CORTO MALTESE : LA COLLECTION DES VIGNETTES PANINI (EN ITALIE)


 Vous êtes fans de Corto Maltese et du travail d'Hugo Pratt ? Bon, asseyez-vous bien sagement, voici les dernières nouvelles.

Panini et Cong s’associent (en Italie) pour proposer une collection exceptionnelle qui va probablement ravir les passionnés du célèbre navigateur explorateur. Vous pourrez revivre les grands moments du mythe, suivre Corto dans ses voyages aux quatre coins du monde, croiser ses amis comme ses ennemis, et redécouvrir tout l’univers fascinant imaginé par Hugo Pratt.

Cet album de 64 pages renferme 276 vignettes qui sont autant d'invitations au voyage :

– 72 "découpées", qui surgissent de la brume comme des silhouettes venues d’un rêve

– 36 dorées, avec une finition faussement vintage, rappelant des pièces d’or remontées du fond de la mer

– 24 veloutées, douces comme des rêves qui glissent entre les doigts.

(c'est l'argumentaire officiel, je ne suis pas responsable de ces élans poétiques et surtout commerciaux)

Et ce n’est pas tout : on y trouve aussi huit pages de bande dessinée  à compléter avec les figurines, comme au bon vieux temps de nos albums jeunesse.

Chaque pochette contient en outre l’une des 50 cartes illustrées, chacune ornée d’une aquarelle précieuse qui représente les compagnons et adversaires de Corto, les femmes qui ont croisé sa route ou encore les lieux marquants de ses aventures. Vous pourrez les glisser dans les pochettes en fin d'album, comme on conserve des souvenirs de voyage.

En feuilletant ces pages, Panini nous assure que vous retrouverez le bruit du vent, l’odeur du sel, et le souffle de l’aventure infinie de Corto Maltese…

Le Starter Pack comprend :

1 album broché de 64 pages + 6 feuillets plastiques à pochettes pour les cartes

10 sachets de 4 vignettes + 1 carte chacun

1 carte édition limitée

15 euros

L’Ecoblister contient :

5 sachets de 4 vignettes + 1 carte chacun

1 carte Limited Edition, parmi 3 modèles différents

5 euros

La boite de 50 pochettes : 50 euros

Et pour les collectionneurs les plus exigeants, Panini propose un coffret en édition limitée, produit à seulement 1 000 exemplaires numérotés : une véritable pièce de collection, aussi précieuse qu’un trésor trouvé en mer (quelle poésie !).

Le Multi-Set (exclusif Panini.it) comprend :

1 album cartonné édition limitée numérotée

1 lithographie numérotée

10 sachets de 4 vignettes + 1 carte chacun

1 boussole numérotée, clin d’œil à l’âme aventurière du légendaire marin d’Hugo Pratt.

90 euros

Lancement de l'opération le 31 octobre à l'occasion du Lucca Comics and Games. Normalement, distribution nationale déjà en cours.









Exceptionnellement, si vous êtes intéressés mais vous ne parvenez pas à vous les procurer par vous-mêmes, vous pouvez nous contacter (sauf pour la box limitée, vous devez passer par Panini.it obligatoirement). Quelques commandes sont possibles. Les prix sont ceux pratiqués en Italie + 5 euros par commande (on fait des voyages aller/retour France Italie) + frais de port Mondialrelay. 

On vous fera vite une vidéo sur l'album, que vous retrouverez sur notre page Youtube : www.youtube.com/@universcomicslemag


THE CURE : UN DOCU-BD CHEZ PETIT À PETIT POUR LA BANDE À ROBERT SMITH


 Ce n’est évidemment pas une sortie comme les autres que je vais vous présenter aujourd’hui, car The Cure n’est pas un groupe comme les autres. Avec Depeche Mode, il représente la quintessence de mes goûts musicaux, la bande-son de toute une vie commencée au milieu des années 1970. Alors, lorsque Petit à Petit décide de consacrer un docu-BD au groupe de Robert Smith, difficile de ne pas se réjouir : c’est une excellente nouvelle qu’il convenait absolument de célébrer. Le principe reste fidèle à la formule de l’éditeur : une partie en bande dessinée, retraçant les grandes étapes du groupe à travers des styles graphiques variés, où chaque artiste apporte sa propre sensibilité, et de nombreuses pages rédactionnelles qui viennent rythmer l’ensemble. L’ouvrage s’ouvre logiquement sur les débuts, en 1975, lorsque quelques amis d’enfance décident de fonder un groupe sans réellement savoir bien jouer d’un instrument. L’ascension sera progressive, portée par la personnalité de Robert Smith, un musicien aussi visionnaire qu’intransigeant. Cette exigence (ou cette obstination, selon le point de vue) explique pourquoi The Cure a toujours été une formation à géométrie variable, soumise à de multiples changements de line-up au fil des ans, même parmi ceux qui accompagnaient Smith depuis l'adolescence (Laurence Tolhurst en sait quelque chose). Le futur leader se montre intraitable d'emblée. Les brouilles, les questions d’ego, sans parler des sempiternels problèmes d’alcool et de drogue, ponctuent la vie du groupe et contribuent à ses incessantes métamorphoses. Pourtant, au cœur de ce chaos, The Cure impose un son unique : un rock sous influence punk, qui glisse peu à peu vers une mélancolie profonde, presque rageuse, une sorte de colère existentielle qui se déverse sur l’auditeur. De cette période naît une poignée d’albums absolument essentiels (Faith, Pornography, en tête de gondole) que tout mélomane averti continue de vénérer aujourd’hui encore.



Après la noirceur glacée de Pornography, The Cure éclate sous la tension. Robert Smith se retire un temps, avant de réinventer le groupe : moins désespéré, plus mélodique, mais toujours hanté. Les années 1980 voient surgir une pop étrange, dansante et triste à la fois — The Walk, The Love Cats, In Between Days — où la légèreté n’est qu’un déguisement pour la mélancolie (Close to me). La partie documentaire fait le point album par album et fournit des renseignements bienvenus, tandis que chaque étape importante est scandée justement, y compris des pauses importantes comme le mariage de Robert Smith avec Mary Poole, petite amie et âme sœur depuis le lycée. En 1989, Disintegration consacre définitivement le chanteur comme poète de l’ombre. Monument de spleen et de beauté hypnotique, l’album reste le sommet absolu du groupe. La suite sera plus inégale : Wish prolonge la magie, mais les années 1990 s’enlisent, entre changements de line-up, de label, lassitude du public qui se tourne vers d'autres genres, et perte d’inspiration. Pourtant, The Cure refuse de mourir. Porté par un public fidèle et des concerts toujours aussi intenses, le groupe connaît une véritable renaissance à l'occasion de la sortie du tout récent Songs of a lost world, autre gemme de noirceur lumineuse. Jérémy Wulc est à la baguette de cet album indispensable pour les fans (et les autres aussi), qui propose une splendide couverture de Julien Hugonnard-Bert (parmi les dessinateurs que vous découvrirez dans les pages intérieures, également). Franchement, jetez-vous dessus !


