soif de vengeance. Le titre War Journal n’est donc pas un effet de style : c’est réellement le journal de bord d’un homme en croisade, où chaque ligne correspond à un mort de plus, à une cible rayée de la carte. Dans les premiers épisodes, Frank revisite la journée maudite de Central Park, croise Matt Murdock venu lui rappeler qu’il existe encore une frontière entre justice et meurtre (frontière que Castle a depuis longtemps franchie), et retrouve d’anciens compagnons d’armes devenus trafiquants ou mercenaires. Le tout dans un enchevêtrement de missions où se mêlent corruption militaire, opérations secrètes et gadgets high-tech fournis par Microchip, son partenaire de l'époque, génie informatique tragique.

Jim Lee, encore au début de sa carrière, est pourtant déjà le genre d'artiste qui vous saisit par la gorge dès les premières pages : des silhouettes tendues, héroïques jusqu’à la démesure, des visages ciselés ou burinés dans la rage, des compositions qui transforment la violence en ballet. Le visage de Frank Castle, carré comme un obus, porte cette même expression de fatigue et de haine rentrée qui correspond parfaitement au caractère inflexible et obsédant qui anime l'anti-héros inconsolable. On sent qu’il pourrait chuter, être éliminé à chaque page, et c’est ce fragile équilibre entre puissance et autodestruction qui rend la série si touchante. La force du Punisher de Potts et Lee, c’est sa crédibilité brute. On y croit. On entend presque le métal du chargeur glisser dans la chambre. La violence n’est pas gratuite : elle est organique, méthodique, froide comme le regard de son auteur. Potts réussit là où beaucoup ont échoué après lui, c'est-à-dire à rendre le Punisher humain, sans jamais l’excuser. En comparaison, nombre d’itérations ultérieures (jusqu’aux relectures de Garth Ennis, pourtant brillantes mais beaucoup plus grandguignolesques) paraissent s’être égarées dans la caricature ou le sadisme vide de sens. Un signe des temps, probablement. Punisher War Journal témoigne d’une époque où Marvel osait encore traiter un antihéros sans le désamorcer par le cynisme ou l’humour forcé. C’est une série dure, presque ascétique, qui respire la poudre et la solitude. Avec des morceaux d'anthologie, épisodes inoubliables comme ceux de la Jungle Saga avec Wolverine, ou des invités de marque, comme Black Widow, ou Fatalis. Un carnage annoté et commenté par celui qui ne baisse jamais les yeux. Chroniques de la consécration d'un justicier tragique. 45 euros pour 504 pages sans concession.
Sortie cette semaine chez Panini
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