JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM


 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’y replonge avec jubilation. Voici donc venir le dixième imposant pavé consacré aux Affaires Classées du plus inflexible des juges de Mega-City One, l’occasion rêvée de redécouvrir ces récits courts parus dans la mythique revue britannique 2000 AD. Toujours au programme : satire sociale corrosive et violence institutionnalisée dans un futur (pas si lointain ?) où l’ordre et la justice sont poussés jusqu’à la folie. Dès les premières pages, on est décoiffé par les péripéties du Midnight Surfer, qui participe à un concours de surf motorisé (formellement interdit, bien sûr) et s’apprête à enflammer la mégalopole. À peine le temps de ranger la planche qu’on tombe nez à nez avec Nosferatu, une créature extraterrestre au look de vampire-araignée, échappée d’une des lunes de Callisto. Les amateurs d’humour grinçant seront ravis : on y trouve aussi un épisode hilarant consacré à des bonbons prétendument « futés », censés rendre plus intelligents ceux qui les croquent… mais évidemment, c’est tout l’inverse. Plus inquiétant encore, un dysfonctionnement pousse une série de robots domestiques à assassiner leurs propriétaires, persuadés que la mort les rendra plus heureux. Comme toujours, le regard porté par les auteurs est acéré, mordant, et fait écho à nos propres sociétés, le tout simplement transposé dans un futur où la démesure est devenue norme absurde. Dans l’un des récits les plus marquants, un journaliste découvre que les juges diffusent un gaz tranquillisant pour prévenir toute révolte. « C’est immoral ! C’est monstrueux ! » proteste-t-on — mais Dredd tranche : c’est la loi. Tout est dit. Après tout, qu’importe d’abandonner un peu de liberté si, en échange, une main de fer nous promet la paix et la sécurité ? Le plus ironique, c’est que le désordre règne partout dans l’univers de Dredd. Il suffit de voir le retour du redoutable Mean Angel, ce psychopathe repenti qu’on relâche en pleine période de Noël, une saison décidément peu propice à la rédemption. Très vite, ses fameux « coups de boule » reprennent du service, et Dredd doit à nouveau imposer sa conception de la justice. Bref, le juge continue de faire régner la loi à coups de sarcasmes et de matraque, dans un monde où la satire n’a jamais paru aussi actuelle.




Parce que oui, ce que beaucoup ignorent lorsqu’ils ne connaissent pas l’univers du Judge Dredd, c’est que ses histoires ne se résument pas à une accumulation de clichés, de gros flingues et de science-fiction musclée. La série offre aussi une réflexion, souvent grinçante, sur ce que nous faisons de notre société et sur la direction que nous prenons. Sous ses dehors satiriques, elle explore avec acuité les dérives du pouvoir, de la technologie et du contrôle social. On y croise par exemple Tony, un participant au concours des “Fatties”, ces individus qui accumulent de la graisse jusqu’à atteindre un poids délirant. Lui est le premier homme à dépasser les deux tonnes, un record absurde qui, évidemment, lui vaut une place dans les annales de Mega-City One. Passons sur une histoire en plusieurs volets où un seigneur nippon débarque dans la mégalopole pour invoquer son samouraï personnel (à mon sens, l’un des temps faibles inévitables de l’album) pour nous concentrer sur les récits courts, bien plus percutants et pertinents. Certains abordent de front des questions essentielles, comme celle de la démocratie, à travers un groupe de rebelles rêvant d’un ordre plus juste, mais dont l’idéal finira dans le sang. Dans un autre épisode marquant, un juge découvre l’amour et se voit contraint de vivre sa relation dans la clandestinité, quitte à risquer le chantage et la disgrâce. Dans ce monde autoritaire, la passion est un crime, et un agent de la loi ne peut entretenir la moindre relation amoureuse sans être banni. On trouve aussi une perle d’humour noir racontée du point de vue d’un cafard ainsi qu’un enchaînement d’épisodes centrés sur les Gribbligs, de charmantes petites créatures qu’on rêverait d’avoir pour animaux de compagnie, si elles n’étaient pas strictement interdites. Et pour cause : elles se reproduisent à la vitesse de la lumière et font preuve d’une intelligence redoutable, capable de plonger leurs propriétaires dans de sérieux ennuis. Dans un univers aussi absurde que celui de Judge Dredd, le seul qui semble tirer son épingle du jeu est peut-être le fou, le timbré, comme le suggère l’un de ces savoureux épisodes courts où la folie devient une forme de lucidité. Le scénario est signé par le tandem John Wagner et Alan Grant, tandis que le dessin est confié à une impressionnante brochette d’artistes : Carlos Ezquerra, le créateur du personnage, Steve Dillon (bien connu des lecteurs de Marvel), mais aussi Cam Kennedy, Ron Smith, Ian Gibson, et même le maître Bryan Talbot. Ce dixième volume s’impose dignement aux côtés des neuf précédents, et ne souffre finalement que d’un seul véritable défaut : provoquer chez le lecteur une impatience spasmodique, celle d’attendre plusieurs mois avant de pouvoir mettre la main sur le onzième tome.


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