DEATHBRINGER : LA DARK FANTASY ULTRA SOIGNÉE D'ISMAEL LEGRAND


 En ouvrant Deathbringer, on comprend très vite qu’Ismaël Legrand n’a pas l’intention de faire ses premiers pas en douceur. Il arrive avec un noir et blanc massif, presque minéral, qui engloutit la lumière et transforme chaque case en uppercut glacial. En 2025, rares sont les albums qui s’imposent visuellement dès la première page ; celui-ci le fait avec la brutalité d’un marteau d’inquisiteur. Ombres lourdes, matières granuleuses, silhouettes ravinées comme des stèles funéraires : le dessin n’illustre pas, il sanctifie, ou maudit. On est d'ailleurs frappé que Delcourt ait investi sur ce genre de récit (et d'ouvrage, avec un élégant dos toilé). Un pari (presque) fou, qui est loin d'être gagné d'avance, tant la radicalité va être de mise, dans la forme et en partie sur le fond. Legrand situe son récit dans un Moyen Âge rongé par ce qui dépasse l’entendement humain : sorcelleries clandestines, rites archaïques, religions vacillantes, morts qui ne le sont pas forcément. Au cœur de ce monde qui se délite, deux trajectoires s’approchent sans se connaître. D’un côté, un guerrier (Greyd Uth Kalandar) taillé dans la fatigue et la culpabilité ; de l’autre, une jeune femme enrôlée par l’inquisition, dont les pouvoirs troublent autant qu’ils effraient. Leur rencontre n’a rien de romantique : elle relève plutôt du destin qui grince et des dieux qui s’ennuient. Comme quoi, on peut être considérée comme une sorcière mais collaborer avec ceux qui dressent les bûchers, quand les circonstances s'y prêtent. L'hypocrisie, encore et toujours. 



Sur le fond, Legrand joue avec les codes de la dark fantasy comme on peut désamorcer une bombe : il y a du respect, une volonté de passer par toutes les étapes, mais sans trembler. Il ne prétend pas réinventer les mythes, mais il cherche plutôt à en retrouver la racine, ce mélange de sacré perverti et de peur primitive. Le rythme, d’ailleurs, s’en ressent : lent, posé, presque méditatif, comme une procession qui avancerait parmi les ruines. Parfois, c'est un peu confus, on craint d'y perdre son latin. Reste que si Deathbringer se distingue vraiment, c’est dans sa façon de faire du noir et blanc un organisme vivant. Les compositions empruntent parfois au cinéma expressionniste, parfois à la gravure gothique. Les corps semblent sculptés à même la pénombre. Les éclats de lumière, rares, deviennent des révélations presque mystiques. On pourrait croire à une démonstration technique, mais ce n’est jamais gratuit : l’esthétique porte l’émotion, la violence, la foi brisée. Gustave Doré s'est lancé dans le neuvième art, on va en voir de belles ! Certains lecteurs jugeront peut-être le scénario trop fidèle aux canons du genre. Soit. Mais cette “fidélité” devient une force : elle permet au dessin d’occuper pleinement le terrain. La mise en page respire la maîtrise, parfois même la démesure, et transforme ce roman graphique en expérience sensorielle plus qu’en récit linéaire. Avec quelques scènes érotiques qu'il ne faudra pas laisser entre toutes les mains, et qui font de Deathbringer un album qu'il ne convient pas d'offrir au petit neveu en cinquième, qui s'est pris de passion pour la culture gothique en regardant Harry Potter. Deathbringer n’est ni un simple divertissement, ni une démonstration d’érudition graphique. C’est une plongée dans un monde où les ombres ont des choses à dire, et que toutes les oreilles ne sont pas prêtes à entendre. 



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