ZORRO D'ENTRE LES MORTS DE SEAN MURPHY : LE COFFRET CHEZ URBAN COMICS


 Zorro appartient à la culture populaire, mais aussi à une époque bien différente de la nôtre, à tous points de vue. Le personnage évolue dans le Mexique de la première moitié du XIXᵉ siècle, dans un univers de combats d’agilité menés à la pointe de l’épée, où dominent les chevaux, la ruralité et le pouvoir militaire. Mais la culture populaire est un phénomène cyclique : ce qui s’éclipse finit toujours par revenir, tel un satellite en orbite. Les mêmes bases, les mêmes recettes, mais revisitées, transformées pour s’adapter à leur temps. Or, depuis quelques mois, Zorro revient justement sur le devant de la scène, sous diverses formes. Côté comics, ce renouveau est (en partie) à mettre au crédit de Sean Murphy, l’un de ces dessinateurs un peu fous dont le style explosif et immédiatement reconnaissable a marqué plusieurs productions à succès, du White Knight au très bon The Plot Holes. Murphy a eu l’intelligence de ne pas raconter une énième aventure de Zorro dans le passé, mais de transposer le concept à l’ère moderne. Dans sa version, Zorro est devenu une légende que les habitants mexicains de la région de La Vega honorent et célèbrent chaque année pendant la fête des Morts. Mais cette ferveur contraste avec la peur quotidienne : la région vit sous la coupe des cartels de la drogue, responsables, vingt ans plus tôt, de l’assassinat d’un notable local. L’homme, alors en costume de Zorro pour les festivités, fut exécuté sous les yeux de ses deux enfants par un tyran surnommé El Rojo. Ce meurtre a laissé des traces profondes. La fillette, Rosa, a tout fait pour survivre, allant jusqu’à travailler pour les cartels qu’elle hait, tout en nourrissant une vengeance impossible. Son frère, Diego (le nom n’est évidemment pas un hasard), est quant à lui devenu muet. Il vit désormais dans un château transformé en musée dédié à Zorro, auprès de son grand-père. Là, il s’entraîne inlassablement, apprend à manier l’épée, à devenir un combattant accompli… prêt, peut-être, à incarner à son tour le justicier masqué qu’il vénère.



Le Zorro de Sean Murphy n’est donc pas un personnage réel. Il ne s’agit pas d’une réincarnation magique d’une icône de la pop culture, ressuscitée grâce à un prétexte fumeux, mais plutôt d’un descendant possible du justicier originel. Le jour où il reçoit l’épée ayant appartenu au héros légendaire, il se découvre investi d’une mission : libérer les siens, devenir l’étendard de l’espoir d’un peuple, en revêtant le célèbre costume noir. Le lecteur sourira souvent devant son langage fleuri et sa fausse naïveté, surtout lorsqu’il constate que les armes de ses adversaires ont, elles, bien évolué : fini les duels à cheval, place désormais aux véhicules blindés lourdement armés ! Pourtant, ce nouveau Zorro n’en demeure pas moins redoutable. Il accomplit pleinement sa tâche : inspirer les autres, devenir la figure de proue d’une rébellion née du désespoir, pour tous ceux qui refusent de plier l’échine et décident qu’il est temps de reconquérir une part de leur liberté confisquée. Murphy signe un scénario intelligent, quoique relativement simple. En quatre épisodes, il n’a pas vraiment le loisir d’approfondir son microcosme, mais compense largement par la puissance visuelle de son trait. Car sur le plan graphique, c’est tout simplement spectaculaire. Vous voulez de l’action ? Vous allez être servis. Vous voulez des compositions dynamiques, des prouesses plastiques, des planches qui claquent dès le premier regard ? Vous en aurez pour votre argent, croyez-moi. On retrouve le style nerveux et anguleux propre à Murphy : silhouettes saccadées, lignes saillantes, personnages massifs et burinés, à l’image d’El Cementiero, un Américain venu prêter main-forte aux rebelles. Ce Zorro moderne évolue dans une lumière sablonneuse, souvent nocturne ou filtrée par des lampes tamisées. Il bondit, frappe, esquive, se fond dans l’ombre comme une légende qui renaît sous nos yeux. Comment devient-on celui qui, sans doute, n’a jamais existé, mais incarne pourtant l’essence même du courage et des espoirs des humbles ? Telle est la question que pose Murphy. Et sa réponse est éclatante : voici Zorro comme on ne l’avait jamais vu, et pourtant comme une évidence. Sous la plume et les pinceaux de Sean Murphy, l’ancien justicier masqué retrouve tout son éclat et toute sa raison d’être. Urban Comics repropose l'ouvrage dans une version Deluxe. On y trouve 1 poster, 1 ex-libris, et Zorro de Sean Murphy avec une nouvelle couverture inédite, le tout dans un coffret, à 26,50 euros. 



