Le récit s’autorise tout de même quelques lenteurs, ou quelques parenthèses qui nécessitent qu'on reste attentif, sur la brèche. Par chance, tout passe avec Javier Rodriguez, qui se charge de réveiller celui qui pourrait somnoler. Son travail (dessin, encrage, couleurs, la totale en roue libre) fuse dans tous les sens : perspectives impossibles, couleurs explosives qui redéfinissent le sens même de ce qui est psychédélique, personnages stylisés, cartoonesques. C’est un parti pris total qui ne laisse pas indifférent : on adore ou on abhorre. Mais impossible de nier la cohérence entre cette esthétique hallucinée et le vertige mental de John Jones. Camp et Rodriguez choisissent de dissocier le flic et « le Martien » comme deux entités distinctes. Un choix intéressant qui permet d'ailleurs de garder la porte ouverte pour de nouvelles interprétations, d'autres niveaux de compréhension. La dualité est poussée à deux reprises jusqu'à l'utilisation de la transparence du papier : il est demandé au lecteur de placer la page devant une source de lumière pour "activer sa vision de martien" et voir l'envers des choses, ce qui n'est pas accessible à première vue. L'ennemi semble être le « le Martien blanc », qui se nourrit du chaos, sème la discorde. La face sombre (malgré la couleur) de ce que nous sommes, cette tentation de l'autodestruction qui nous pousse à nous enorgueillir du pire de nous-mêmes, plutôt que nous ouvrir à l'autre, son altérité, ses besoins. L'immigré, une religion différente, peuvent ainsi être autant de martiens, de créatures effrayantes à pourchasser, comme Camp le met en scène avec pertinence à un moment donné. On comprend alors pourquoi la mini-série, initialement prévue en six épisodes, a été prolongée jusqu’à douze : cette plongée dans les béances de l’esprit humain a trouvé son public, incroyable mais vrai ! Reste à comprendre s'il s'agit d'un effet de mode porté par une critique dithyrambique, qui risque de s'estomper quand le grand public aura sous les yeux cet album dont l'audace formelle et thématique vise bien plus loin et plus profond que le Batman Absolute de Snyder. Nous vivons une époque où il est si facile de céder à la peur, à l'aliénation, que cette lecture pourrait alors éveiller un écho insoupçonné chez pas mal de lecteurs. Un gros pari en passe d'être remporté avec un brio et un talent évidents. Et il y aurait encore des Cassandre pour dire que les comics sont morts, que c'est du passé ?
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