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RAT CITY TOME 1 : SPAWN EN MODE CYBERPUNK


 Avec Rat City, l’univers tentaculaire de Spawn s’offre une greffe cyberpunk au vingt-deuxième siècle. Ce diable de Todd McFarlane l'a clairement annoncé, son coffre à jouets va se remplir de nouveaux venus. Exit donc les ruelles malfamées et les monologues infernaux d’Al Simmons : place à un futur déglingué où la chair, les câbles et la culpabilité se mêlent en un nouveau monstre. Ce projet, publié chez Delcourt, a aussi la particularité historique d’introduire pour la première fois une autrice dans la galaxie Spawn : Erica Schultz, qui s’empare ici du mythe infernal avec un savant dosage d’efficacité, de clarté et de fièvre technologique. Le héros s’appelle Peter Cairn. Soldat brisé autrefois affecté à des missions peu ragoûtantes, rafistolé par la science militaire et les ambitions troubles d’une société nommée Pharmatech Solutions, il découvre que ses nouveaux membres “améliorés” ont un prix : une damnation en kit, sous forme d’armure vivante infestée de nanites. Comme souvent dans Spawn, la rédemption passe par la souffrance, mais Schultz préfère la discipline au chaos. Là où les scénarios de McFarlane avaient tendance à se complaire dans le brouillard mystique, Rat City choisit la ligne claire : peu de narration, un rythme sec, et des émotions lisibles. D'ailleurs, le héros reste humain, il ne passe pas de vie à trépas, même s'il est ici aussi manipulé sans comprendre les enjeux. Le premier épisode pose les bases avec une sobriété bienvenue : soldats mutilés, technologie invasive, corporation monstrueuse, tout le répertoire du cyberpunk est là, mais sans la complaisance visuelle habituelle. Schultz distille ses informations avec rigueur, ménage ses effets, et parvient à rendre lisible un monde saturé de codes et de gadgets numériques. La montée en tension est maîtrisée, servie par un découpage qui respire. Même si on va devoir attendre au moins une cinquantaine de pages, avant de vraiment se sentir dans une série satellite de l'univers de Spawn.



Au dessin, Zé Carlos insuffle une énergie nerveuse, presque métallique, qui évoque un Spawn sous stéroïdes futuristes. Son trait, épaulé par des couleurs saturées, déploie des jeux d’ombres et de lumières où le rouge du costume devient plus qu’une signature : c'est un danger permanent. La cape vit et agit sans ordre humain, Peter n'a pas le contrôle. Dans le troisième numéro, une séquence particulièrement marquante voit Peter se regarder dans un miroir avant de le fracasser ; les fragments de verre deviennent autant de cases éclatées, reflet de son identité pulvérisée. Ce genre d’idée graphique, à la fois simple et symbolique, est à associer au moment de folie qui l'assaille quand il se retrouve nez à nez avec l'un des scientifiques en chef de Pharmatec : des visions du Violator prennent la place des personnages que nous avons sous les yeux et viennent établir le plus évident des parallèles avec ce bon vieux Spawn que nous connaissons déjà. S’adapter ou mourir, voilà ce que répètent les autres comparses du titre, avec un second ancien soldat, Rhys, et une sorte de jeune geek un peu trop téméraire, Quinlan Wali, dont l'identité sexuelle est brouillée au point de recourir au pronom iel (j'en connais qui vont bondir de leur siège). C’est à la fois la devise des soldats et le credo de la série. Peter Cairn apprend à survivre dans un corps qui le trahit, dans un monde où l’humanité se dissout dans le silicium. Et la série elle-même s’adapte : à un lectorat nouveau, à une mythologie qui tente de se réinventer, à une envie de raconter Spawn autrement. Si le titre Rat City paraît encore un peu froid, presque générique, il dissimule une qualité qu'on ne peut pas lui nier : sous le métal et la rage, le récit est fondamentalement humain. Pour ceux qui veulent absolument recoller les morceaux et donner encore plus de sens à ce qui se produit ici (le black out, pourquoi Peter et ses prothèses deviennent une sorte de Spawn du futur) il est possible de (re)lire les épisodes 300 et 301 de Spawn, qui sont aussi très brièvement abordés dans cet album. Nouveau départ, douze épisodes d'un coup, à vous de donner une chance (ou pas) à Rat City. 


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JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM


 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’y replonge avec jubilation. Voici donc venir le dixième imposant pavé consacré aux Affaires Classées du plus inflexible des juges de Mega-City One, l’occasion rêvée de redécouvrir ces récits courts parus dans la mythique revue britannique 2000 AD. Toujours au programme : satire sociale corrosive et violence institutionnalisée dans un futur (pas si lointain ?) où l’ordre et la justice sont poussés jusqu’à la folie. Dès les premières pages, on est décoiffé par les péripéties du Midnight Surfer, qui participe à un concours de surf motorisé (formellement interdit, bien sûr) et s’apprête à enflammer la mégalopole. À peine le temps de ranger la planche qu’on tombe nez à nez avec Nosferatu, une créature extraterrestre au look de vampire-araignée, échappée d’une des lunes de Callisto. Les amateurs d’humour grinçant seront ravis : on y trouve aussi un épisode hilarant consacré à des bonbons prétendument « futés », censés rendre plus intelligents ceux qui les croquent… mais évidemment, c’est tout l’inverse. Plus inquiétant encore, un dysfonctionnement pousse une série de robots domestiques à assassiner leurs propriétaires, persuadés que la mort les rendra plus heureux. Comme toujours, le regard porté par les auteurs est acéré, mordant, et fait écho à nos propres sociétés, le tout simplement transposé dans un futur où la démesure est devenue norme absurde. Dans l’un des récits les plus marquants, un journaliste découvre que les juges diffusent un gaz tranquillisant pour prévenir toute révolte. « C’est immoral ! C’est monstrueux ! » proteste-t-on — mais Dredd tranche : c’est la loi. Tout est dit. Après tout, qu’importe d’abandonner un peu de liberté si, en échange, une main de fer nous promet la paix et la sécurité ? Le plus ironique, c’est que le désordre règne partout dans l’univers de Dredd. Il suffit de voir le retour du redoutable Mean Angel, ce psychopathe repenti qu’on relâche en pleine période de Noël, une saison décidément peu propice à la rédemption. Très vite, ses fameux « coups de boule » reprennent du service, et Dredd doit à nouveau imposer sa conception de la justice. Bref, le juge continue de faire régner la loi à coups de sarcasmes et de matraque, dans un monde où la satire n’a jamais paru aussi actuelle.