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SPECTATEURS : PULSIONS ET VOYEURISME AVEC VAUGHAN ET HENRICHON


 Avec Spectateurs, Brian K. Vaughan et Niko Henrichon nous offrent une œuvre aussi fascinante qu’inconfortable, un sorte de miroir tendu à une humanité obsédée par ses pulsions, sa solitude numérique et son voyeurisme compulsif. Le duo, déjà remarqué sur Pride of Baghdad, signe ici une fable macabre et sensuelle où sexe et violence s’enlacent dans un ballet troublant et très contemporain. Forcément, à ne pas mettre en toutes les mains. Tout commence dans un cinéma, décor banal d’un rendez-vous raté. Val, quadragénaire solitaire, s’y rend pour son date Tinder, qui tourne court. Dépitée, elle s’enfonce dans son siège, sort son téléphone et noie sa déception à l'aide d’un site pornographique. Le dessin, cru, intrusif mais fichtrement juste, capte cette tension entre désir et ennui, jusqu’à ce qu’un tireur fasse irruption dans la salle et transforme la scène en massacre. Le contraste est brutal : la chair, objet de plaisir une seconde plus tôt, devient matière à carnage. Val a beau se cacher, supplier, elle est abattue, froidement. C’est dans cette collision de pulsions que Vaughan trouve sa matière première. La mort de Val la propulse dans un au-delà singulier, où les âmes errantes observent les vivants sans pouvoir interagir. Ils deviennent les spectateurs éternels d’un monde qui se consume, en noir et blanc (à leurs yeux). Un autre fantôme, Sam, guide dans Val dans cet étrange purgatoire et offre une chance de développer la réflexion et l'échange : c'est clairement la foire au voyeurisme pur, tous les morts épient la vie qu’ils ont perdue. Le récit avance alors par strates philosophiques : que signifie « vivre », lorsque l’on passe son existence à regarder celle des autres ? Vaughan pousse la métaphore jusqu’au vertige. On fait alors un bond dans le temps, toujours avec Val, presque cent ans plus tard : les survivants de notre monde décadent s’adonnent à des orgies technologiques (avec des robots masturbateurs à longueur de pages), des combats à mort en direct, des dérives sexuelles ou meurtrières diffusées comme des divertissements planétaires. La société n’a pas évolué : elle a simplement perfectionné ses pulsions. Elle est dominée par ses (plus bas) instincts.



