FROM HELL : QUAND ALAN MOORE ENQUETE SUR JACK L'EVENTREUR

Les vacances, c'est aussi fait pour relire de grands classiques de la bande-dessinée, comme From Hell, du célèbre Alan Moore. Comme vous le savez probablement déjà (vous avez vu le film plutôt que lu la Bd?) l'histoire est basée sur de sombres faits divers bien réels, à savoir la série d'assassinats qui a ensanglanté le quartier londonien de WhiteChapel en 1888. Moore s'empare de la chose, et ceci après avoir mené à bien une longue et minutieuse analyse des faits, qui lui a pris une grosse dizaine d'années. Il sort de ce travail de fond avec une oeuvre, une théorie, à savoir que derrière les méfaits de Jack l'Eventreur se dissimulent en réalité les agissements de William Gull, qui tenta de la sorte d'étouffer dans l'oeuf un scandale impliquant le prince héritier de la couronne britannique. Bénéficiant de l'immunité conférée par l'appartenance à une puissante loge maçonnique, Gull se permet de commettre des crimes de plus en plus atroces, jusqu'à l'inévitable conclusion. Moore ne se contente pas de simplement nous faire part de ses idées, il parvient à restituer (interpréter serait plus juste, mais c'est si vraisemblable...) l'Angleterre de la fin du XIX° siècle, l'ambiance décadente et crade qui suinte des ruelles de Londres, l'aura mystique et brumeuse qui tient la capitale sous sa chappe, avec un chef d'oeuvre de plus de 500 pages qui se révèle être exigeant à la lecture. Le dessinateur de ce monstre urbain est Eddie Campbell. Son trait est chirurgical, associe comic-book et gravure avec une technique employant l'encre de chine, les hachures, la caricature et le grotesque, mêlés de réalisme grinçant. Il s'applique à rendre les lieux, les monuments, du plus grand soin qu'il lui est possible, et inversement l'humanité mise en scène est plus floutée, ébauchée, et parfois on a l'impression qu'il exagère volontairement le coté brouillon des visages et des corps. 


Il faut bien entendu adhérer à ce climat très ombre et envoutant, qui s'éloigne beaucoup des canons classiques de la bande dessinée super-héroïque qui est habituellement notre "fond de commerce". Il y a un peu de Frank Miller dans ce dessin distordu et incisif, où les arrières plans sont glauques et importants, car constitutifs de l'ambiance générale, qui trouve les seuls moments de respirations dans la représentation des lieux publics. Moore reprend donc à son compte les théories de Stephen Knight et de la loge maçonnique, mais il insuffle énormément de sa vision propre, fruits de ses reflexions et conjectures. Il parvient même à faire se croiser la narration des faits, avec l'histoire du célèbre "Elephant Man", grâce à l'hôpital de WhiteChapel, où John Merrick a été soigné plusieurs années. Les rues désertes et désolantes, la ville sale et infectée de noirceur, sont tout autant d'autres personnages qui finissent par naître et vivre d'une existence propre, au fil des nombreuses pages de ce From Hell. L'architecture est abordée avec méfiance et minutie, et pour Alan Moore les monuments sont autant de symboles de la méchanceté du fonds humain. Le Londres Victorien est une entité composite, où on croise des références diaboliques, ésotériques, mythologiques (Baal, Dyonisos) qui viennent télescoper ce que le genre humain a de plus trivial et de plus sordide. Trop complexe pour être lue en Vo sans une maîtrise véritable de l'anglais, cette oeuvre bénéficie heureusement d'une version française soignée et remarquable, chez Delcourt. Un pavé immense enrichi de dizaines de pages de notes, qui ne se contente pas d'offrir aux lecteurs le travail d'Alan Moore, mais nous en livre les clés les plus secrètes, pour mieux en appréhender la richesse et la pertinence. 




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