Parce que oui, ce que beaucoup ignorent lorsqu’ils ne connaissent pas l’univers du Judge Dredd, c’est que ses histoires ne se résument pas à une accumulation de clichés, de gros flingues et de science-fiction musclée. La série offre aussi une réflexion, souvent grinçante, sur ce que nous faisons de notre société et sur la direction que nous prenons. Sous ses dehors satiriques, elle explore avec acuité les dérives du pouvoir, de la technologie et du contrôle social. On y croise par exemple Tony, un participant au concours des “Fatties”, ces individus qui accumulent de la graisse jusqu’à atteindre un poids délirant. Lui est le premier homme à dépasser les deux tonnes, un record absurde qui, évidemment, lui vaut une place dans les annales de Mega-City One. Passons sur une histoire en plusieurs volets où un seigneur nippon débarque dans la mégalopole pour invoquer son samouraï personnel (à mon sens, l’un des temps faibles inévitables de l’album) pour nous concentrer sur les récits courts, bien plus percutants et pertinents. Certains abordent de front des questions essentielles, comme celle de la démocratie, à travers un groupe de rebelles rêvant d’un ordre plus juste, mais dont l’idéal finira dans le sang. Dans un autre épisode marquant, un juge découvre l’amour et se voit contraint de vivre sa relation dans la clandestinité, quitte à risquer le chantage et la disgrâce. Dans ce monde autoritaire, la passion est un crime, et un agent de la loi ne peut entretenir la moindre relation amoureuse sans être banni. On trouve aussi une perle d’humour noir racontée du point de vue d’un cafard ainsi qu’un enchaînement d’épisodes centrés sur les Gribbligs, de charmantes petites créatures qu’on rêverait d’avoir pour animaux de compagnie, si elles n’étaient pas strictement interdites. Et pour cause : elles se reproduisent à la vitesse de la lumière et font preuve d’une intelligence redoutable, capable de plonger leurs propriétaires dans de sérieux ennuis. Dans un univers aussi absurde que celui de Judge Dredd, le seul qui semble tirer son épingle du jeu est peut-être le fou, le timbré, comme le suggère l’un de ces savoureux épisodes courts où la folie devient une forme de lucidité. Le scénario est signé par le tandem John Wagner et Alan Grant, tandis que le dessin est confié à une impressionnante brochette d’artistes : Carlos Ezquerra, le créateur du personnage, Steve Dillon (bien connu des lecteurs de Marvel), mais aussi Cam Kennedy, Ron Smith, Ian Gibson, et même le maître Bryan Talbot. Ce dixième volume s’impose dignement aux côtés des neuf précédents, et ne souffre finalement que d’un seul véritable défaut : provoquer chez le lecteur une impatience spasmodique, celle d’attendre plusieurs mois avant de pouvoir mettre la main sur le onzième tome.


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SON OF ORIGINS - STAN LEE RACONTE LES SUPER-HEROS MARVEL


 En 1975, un an après le triomphe retentissant d’Origins of Marvel Comics, Stan Lee récidivait avec Son of Origins of Marvel Comics, toujours sous l’égide de Fireside Books, la branche grand public de Simon & Schuster. L’idée ? Reprendre exactement la même formule qui avait si bien fonctionné : un florilège d’histoires fondatrices, commentées par le maître en personne, entre deux clins d’œil complices et quelques envolées d’ego trip. Bref, ce qui est la recette même du succès du maître des comics modernes, avant tout meilleur publicitaire de lui-même, plus encore que scénariste génial (et ultra prolifique). Talent Editions nous a gratifié, l'an passé, du premier livre cité (lire ici). Par chance, l'éditeur récidive en 2025 et vous allez voir débarquer la suite incessamment sous peu, dans toutes les bonnes librairies. L’ouvrage, à la couverture peinte par John Romita (où la Sorcière Rouge fait une apparition aussi énigmatique qu’injustifiée), rassemble les origines de sept piliers du panthéon Marvel : les X-Men (dans leur première aventure en 1963), Iron Man, Daredevil, Nick Fury, Les Avengers (Les Vengeurs, quoi), Le Gardien et dulcis in fondo le Silver Surfer. Certains, comme Iron Man ou Daredevil, ont droit à une double ration de récits, histoire de suivre leur évolution graphique et narrative. L’ensemble dépasse les 250 pages en couleurs, soit un beau pavé de nostalgie susceptible de ravir aussi bien le lecteur chevronné que celui qui n'y connaît pas grand chose, et souhaite ardemment s'y mettre, en commençant par le commencement. Comme dans le premier tome, la véritable richesse du livre ne réside pas seulement dans les planches bigarrées mais dans les introductions signées Stan Lee. Toujours volubile, parfois cabotin, il raconte la naissance des héros avec une verve légendaire qui mêle mythologie pop et autopromotion assumée. Il dévoile, mine de rien, sa méthode : combiner des archétypes modernes, injecter de la faille dans le héros, saupoudrer d’humour, et signer d’un « Excelsior ! » qui a fait date dans la pop culture.