Niko Henrichon, de son côté, livre un travail vraiment remarquable : son trait parvient à conjuguer sensualité, dégoût et attirance morbide dans le même mouvement. Chaque page évoque vraiment la moiteur du désir et la froideur du néant dans lequel l'humanité semble se complaire. L'artiste s'en sort admirablement bien, aussi bien quand il s'agit de présenter des planches statiques, où c'est le dialogue qui est roi, que lorsqu'il faut laisser l'érotisme et la chair s'emparer de la scène, avec des verges turgescentes ou des pénétrations offertes sans fard. Spectateurs peut déconcerter, comme si l'ouvrage ne cherchait jamais à séduire. Plutôt, on dirait que son but est de choquer, émoustiller, inviter à une forme d’introspection douloureuse. Car en suivant Val (et Sam), cette âme condamnée à contempler, on réalise combien nous partageons sa condition. Nos vies, rythmées par les réseaux sociaux, se nourrissent des images des autres : couples parfaits, drames médiatisés, violence virale et omniprésente. Nous sommes devenus des spectateurs / poulets sans tête, incapables de détourner le regard du spectacle du monde en déliquescence, auquel nous appartenons sans appartenir. Spectateurs interroge notre complicité silencieuse. Le monde est laid, il est régi par le sexe, le sensationnalisme, le manque d'empathie. Mais nous sommes tous une partie du problème. En guise de conclusion, un pied de nez final très intelligent, où le regard du spectateur des personnages prend conscience d'être observés (d'être lu), dans un jeu de miroirs et tiroirs déprimant de justesse. Préparez Sour Times de Portishead en guise de fond sonore (si vous souhaitez être raccord avec les intentions de Vaughan dans les dernières pages) et regardez. Contemplez. C'est dégoûtant, c'est fascinant. C'est humain, en somme. 



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PUNISHER JOURNAL DE GUERRE : CARL POTTS ET JIM LEE SANS CONCESSION




 En 1986, tandis que Frank Miller redéfinissait le mythe du justicier urbain avec The Dark Knight Returns, un autre héros sans cape, ni gloire, ni morale commençait à faire parler la poudre du côté de Marvel. Ce croisé psychorigide, c’est Frank Castle, alias le Punisher. Un vétéran du Vietnam qui, après avoir vu sa famille exécutée dans un parc new-yorkais, décide de consacrer le reste de sa vie à la guerre, littéralement. Pas de superpouvoirs, pas de credo humaniste, juste une méthode : éliminer le crime un chargeur après l’autre, sans la moindre once de pitié. Une punition quotidienne. La première série régulière du Punisher fut un tel succès qu’elle entraîna rapidement une prolifération de spin-offs. L’un d’eux, War Journal, reste aujourd’hui le plus marquant, non seulement pour ses histoires plus ancrées dans la psyché de Castle, mais aussi parce qu’il révéla au monde un jeune prodige : Jim Lee. Sous la houlette de Carl Potts, l’ancien responsable éditorial devenu scénariste, le tandem livra une chronique de guerre urbaine au ton froid et clinique, où chaque page vibrait comme un rapport de mission rédigé à la première personne du carnage. Le fameux journal de bord du Punisher, en somme. Potts fit du Punisher un personnage presque introspectif, hanté par ses souvenirs du Vietnam et sa soif de vengeance. Le titre War Journal n’est donc pas un effet de style : c’est réellement le journal de bord d’un homme en croisade, où chaque ligne correspond à un mort de plus, à une cible rayée de la carte. Dans les premiers épisodes, Frank revisite la journée maudite de Central Park, croise Matt Murdock venu lui rappeler qu’il existe encore une frontière entre justice et meurtre (frontière que Castle a depuis longtemps franchie), et retrouve d’anciens compagnons d’armes devenus trafiquants ou mercenaires. Le tout dans un enchevêtrement de missions où se mêlent corruption militaire, opérations secrètes et gadgets high-tech fournis par Microchip, son partenaire de l'époque, génie informatique tragique.



