BATMAN DARK AGE : RELECTURE ET HOMMAGE AVEC RUSSELL ET ALLRED


 Le Bruce Wayne que nous découvrons en 2030, dès le premier épisode de Batman : Dark Age, est bien loin du playboy milliardaire distribuant des coups dans les ruelles sordides de Gotham. Le temps a fait son œuvre : nous voici face à un vieillard particulièrement fragile, soigné dans un hospice de luxe. À cela s’ajoute un problème plus épineux encore : sa mémoire vacille, ses souvenirs s’effilochent, et la raison semble peu à peu lui échapper. Quelle solution proposer, alors, à celui qui fut autrefois l’un des plus grands héros de la Terre ? Tout simplement, lui offrir un carnet dans lequel consigner ses souvenirs : un moyen de réactiver ses neurones, mais aussi de permettre au lecteur de comprendre ce qui s’est réellement passé depuis cette nuit tragique de 1957 où ses parents furent assassinés. Au fil de ces pages, on revisite ainsi les années de formation de Bruce Wayne, mais aussi celles de ses débuts en tant que justicier, dans les années 1960, au sein d’un univers parallèle inédit. Mark Russell y déploie une approche singulière, en écho à son travail récent sur Superman, où il revisitait déjà les mythes fondateurs du genre avec une classe folle. Si j’apprécie autant Russell, c’est parce que ses récits de super-héros conservent toujours un ancrage social fort, et qu’ils sont traversés d’un humour corrosif qui fait mouche. La jeunesse de Bruce Wayne, par exemple, est présentée sous l’angle de son bien-être matériel et de ses ressources économiques illimitées, qui font de lui une petite frappe turbulente, sûre de son impunité. Il sait que, quoi qu’il fasse, les conséquences seront nulles : une armée d’avocats veille, Alfred vient le tirer d’affaire si nécessaire, et un petit billet glissé à un policier corrompu suffit à le libérer. Mais un jour, Bruce croise la route du seul flic intègre de Gotham : Jim Gordon. Condamné à dix ans de prison à la suite d’un verdict absurde, manipulé par ceux qui ont entre-temps mis la main sur l’entreprise familiale, il n’obtient sa liberté qu’à une condition : rejoindre Ra’s al Ghul et l’armée américaine, alors engagée dans les jungles du Vietnam, pour un conflit sanglant et absurde.



C’est là-bas, dans la moiteur du chaos, que Bruce Wayne apprend les techniques de combat, mais aussi la subtile analogie entre le jeu d’échecs et la lutte contre le crime. Mark Russell parvient à reconstituer ce que nous pensions déjà connaître tout en en modifiant le sens et les connexions. C’est brillant, incisif, et superbement écrit — un véritable régal. De retour à Gotham, Bruce combattra pour ceux qui en ont besoin, guidé par une morale inébranlable et un code éthique strict : ne jamais tuer. Et il faut dire que la ville avait grand besoin d’un justicier de cette trempe, tant elle est gangrenée par la mafia locale, dominée par la famille Falcone. On retrouve dans cet univers revisité toute une galerie de visages familiers. Le Joker, d’abord, ici réinventé en clown triste, cabarettiste raté qui gratte là où ça fait mal. Les membres de la Justice League, eux, sont trop occupés à sauver l’univers de l’arrivée imminente de l'Anti-Monitor (Crisis on Infinite Earths, vous l'avez compris) pour venir prêter main-forte à Batman. Dick Grayson, quant à lui, bosse d’abord pour la pègre locale avant d’être recueilli par Bruce, tandis que Catwoman fait son apparition dès l’adolescence, avant de devenir cette anti-héroïne ambivalente qui partage avec Batman une relation aussi électrique que trouble. Michael Allred signe les planches avec son style inimitable : une apparente simplicité, une fausse naïveté, qui collent parfaitement aux intentions de Mark Russell et à la période qu’il évoque. Ce parti pris graphique divisera peut-être (certains y verront une limite, d’autres une formidable cohérence esthétique) mais il sert admirablement un récit à la fois dense, inventif et souvent brillant. Batman Dark Age s’impose ainsi comme une réussite pleine de charme et d’audace, émaillée de moments de grâce et d’idées lumineuses. Un album qui ne déçoit pas, et qui, sans aucun doute, trouvera sans mal son public.



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