Son of Origins est un ouvrage qui se doit de respecter la légende dite canonique, et n'a pas vocation à creuser pour faire jaillir la vérité derrière les petites histories. Les artistes sont cités, mais rarement célébrés. Gene Colan, omniprésent dans le volume, bénéficie d’une mention spéciale, tandis que Jack Kirby, pourtant co-créateur des Avengers, des X-Men et du Silver Surfer, n’est évoqué qu’à demi-mot et surtout sans la moindre allusion à la rancune tenace qu’il nourrissait alors contre Lee. Ceux qui savent et suivent depuis cette époque bénie y verront le témoignage d’un moment précis : celui où Stan, devenu porte-parole officiel de la Maison des Idées, décida d'écrire la légende Marvel… à sa manière, selon son point de vue. Sur le plan éditorial, Son of Origins est bien un document précieux, avec les qualités et les défauts de ces livres qui osent remettre les années 1960 sur le tapis. Par exemple, les méchants asiatiques d’Iron Man arborent toujours un jaune criard qui témoigne d’un exotisme (racisme ?) daté, et les personnages féminins sont plus jolis qu'héroïques. Malgré ces réserves, le charme agit toujours. En 1975, cette anthologie offrait à des milliers de lecteurs la possibilité de (re)découvrir des récits devenus quasi introuvables. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, c'est tout aussi nécessaire et fondamental : on peut certes trouver ces récits dans bien des formats, mais les voir ainsi compilés, et commentés, a tout du cadeau irrésistible qui vous chatouille les doigts et le porte-monnaie. D'autant plus que les épisodes sont retraduits, ce qui fera plaisir à ceux qui critiquent vertement les VF bien connues. L'enthousiasme et l'exubérance des premiers pas des super-héros, sous le regard attendri et la verve loquace de leur créateur, ce n'est pas seulement une manière de parler et aimer les comics, c'est aussi, disons-le carrément, tout un pan de notre société pop moderne qui reprend vie sous nos yeux.



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M IS FOR MONSTER : TALIA DUTTON CHEZ DELCOURT


 En 2022, Talia Dutton ressuscitait le mythe de Frankenstein pour en faire un drame intime sur la reconstruction, la différence et la quête d’identité. Publié chez Surely Books (maison d’édition dédiée aux artistes LGBTQIA+), M is for Monster réinvente le célèbre récit de Mary Shelley à travers une approche plus humaine, et résolument contemporaine. Ici, la foudre ne donne pas seulement la vie : elle éclaire aussi les zones d’ombre que la société préfère ignorer. Le récit s’ouvre sur une scène familière : une scientifique exaltée, des éclairs, un corps inerte sur la table. Mais cette fois, le docteur Frankenstein s’appelle Frances Ai, dite Frankie, et la créature qu’elle tente de ramener n’est autre que sa sœur Maura, morte dans un accident de laboratoire. L’expérience est un succès… ou presque. Car la jeune fille qui se réveille n’est plus Maura ; elle choisit bientôt de s’appeler simplement M. Sans souvenirs, sans repères, M refuse de rejouer la vie de celle dont elle n’est que l’écho charnel. Frankie, de son côté, s’obstine à lui faire endosser le rôle de la sœur perdue, incapable de faire son deuil autrement que par la science. Entre ces deux femmes se tisse un lien fait d’amour, de culpabilité et de maladresse : l’histoire d’une créature qui veut exister pour elle-même, et d’une créatrice qui doit apprendre à lâcher prise. Amour toxique et mensonges au menu, bon appétit. Dutton reprend les figures archétypales de Shelley, c'est-à-dire surtout le savant démiurge et sa création en quête d’humanité, pour les transposer dans un territoire plus émotionnel que gothique. Là où Victor Frankenstein se perdait dans l’orgueil et l’isolement, Frankie avance, trébuche, mais finit par reconnaître ses erreurs. Quant à M, elle n’est pas le monstre rejeté par le monde : elle est une jeune fille en devenir, en apprentissage de soi, qui cherche à comprendre comment être « quelqu’un » dans un corps et une identité imposés. Son parcours métaphorique résonne avec les interrogations de nombreux lecteurs adolescents : comment se définir lorsque tout autour de soi prétend savoir mieux que nous qui nous sommes ?



Graphiquement, Dutton est capable à la fois de nous écorcher le cœur et les yeux, et de nous apaiser. Le trait, souple et expressif, s’appuie sur une palette restreinte de teintes turquoise, noires et blanches : quelque part entre la froideur clinique du laboratoire et la mélancolie romantique des films expressionnistes. Les coutures visibles de M deviennent un symbole double : cicatrice des attentes qu’on lui impose, mais aussi motif récurrent d’une possible reconstruction. Les éclairs, les ombres, les reflets sont autant de métaphores visuelles de la fragmentation et de la recomposition du soi. Dutton se fait virtuose quand il s'agit de dessiner la simultanéité du passé et du présent sur la même page, de traduire la confusion intérieure, ou encore faire naître des silences qui valent plus que les dialogues. M is for Monster n’est pas un récit d’horreur, mais une histoire d’apprentissage. On y parle moins de création contre nature que d’amour et rébellion contre les apparences. La question devient alors : et si le « monstre » avait été aimé ? Et s’il avait eu la chance de se choisir lui-même ? Et si Frankenstein, au lieu de fuir, avait accepté sa créature ? Sous ses airs de conte mélancolique, cette bande dessinée aborde avec délicatesse la pression des attentes familiales, la peur de ne pas correspondre, et le droit d’exister selon ses propres définitions. Talia Dutton signe un premier roman graphique d’une étonnante maturité. Delcourt nous propose cette pépite, qui en appelle d'autres.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SOLI DEO GLORIA


 Dans le 209e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Soli Deo Gloria, album que l’on doit au scénario de Jean-Christophe Deveney ainsi qu’au dessin d’Édouard Cour, un ouvrage édité chez Dupuis. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Rock’n’roll suicide que l’on doit à Louise Laborie ainsi qu’aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Ulis que l’on doit à Fabien Toulmé ainsi qu’aux éditions Delcourt


- La sortie de l’album Le paradoxe de l’abondance que l’on doit au scénario conjoint de Vincent Ravalec et Hugo Clément, au dessin de Dominique Mermoux et c’est sorti chez Dargaud


- La sortie de l’album Leave them alone, un titre signé Roger Seiter au scénario et Chris Regnault au dessin pour un album paru aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Pénis de table 2 que l’on doit à Cookie Kalkair ainsi qu’aux éditions Steinkis


- La sortie d’un beau livre aux Editions Glénat, baptisé La nef des songes, il revient sur les 35 ans de carrière d’Olivier Ledroit dans un entretien que mène Arnaud Pagès.