Jim Lee, encore au début de sa carrière, est pourtant déjà le genre d'artiste qui vous saisit par la gorge dès les premières pages : des silhouettes tendues, héroïques jusqu’à la démesure, des visages ciselés ou burinés dans la rage, des compositions qui transforment la violence en ballet. Le visage de Frank Castle, carré comme un obus, porte cette même expression de fatigue et de haine rentrée qui correspond parfaitement au caractère inflexible et obsédant qui anime l'anti-héros inconsolable. On sent qu’il pourrait chuter, être éliminé à chaque page, et c’est ce fragile équilibre entre puissance et autodestruction qui rend la série si touchante. La force du Punisher de Potts et Lee, c’est sa crédibilité brute. On y croit. On entend presque le métal du chargeur glisser dans la chambre. La violence n’est pas gratuite : elle est organique, méthodique, froide comme le regard de son auteur. Potts réussit là où beaucoup ont échoué après lui, c'est-à-dire à rendre le Punisher humain, sans jamais l’excuser. En comparaison, nombre d’itérations ultérieures (jusqu’aux relectures de Garth Ennis, pourtant brillantes mais beaucoup plus grandguignolesques) paraissent s’être égarées dans la caricature ou le sadisme vide de sens. Un signe des temps, probablement. Punisher War Journal témoigne d’une époque où Marvel osait encore traiter un antihéros sans le désamorcer par le cynisme ou l’humour forcé. C’est une série dure, presque ascétique, qui respire la poudre et la solitude. Avec des morceaux d'anthologie, épisodes inoubliables comme ceux de la Jungle Saga avec Wolverine, ou des invités de marque, comme Black Widow, ou Fatalis. Un carnage annoté et commenté par celui qui ne baisse jamais les yeux. Chroniques de la consécration d'un justicier tragique. 45 euros pour 504 pages sans concession.

Sortie cette semaine chez Panini


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LA GUERRE DE SINESTRO : LE JAUNE DE LA PEUR EN DC PAPERBACK


Sinestro Corps War appartient à l'ère bénie des comics DC, celle coincée entre Crisis on Infinite Earths et Flashpoint, avant que les New 52 ne viennent tout réinitialiser. C’est à bien des égards une guerre sainte au cœur du cosmos DC, et l’un des sommets du travail de Geoff Johns, artisan patient d’une mythologie spatiale devenue tentaculaire et foisonnante. Tout part, comme souvent, d’un ancien mentor ou héros devenu ennemi. Sinestro, autrefois le plus brillant des Green Lanterns, qui s'est transformé en l'incarnation même du chaos. Avec sa moustache autoritaire et son sens certain de la dictature éclairée (tendance chancelier du Reich), il fonde son propre corps de justiciers jaunes, le Sinestro Corps, nourri non plus par la volonté, mais par la peur. Face à lui, les Lanternes vertes (les gentils shérifs interstellaires dont l’anneau matérialise les pensées) sont submergés par une armée de monstres et de tyrans : le Cyborg Superman Hank Henshaw, Superboy-Prime dans sa version la plus hystérique, l’Anti-Monitor en personne, et toute une légion de brutes cosmiques prêtes à faire plier la galaxie. C’est dire si le vert a du souci à se faire. Place au jaune ! Au premier rang de la mêlée, on retrouve Hal Jordan, revenu d’entre les morts après avoir été Parallax, puis fusionné avec le Spectre. Personnage héroïque mais souvent fade, il est ici bien aidé par la densité du casting : Guy Gardner, John Stewart, Kyle Rayner, tous participent à cette guerre totale où les anneaux virevoltent par milliers, cherchent de nouveaux porteurs au milieu d’un ballet d’explosions et de morts glorieuses. Johns orchestre tout cela avec la rigueur d’un général et la passion d’un lecteur de longue date. Il tisse un récit qui aurait pu servir de trame à un crossover à l’échelle de tout l'univers de DC Comics (l'idéal pour un reboot, même). L’intensité est telle qu’on croirait parfois lire du Jack Kirby sous amphétamines, le lyrisme cosmique en plus.



Le dessin, signé notamment par Ivan Reis, Patrick Gleason et Ethan Van Sciver, contribue largement à cette impression d’ampleur. Chaque planche semble prête à devenir une affiche, chaque bataille une fresque monumentale. L’univers des Lanterns prend enfin toute la mesure de sa folie conceptuelle : les émotions ont des couleurs, les anneaux deviennent des armes de foi, et la peur s’érige en force physique. Ce que Johns a compris mieux que quiconque, c’est que la mythologie Green Lantern n’est pas qu’un gadget lumineux mais une réflexion sur le pouvoir, le contrôle et la responsabilité. Et dans cette guerre, les Gardiens de Oa finissent par franchir la ligne rouge en autorisant le recours à la force létale. Un détail moral d’importance, qui fissure à jamais la façade idéaliste du Corps. Bien sûr, tout n’est pas parfait. Certaines séquences publiées dans la série Green Lantern Corps sont plus inégales, parfois expédiées, parfois confuses. Mais l’ensemble tient remarquablement debout, d’une cohérence rare pour une histoire éclatée entre plusieurs titres. Même Superman, quand il apparaît dans la bataille finale, se tait : ce n’est pas son histoire. C’est celle d’une confrérie d’hommes et de femmes (ou de créatures vaguement humanoïdes) consumés par la peur, la culpabilité, la volonté. Le sommet tragique, peut-être, d’un âge héroïque où les couleurs ont cessé d’être symboles pour devenir des armes. Les lecteurs français, moins familiers du pan galactique de DC que de celui de Marvel, n'ont pas forcément pris la mesure de cette odyssée. Publiée d’abord dans DC Universe en 2009, puis reprise par Urban Comics, La Guerre de Sinestro demeure pourtant un monument, à la fois spectaculaire et fondateur. C’est ici que s’esquisse le spectre émotionnel complet qui conduira à Blackest Night. Et c’est ici que le vert, couleur de la volonté, apprend (dans la douleur) qu’il n’est pas seul dans la palette de l’univers, et que la lumière la plus pure ne brille jamais sans sa part d’ombre. Un récit à la fois baroque et grandiose, traversé d’éclairs de génie visuel, où chaque page repousse les frontières du cosmos et de l'imaginable. Indispensable album de la collection DC Paperback, on vous aura averti. 



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LA GUERRE DE L'INFINI : VOICI VENIR L'OMNIBUS THE INFINITY WAR


 Adam Warlock est certes parvenu à vaincre Thanos à la fin d’Infinity Gauntlet, mais cette victoire n’est pas restée sans conséquences. Il a dû, entre autres, endosser brièvement le manteau de la toute-puissance. Vous le savez, on ne sort pas indemne d’une telle expérience. Pour mener à bien sa mission, Adam avait tenté d’expulser de sa psyché le bien et le mal, mais ces deux aspects de son être allaient bientôt lui causer bien des tourments. À commencer par sa part sombre, incarnée par le Magus, l’un des personnages les plus marquants des grandes sagas cosmiques des années soixante-dix, le genre de lecture que tous les amateurs de bd américaine vintage se doivent d'avoir fait dans leur existence. Le Magus est mégalomane, impitoyable, arrogant et agressif. Lui aussi ambitionne de s’emparer de la création. Or, il ne peut plus compter sur les Gemmes de l’Infini, dont l’harmonie a été rendue caduque par une décision du Tribunal Vivant à la fin du "Défi de Thanos". Sa puissance découle donc d’une autre source : plusieurs Cubes cosmiques retrouvés à travers le cosmos et les dimensions, qui lui permettent notamment de lever une armée de doppelgängers, c'est-à-dire des doubles démoniaques des héros Marvel. Ces versions monstrueuses et corrompues de Spider-Man, des X-Men ou d’Iron Man cherchent à éliminer leurs originaux pour prendre leur place et ainsi faciliter le masterplan du Magus. Mémorable, la grande scène des retrouvailles entre super-héros au sommet du Four Freedoms Plaza, lorsque la vérité éclate littéralement aux yeux de tous. Nos héros vont devoir unir leurs forces pour contrecarrer les machinations de ce nouvel ennemi majeur. Et, parmi les alliés du bien, figure (fait rarissime) Thanos, le grand repenti de la précédente saga de Starlin.