 
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DAKOTA 1880 : VOICI VENIR LE LUCKY LUKE D'APPOLLO ET BRÜNO




 Outre les aventures traditionnelles de celui qui tire plus vite que son ombre, on peut également découvrir Lucky Luke dans une série d’albums qui lui rendent hommage. Ces volumes, réalisés par des équipes artistiques variées, proposent à chaque fois une approche singulière et personnelle, entre respect du mythe et réinterprétation moderne, pour le plus grand plaisir des lecteurs (même si certains puristes grognent toujours). Cette fois, c’est au tour du duo composé d’Appollo et de Brüno de s’y coller, avec Dakota 1880, un album dont le titre adresse un clin d’œil appuyé à la toute première publication du cow-boy solitaire, Arizona 1880, publiée en 1947. Il s’agit d’ailleurs d’une suite spirituelle à ce premier jet : on y retrouve un Lucky Luke en début de carrière, encore sans son célèbre cheval Jolly Jumper, et dont les exploits n’ont pas déjà traversé tout le continent nord-américain. Jeune et inexpérimenté, Luke se met souvent dans des situations périlleuses : dès le premier des sept petits épisode qui se succèdent, on le découvre roué de coups par une bande de malfaiteurs, et, dans le second, pendu à une corde avant d’être sauvé in extremis par Baldwin, un jeune garçon noir. Ce dernier va ensuite accompagner notre héros à bord de la diligence qu’il conduit jusqu’en Californie. Le gamin en question n’est supposément pas un inconnu : il s’agit de Baldwin Chenier, personnage ayant réellement existé (nous assure-t-on en fin d’album avec malice), et qui aurait contribué, à sa manière, à nourrir la légende du Far West à coups de dime novels, ces romans à bon marché qui sentent la poussière et la poudre. Lucky Luke et lui nouent ici une relation d’amitié touchante, dans laquelle le jeune Baldwin apprend maladroitement à tirer, sous le regard amusé du cow-boy, qui remarque en revanche les talents précoces d’une fillette de treize ans, future tireuse d’élite capable d’atteindre n’importe quelle cible. Annie Oakley, elle, est bien un personnage historique. Car la fiction s’entrelace (comme souvent avec Lucky Luke) habilement avec la réalité : les auteurs glissent de nombreuses références au contexte de l’époque. Et au fil des pages, le mythe de Lucky Luke s’enrichit, gagne en humanité et en profondeur, tout en préparant, à petits pas, la naissance du héros légendaire que l’on connaît.




À bien y regarder, plusieurs particularités et thématiques originales se dégagent de cet album. On notera d’abord la présence marquée des femmes : la grand-mère de Baldwin et son destin inachevé, une voyageuse d’origine irlandaise qui traverse les États-Unis pour retrouver le militaire qu’elle doit épouser après une correspondance passionnée, ou encore, dans le sixième épisode intitulé Brasier, Lucie, une jeune femme de dix-neuf ans contrainte de travailler dans un saloon, où ses « talents » n’ont guère à voir avec ceux d’une simple serveuse. Lassée d’être prisonnière de sa condition, elle choisit de s’émanciper en incendiant littéralement son lieu de captivité. Lucky Luke, dans ce recueil, apparaît plus posé, plus réfléchi que jamais. Il ne fait parler la poudre (ou les poings) que lorsque la situation l’exige absolument, comme face à l’homme qui a décidé de châtier Lucie. Un parfum de désillusion flotte d’ailleurs sur ces pages, un sentiment de lendemain qui déchante. Il est même question, à un moment, du pouvoir rédempteur de la poésie. Le dernier épisode, quant à lui, évoque la façon dont la modernité finira inévitablement par supplanter l’Ouest américain traditionnel. La photographie y symbolise cette évolution imminente, prête à dévorer un monde condamné à l’oubli ou, au mieux, à la légende. Appollo (Olivier Appollodorus) réussit ainsi le tour de force de livrer une soixantaine de pages denses et équilibrées : un voyage à travers un pays à construire à la fois agité, rocambolesque et pourtant d’une étonnante simplicité. Quant à Brüno, il s’éloigne radicalement du style de Morris : son Lucky Luke épuré, ses visages faussement figés, et ces planches où la neige et les éléments s’expriment en silence, tout cela confère à l’ensemble une beauté mélancolique, profondément touchante. On remarquera d’ailleurs que Lucky Luke apparaît souvent sans bouche, comme si Brüno faisait du silence le compagnon idéal de cette traversée des grands espaces. Un album sans fanfare ni trompette mais d’une justesse rare, et d’une émotion discrète, durable.
Sortie le 31 octobre chez Lucky Comics / Dargaud



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LA TOMBE : ADAPTATION DE LA NOUVELLE DE LOVECRAFT CHEZ LES HUMANOS


 Certes, la situation n'a rien de réjouissant du côté des Humanoïdes Associés (même la branche américaine des Humanos vient d'être déclarée en cessation de paiement), mais on continue (pour le moment ?) de voir débarquer quelques nouveautés attendues en librairie, à commencer par une adaptation d'une nouvelle de Lovecraft, La Tombe. Écrite en 1917 mais publiée seulement en 1922, cette histoire marque sans doute la première véritable œuvre « adulte » de l'écrivain culte. On y sent déjà la main ferme du conteur macabre, le goût du passé qui pourrit lentement dans les recoins d’une mémoire décadente, et l’ombre des grandes thématiques qui hanteront tout son univers : la folie, la dégénérescence, l’héritage maudit et le vertige d’une identité qui s’effrite entre rêve et réalité. Le narrateur, Jervas Dudley, est un jeune homme « rêveur et visionnaire », autrement dit un doux inadapté (un branleur, presque). Comme souvent chez Lovecraft, ce marginal se réfugie dans les livres anciens, fuit les conventions de son époque et cherche la beauté dans les ruines du passé. Sa solitude devient une porte ouverte sur l’irrationnel. Un jour, il découvre un vieux mausolée, celui de la famille Hyde, dont le manoir fut jadis consumé par la foudre. Châtiment divin, murmurent les villageois, histoire de corser l'atmosphère. Dès lors, Jervas se met à rôder autour du caveau, fasciné, possédé par l’idée d’y entrer, comme si sa propre vie l’attendait à l’intérieur. Ce n’est pas un hasard si cette fascination a des allures de désir interdit : l’attirance du vivant pour la mort, de la chair pour la poussière, de l’homme pour un passé qui n’est plus le sien. Dans ce texte, l’obsession est moins un élan romantique qu’une maladie du sang. Jervas revendique même un lien imaginaire avec les Hyde, persuadé d’être l’un des leurs, réincarné ou ressuscité à travers les siècles. À mesure qu’il s’abandonne à son délire, il dort à côté de la tombe, puis finit par y pénétrer, trouvant dans le cercueil vide une place toute désignée : la sienne. Bonne nuit les petits.