Thanos reste une figure profondément ambigüe, et Starlin profitait de cette mini série pour en revisiter les contradictions, les tiraillements et les paradoxes moraux. Personnage culte pour nombre de lecteurs (est-ce bien raisonnable, nourrir une passion pour un adepte du génocide cosmique ?), le Titan fou assume ici un rôle inédit de leader, tout en conservant une part d’ombre suffisamment présente pour que nul ne lui fasse réellement confiance — à raison. Jim Starlin s’en donne à cœur joie : il orchestre l’ensemble de l’univers Marvel, multiplie les affrontements homériques entre forces du bien et du mal, et bouleverse sans cesse les équilibres en place. Jusqu’à, bien sûr, réactiver temporairement les Gemmes de l’Infini, sources à la fois d’innombrables désastres… et de jubilation infinie pour tout amateur de comicsAux dessins, Ron Lim finit par contre par devenir lassant. Lui qui avait fourni de bien belles planches sur Silver Surfer, et en relevant Georges Perez sur la saga précédente, semble là moins concerné, et a tendance à bâcler son travail, en négligeant les fonds de case, et en esquissant à peine certains visages qui deviennent inexpressifs, lors des réunions de groupe. On lui a demandé de travailler vite et bien pour fournir à temps six volets de quarante pages chacun, et il fait ce qu'il peut, c'est à dire qu'il se débrouille, mal secondé par l'encreur Al Milgrom, qui n'arrange rien. Comparé à Infinity Gauntlet, Infinity War est moins épique, moins dramatique, mais garde cette saveur des souvenirs propres au début des nineties, et met en scène une incroyable variété de personnages, en proie à une situation dramatique, voire psychédélique. Et puis l'omnibus, c'est un bon moyen de tout récupérer, épisodes annexes (les tie-in) avec des séries de qualité comme Warlock & the Infinity Watch, d'autres importants et chargés en nostalgie comme ceux des Fantastic Four, ou encore du Quasar ou du Sleepwalker vintage, personnages depuis voués aux oubliettes, ou presque. Bon, pour nous les anciens, ça restera à jamais la Guerre du Pouvoir, mais de l'infini, c'est pas mal aussi.


Lire aussi : Le gant de l'infini, omnibus

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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : MOONLIGHT EXPRESS


 Dans le 208e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Moonlight express, album que l’on doit au scénario de Thierry Smolderen ainsi qu’au dessin d’Alexandre Clérisse, un ouvrage édité au Seuil. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Café de la gare que l’on doit au scénario commun de Paul Vermersch et Inès Pollosson, cette dernière signant aussi le dessin, les dialogues sont de Thibault Vermot et le tout est publié aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Rockabilly que l’on doit au scénario de Rodolphe, au dessin de Christophe Dubois et c’est publié aux éditions Daniel Maghen


- La sortie de l’album Punk à sein que l’on doit à Magali Le Huche et qui est paru chez Dargaud sous le label Chari Vari


- La sortie de l’album Bordeaux Shanghai du duo Mark Eacersall au scénario, Amélie Causse au dessin et c’est publié aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Une bouteille à la mer, titre co-signé Isabelle Autissier et Zelba, qui en signe les dessins, un album co-édité chez Futuropolis en même temps que chez Stock


- La réédition en intégrale de Malgré nous, titre que l’on doit au scénario de Thierry Gloris, au dessin de Marie Terray et c’est publié chez Quadrants, des éditions Soleil.



 
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THE CROW PAR JAMES O'BARR : ÉDITION DÉFINITIVE CHEZ DELCOURT


 Perdre quelqu’un, vraiment le perdre (pas un collègue sympa, un cousin éloigné, ou le hamster dans sa cage, mais l’amour absolu, celui qui tenait lieu d'ancrage et de raison de vivre), c’est une expérience qui broie. James O’Barr, lui, a trouvé une façon de ne pas être broyé : il a pris cette douleur, l’a trempée dans l’encre noire de sa colère, et en a fait The Crow. Peu d’œuvres au format comic book ont su, comme celle-là, transformer le deuil en rituel de purification. Un rituel sanglant, poétique et sans la moindre concession au confort du lecteur, quitte à perdre pas mal de monde en route. L’histoire, pour ceux qui n’ont pas vu le film d’Alex Proyas (à son tour marqué par une tragédie absurde, la mort de l'acteur Brandon Lee, le fils de Bruce), tient du cauchemar gothique : à Detroit, un jeune couple sur le point de se marier est agressé par une bande de voyous. Elle est violée, ils sont tous deux assassinés. Un an plus tard, le fiancé, Eric, revient d’entre les morts, escorté d’un corbeau, pour se venger. Rien d’original, direz-vous. Sauf que chaque planche, chaque phrase, respire la perte réelle de son auteur. O’Barr, à l’époque, pleurait encore sa fiancée tuée par un conducteur ivre. Un sentiment de culpabilité le dévore de l'intérieur (il venait de lui demander de venir le chercher en voiture) et The Crow devient alors une histoire et un traitement nécessaire. Du côté du cadre, la ville de Detroit dans The Crow n’en pas une : c’est une plaie ouverte. O’Barr la dessine comme un enfer industriel, où les anges brûlent à la lumière des néons. Les silhouettes se tordent, les visages s’effacent sous les hachures. L’art est d’une brutalité fascinante, un mélange de Bosch et de punk underground. En tendant l'oreille, on pourrait y percevoir des cris, des grincements, Joy Division ou The Cure, période Pornogaphy. Eric, quant à lui, a le corps souple d’un danseur et les traits presque féminins, comme s’il incarnait à lui seul la fusion impossible des amants.



Ce qui frappe en relisant The Crow par O'Barr (que Delcourt repropose dans sa version définitive), c’est à quel point cette œuvre annonçait certains éléments de Sandman. Difficile de ne pas penser à Neil Gaiman lorsque réalité et cauchemar se confondent, sans qu'on comprenne d'ailleurs très bien où se situe la limite entre les deux. Même la figure de la Mort, lorsqu’elle vient chercher Eric, semble préfigurer la jeune fille gothique au regard tendre qui hantera les pages de Vertigo quelques années plus tard. O’Barr, sans le savoir, venait d’ouvrir la porte d’un imaginaire où le deuil, la beauté et la mort se répondent avec élégance. Graphiquement, The Crow n’est pas une œuvre parfaite, il faut l'avouer. Les visages changent d’une page à l’autre, les ombres semblent avaler les formes, le style hésite entre réalisme fiévreux et symbolisme rageur. Mais cette maladresse fait partie de sa force. O’Barr ne cherchait pas à faire de l'art léché, il cherchait à survivre. Le noir et blanc tranché, les encres lourdes, le trait parfois hésitant, tout cela traduit la violence du geste. On sent qu’il ne s’agit pas d’un projet éditorial, mais d’un exorcisme. De la part d'un artiste qui a redessiné par la suite des pages et admis qu'à l'époque du premier jet, il n'avait pas encore les bases nécessaires pour tout représenter selon ses idées. L’édition intégrale, parue bien plus tard, permet de mesurer l’ampleur de son travail. Entre deux massacres méthodiques, O’Barr ménage des moments suspendus, d’une douceur presque insoutenable : des souvenirs avec Shelley, des fragments de lumière, quelques vers (Baudelaire, un autre comique troupier) griffonnés dans le silence. Ces séquences, baignées de blanc, rappellent que la vengeance n’est pas un plaisir pervers, seulement une façon de tenir encore debout. Frank Castle n'en dirait pas moins. C’est beau, désespéré, parfois maladroit, mais authentique. Clairement, ce n'est pas pour tout le monde, mais c'est à (re)découvrir. 



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