Le ton reste celui d’une confession fiévreuse, classique chez Lovecraft : le narrateur parle depuis un asile, conscient que ses mots paraîtront fous. Il affirme pourtant décrire des faits réels. Ce jeu entre la démence et le surnaturel est l’une des réussites du texte. Ce que Jervas croit voir (la lumière dans le caveau, la clé providentielle, le bal spectral des Hyde ressuscités) peut être lu comme les hallucinations d’un esprit brisé, ou comme les preuves d’un héritage maudit revenu le hanter. Certains critiques ont reproché à La Tombe un excès de prose ampoulée, des phrases interminables qui donnent à l’ensemble un parfum d’archaïsme. Mais d’autres y voient justement comme un charme. La maladresse stylistique devient presque un effet de style, une manière de brouiller la frontière entre le rêve et la réalité, entre le XIXe siècle décadent et l’horreur moderne. La version en bande dessinée est écrite par Bastian D.D et parvient bien à retranscrire le ton et la prose, en opérant des choix qui assurent une transition fidèle et efficace au format dont les Humanos sont de fervents défenseurs. Le dessin est confié à Nino Cammarata et c'est une grande réussite. Aussi bien quand la mise en page est classique, sous la forme d'un gaufrier régulier, que dans les splendides pleines pages ou les vignettes qui respirent amplement, le trait est élégant, soigné, ne souffre d'aucune baisse de régime ou approximation. On peut reprocher à La Tombe de n’être qu’un canevas encore rigide, un brouillon d’idées qui écloront plus tard. Le récit est parfois trop explicite, la psychologie esquissée sans profondeur. Mais l’essentiel se prête très bien à une adaptation en bande dessinée, l'image appuyant l'aspect lugubre et macabre des propos de Lovecraft, nous séduisant par sa préciosité. C'est beau et à conseiller vivement aux fans de l'écrivain de l'horreur.



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ZORRO D'ENTRE LES MORTS DE SEAN MURPHY : LE COFFRET CHEZ URBAN COMICS


 Zorro appartient à la culture populaire, mais aussi à une époque bien différente de la nôtre, à tous points de vue. Le personnage évolue dans le Mexique de la première moitié du XIXᵉ siècle, dans un univers de combats d’agilité menés à la pointe de l’épée, où dominent les chevaux, la ruralité et le pouvoir militaire. Mais la culture populaire est un phénomène cyclique : ce qui s’éclipse finit toujours par revenir, tel un satellite en orbite. Les mêmes bases, les mêmes recettes, mais revisitées, transformées pour s’adapter à leur temps. Or, depuis quelques mois, Zorro revient justement sur le devant de la scène, sous diverses formes. Côté comics, ce renouveau est (en partie) à mettre au crédit de Sean Murphy, l’un de ces dessinateurs un peu fous dont le style explosif et immédiatement reconnaissable a marqué plusieurs productions à succès, du White Knight au très bon The Plot Holes. Murphy a eu l’intelligence de ne pas raconter une énième aventure de Zorro dans le passé, mais de transposer le concept à l’ère moderne. Dans sa version, Zorro est devenu une légende que les habitants mexicains de la région de La Vega honorent et célèbrent chaque année pendant la fête des Morts. Mais cette ferveur contraste avec la peur quotidienne : la région vit sous la coupe des cartels de la drogue, responsables, vingt ans plus tôt, de l’assassinat d’un notable local. L’homme, alors en costume de Zorro pour les festivités, fut exécuté sous les yeux de ses deux enfants par un tyran surnommé El Rojo. Ce meurtre a laissé des traces profondes. La fillette, Rosa, a tout fait pour survivre, allant jusqu’à travailler pour les cartels qu’elle hait, tout en nourrissant une vengeance impossible. Son frère, Diego (le nom n’est évidemment pas un hasard), est quant à lui devenu muet. Il vit désormais dans un château transformé en musée dédié à Zorro, auprès de son grand-père. Là, il s’entraîne inlassablement, apprend à manier l’épée, à devenir un combattant accompli… prêt, peut-être, à incarner à son tour le justicier masqué qu’il vénère.



Le Zorro de Sean Murphy n’est donc pas un personnage réel. Il ne s’agit pas d’une réincarnation magique d’une icône de la pop culture, ressuscitée grâce à un prétexte fumeux, mais plutôt d’un descendant possible du justicier originel. Le jour où il reçoit l’épée ayant appartenu au héros légendaire, il se découvre investi d’une mission : libérer les siens, devenir l’étendard de l’espoir d’un peuple, en revêtant le célèbre costume noir. Le lecteur sourira souvent devant son langage fleuri et sa fausse naïveté, surtout lorsqu’il constate que les armes de ses adversaires ont, elles, bien évolué : fini les duels à cheval, place désormais aux véhicules blindés lourdement armés ! Pourtant, ce nouveau Zorro n’en demeure pas moins redoutable. Il accomplit pleinement sa tâche : inspirer les autres, devenir la figure de proue d’une rébellion née du désespoir, pour tous ceux qui refusent de plier l’échine et décident qu’il est temps de reconquérir une part de leur liberté confisquée. Murphy signe un scénario intelligent, quoique relativement simple. En quatre épisodes, il n’a pas vraiment le loisir d’approfondir son microcosme, mais compense largement par la puissance visuelle de son trait. Car sur le plan graphique, c’est tout simplement spectaculaire. Vous voulez de l’action ? Vous allez être servis. Vous voulez des compositions dynamiques, des prouesses plastiques, des planches qui claquent dès le premier regard ? Vous en aurez pour votre argent, croyez-moi. On retrouve le style nerveux et anguleux propre à Murphy : silhouettes saccadées, lignes saillantes, personnages massifs et burinés, à l’image d’El Cementiero, un Américain venu prêter main-forte aux rebelles. Ce Zorro moderne évolue dans une lumière sablonneuse, souvent nocturne ou filtrée par des lampes tamisées. Il bondit, frappe, esquive, se fond dans l’ombre comme une légende qui renaît sous nos yeux. Comment devient-on celui qui, sans doute, n’a jamais existé, mais incarne pourtant l’essence même du courage et des espoirs des humbles ? Telle est la question que pose Murphy. Et sa réponse est éclatante : voici Zorro comme on ne l’avait jamais vu, et pourtant comme une évidence. Sous la plume et les pinceaux de Sean Murphy, l’ancien justicier masqué retrouve tout son éclat et toute sa raison d’être. Urban Comics repropose l'ouvrage dans une version Deluxe. On y trouve 1 poster, 1 ex-libris, et Zorro de Sean Murphy avec une nouvelle couverture inédite, le tout dans un coffret, à 26,50 euros. 



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SPECTATEURS : PULSIONS ET VOYEURISME AVEC VAUGHAN ET HENRICHON


 Avec Spectateurs, Brian K. Vaughan et Niko Henrichon nous offrent une œuvre aussi fascinante qu’inconfortable, un sorte de miroir tendu à une humanité obsédée par ses pulsions, sa solitude numérique et son voyeurisme compulsif. Le duo, déjà remarqué sur Pride of Baghdad, signe ici une fable macabre et sensuelle où sexe et violence s’enlacent dans un ballet troublant et très contemporain. Forcément, à ne pas mettre en toutes les mains. Tout commence dans un cinéma, décor banal d’un rendez-vous raté. Val, quadragénaire solitaire, s’y rend pour son date Tinder, qui tourne court. Dépitée, elle s’enfonce dans son siège, sort son téléphone et noie sa déception à l'aide d’un site pornographique. Le dessin, cru, intrusif mais fichtrement juste, capte cette tension entre désir et ennui, jusqu’à ce qu’un tireur fasse irruption dans la salle et transforme la scène en massacre. Le contraste est brutal : la chair, objet de plaisir une seconde plus tôt, devient matière à carnage. Val a beau se cacher, supplier, elle est abattue, froidement. C’est dans cette collision de pulsions que Vaughan trouve sa matière première. La mort de Val la propulse dans un au-delà singulier, où les âmes errantes observent les vivants sans pouvoir interagir. Ils deviennent les spectateurs éternels d’un monde qui se consume, en noir et blanc (à leurs yeux). Un autre fantôme, Sam, guide dans Val dans cet étrange purgatoire et offre une chance de développer la réflexion et l'échange : c'est clairement la foire au voyeurisme pur, tous les morts épient la vie qu’ils ont perdue. Le récit avance alors par strates philosophiques : que signifie « vivre », lorsque l’on passe son existence à regarder celle des autres ? Vaughan pousse la métaphore jusqu’au vertige. On fait alors un bond dans le temps, toujours avec Val, presque cent ans plus tard : les survivants de notre monde décadent s’adonnent à des orgies technologiques (avec des robots masturbateurs à longueur de pages), des combats à mort en direct, des dérives sexuelles ou meurtrières diffusées comme des divertissements planétaires. La société n’a pas évolué : elle a simplement perfectionné ses pulsions. Elle est dominée par ses (plus bas) instincts.



Niko Henrichon, de son côté, livre un travail vraiment remarquable : son trait parvient à conjuguer sensualité, dégoût et attirance morbide dans le même mouvement. Chaque page évoque vraiment la moiteur du désir et la froideur du néant dans lequel l'humanité semble se complaire. L'artiste s'en sort admirablement bien, aussi bien quand il s'agit de présenter des planches statiques, où c'est le dialogue qui est roi, que lorsqu'il faut laisser l'érotisme et la chair s'emparer de la scène, avec des verges turgescentes ou des pénétrations offertes sans fard. Spectateurs peut déconcerter, comme si l'ouvrage ne cherchait jamais à séduire. Plutôt, on dirait que son but est de choquer, émoustiller, inviter à une forme d’introspection douloureuse. Car en suivant Val (et Sam), cette âme condamnée à contempler, on réalise combien nous partageons sa condition. Nos vies, rythmées par les réseaux sociaux, se nourrissent des images des autres : couples parfaits, drames médiatisés, violence virale et omniprésente. Nous sommes devenus des spectateurs / poulets sans tête, incapables de détourner le regard du spectacle du monde en déliquescence, auquel nous appartenons sans appartenir. Spectateurs interroge notre complicité silencieuse. Le monde est laid, il est régi par le sexe, le sensationnalisme, le manque d'empathie. Mais nous sommes tous une partie du problème. En guise de conclusion, un pied de nez final très intelligent, où le regard du spectateur des personnages prend conscience d'être observés (d'être lu), dans un jeu de miroirs et tiroirs déprimant de justesse. Préparez Sour Times de Portishead en guise de fond sonore (si vous souhaitez être raccord avec les intentions de Vaughan dans les dernières pages) et regardez. Contemplez. C'est dégoûtant, c'est fascinant. C'est humain, en somme. 



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PUNISHER JOURNAL DE GUERRE : CARL POTTS ET JIM LEE SANS CONCESSION




 En 1986, tandis que Frank Miller redéfinissait le mythe du justicier urbain avec The Dark Knight Returns, un autre héros sans cape, ni gloire, ni morale commençait à faire parler la poudre du côté de Marvel. Ce croisé psychorigide, c’est Frank Castle, alias le Punisher. Un vétéran du Vietnam qui, après avoir vu sa famille exécutée dans un parc new-yorkais, décide de consacrer le reste de sa vie à la guerre, littéralement. Pas de superpouvoirs, pas de credo humaniste, juste une méthode : éliminer le crime un chargeur après l’autre, sans la moindre once de pitié. Une punition quotidienne. La première série régulière du Punisher fut un tel succès qu’elle entraîna rapidement une prolifération de spin-offs. L’un d’eux, War Journal, reste aujourd’hui le plus marquant, non seulement pour ses histoires plus ancrées dans la psyché de Castle, mais aussi parce qu’il révéla au monde un jeune prodige : Jim Lee. Sous la houlette de Carl Potts, l’ancien responsable éditorial devenu scénariste, le tandem livra une chronique de guerre urbaine au ton froid et clinique, où chaque page vibrait comme un rapport de mission rédigé à la première personne du carnage. Le fameux journal de bord du Punisher, en somme. Potts fit du Punisher un personnage presque introspectif, hanté par ses souvenirs du Vietnam et sa soif de vengeance. Le titre War Journal n’est donc pas un effet de style : c’est réellement le journal de bord d’un homme en croisade, où chaque ligne correspond à un mort de plus, à une cible rayée de la carte. Dans les premiers épisodes, Frank revisite la journée maudite de Central Park, croise Matt Murdock venu lui rappeler qu’il existe encore une frontière entre justice et meurtre (frontière que Castle a depuis longtemps franchie), et retrouve d’anciens compagnons d’armes devenus trafiquants ou mercenaires. Le tout dans un enchevêtrement de missions où se mêlent corruption militaire, opérations secrètes et gadgets high-tech fournis par Microchip, son partenaire de l'époque, génie informatique tragique.



Jim Lee, encore au début de sa carrière, est pourtant déjà le genre d'artiste qui vous saisit par la gorge dès les premières pages : des silhouettes tendues, héroïques jusqu’à la démesure, des visages ciselés ou burinés dans la rage, des compositions qui transforment la violence en ballet. Le visage de Frank Castle, carré comme un obus, porte cette même expression de fatigue et de haine rentrée qui correspond parfaitement au caractère inflexible et obsédant qui anime l'anti-héros inconsolable. On sent qu’il pourrait chuter, être éliminé à chaque page, et c’est ce fragile équilibre entre puissance et autodestruction qui rend la série si touchante. La force du Punisher de Potts et Lee, c’est sa crédibilité brute. On y croit. On entend presque le métal du chargeur glisser dans la chambre. La violence n’est pas gratuite : elle est organique, méthodique, froide comme le regard de son auteur. Potts réussit là où beaucoup ont échoué après lui, c'est-à-dire à rendre le Punisher humain, sans jamais l’excuser. En comparaison, nombre d’itérations ultérieures (jusqu’aux relectures de Garth Ennis, pourtant brillantes mais beaucoup plus grandguignolesques) paraissent s’être égarées dans la caricature ou le sadisme vide de sens. Un signe des temps, probablement. Punisher War Journal témoigne d’une époque où Marvel osait encore traiter un antihéros sans le désamorcer par le cynisme ou l’humour forcé. C’est une série dure, presque ascétique, qui respire la poudre et la solitude. Avec des morceaux d'anthologie, épisodes inoubliables comme ceux de la Jungle Saga avec Wolverine, ou des invités de marque, comme Black Widow, ou Fatalis. Un carnage annoté et commenté par celui qui ne baisse jamais les yeux. Chroniques de la consécration d'un justicier tragique. 45 euros pour 504 pages sans concession.

Sortie cette semaine chez Panini


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LA GUERRE DE SINESTRO : LE JAUNE DE LA PEUR EN DC PAPERBACK


Sinestro Corps War appartient à l'ère bénie des comics DC, celle coincée entre Crisis on Infinite Earths et Flashpoint, avant que les New 52 ne viennent tout réinitialiser. C’est à bien des égards une guerre sainte au cœur du cosmos DC, et l’un des sommets du travail de Geoff Johns, artisan patient d’une mythologie spatiale devenue tentaculaire et foisonnante. Tout part, comme souvent, d’un ancien mentor ou héros devenu ennemi. Sinestro, autrefois le plus brillant des Green Lanterns, qui s'est transformé en l'incarnation même du chaos. Avec sa moustache autoritaire et son sens certain de la dictature éclairée (tendance chancelier du Reich), il fonde son propre corps de justiciers jaunes, le Sinestro Corps, nourri non plus par la volonté, mais par la peur. Face à lui, les Lanternes vertes (les gentils shérifs interstellaires dont l’anneau matérialise les pensées) sont submergés par une armée de monstres et de tyrans : le Cyborg Superman Hank Henshaw, Superboy-Prime dans sa version la plus hystérique, l’Anti-Monitor en personne, et toute une légion de brutes cosmiques prêtes à faire plier la galaxie. C’est dire si le vert a du souci à se faire. Place au jaune ! Au premier rang de la mêlée, on retrouve Hal Jordan, revenu d’entre les morts après avoir été Parallax, puis fusionné avec le Spectre. Personnage héroïque mais souvent fade, il est ici bien aidé par la densité du casting : Guy Gardner, John Stewart, Kyle Rayner, tous participent à cette guerre totale où les anneaux virevoltent par milliers, cherchent de nouveaux porteurs au milieu d’un ballet d’explosions et de morts glorieuses. Johns orchestre tout cela avec la rigueur d’un général et la passion d’un lecteur de longue date. Il tisse un récit qui aurait pu servir de trame à un crossover à l’échelle de tout l'univers de DC Comics (l'idéal pour un reboot, même). L’intensité est telle qu’on croirait parfois lire du Jack Kirby sous amphétamines, le lyrisme cosmique en plus.



Le dessin, signé notamment par Ivan Reis, Patrick Gleason et Ethan Van Sciver, contribue largement à cette impression d’ampleur. Chaque planche semble prête à devenir une affiche, chaque bataille une fresque monumentale. L’univers des Lanterns prend enfin toute la mesure de sa folie conceptuelle : les émotions ont des couleurs, les anneaux deviennent des armes de foi, et la peur s’érige en force physique. Ce que Johns a compris mieux que quiconque, c’est que la mythologie Green Lantern n’est pas qu’un gadget lumineux mais une réflexion sur le pouvoir, le contrôle et la responsabilité. Et dans cette guerre, les Gardiens de Oa finissent par franchir la ligne rouge en autorisant le recours à la force létale. Un détail moral d’importance, qui fissure à jamais la façade idéaliste du Corps. Bien sûr, tout n’est pas parfait. Certaines séquences publiées dans la série Green Lantern Corps sont plus inégales, parfois expédiées, parfois confuses. Mais l’ensemble tient remarquablement debout, d’une cohérence rare pour une histoire éclatée entre plusieurs titres. Même Superman, quand il apparaît dans la bataille finale, se tait : ce n’est pas son histoire. C’est celle d’une confrérie d’hommes et de femmes (ou de créatures vaguement humanoïdes) consumés par la peur, la culpabilité, la volonté. Le sommet tragique, peut-être, d’un âge héroïque où les couleurs ont cessé d’être symboles pour devenir des armes. Les lecteurs français, moins familiers du pan galactique de DC que de celui de Marvel, n'ont pas forcément pris la mesure de cette odyssée. Publiée d’abord dans DC Universe en 2009, puis reprise par Urban Comics, La Guerre de Sinestro demeure pourtant un monument, à la fois spectaculaire et fondateur. C’est ici que s’esquisse le spectre émotionnel complet qui conduira à Blackest Night. Et c’est ici que le vert, couleur de la volonté, apprend (dans la douleur) qu’il n’est pas seul dans la palette de l’univers, et que la lumière la plus pure ne brille jamais sans sa part d’ombre. Un récit à la fois baroque et grandiose, traversé d’éclairs de génie visuel, où chaque page repousse les frontières du cosmos et de l'imaginable. Indispensable album de la collection DC Paperback, on vous aura averti. 



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CORTO MALTESE : LA COLLECTION DES VIGNETTES PANINI (EN ITALIE)

 Vous êtes fans de Corto Maltese et du travail d'Hugo Pratt ? Bon, asseyez-vous bien sagement, voici les dernières nouvelles. Panini et...