CHASM : LE FARDEAU DE KAINE (UN FARDEAU POUR LES LECTEURS)


 En mars 2024, Marvel a publié un gros fascicule intitulé Web of Spider-Man, censé donner un aperçu de quelques unes des trames sur le point d'être développées, dans l'univers du Tisseur de toile. Celle qui nous intéresse ici et qui est placée en exergue à la mini série The curse of Kaine est écrite par Steve Foxe et dessinée par Greg Land. Il ne faut que deux trois pages pour comprendre le désastre. On se lance dans une nouvelle plongée absurde, la suite des aventures désormais totalement dénuées d'intérêt de Ben Reilly. Vous pensiez que Dark Web aurait suffit pour inciter Marvel à balancer les fonds de tiroir sous le tapis ? Que nenni, la descente aux enfers devient ici de la spéléologie masochiste. Le pauvre Ben Reilly trouve un moyen assez banal de s'enfuir des Limbes où il était retenu comme prisonnier, suite aux agissements de la Goblin Queen. Il n'a pas récupéré les souvenirs de son clone, c'est-à-dire Peter Parker, mais ce n'est pas grave, ce qui compte c'est ce qu'il va faire désormais de sa vie, aux côtés de sa chère et tendre, la néo-sorcière Halloween Eve (Janine), un de ces personnages complètement foutraques qui indiquent bien que Marvel aurait dû lâcher l'affaire depuis longtemps. Ensemble, ils détroussent de malheureux citoyens, comme un vulgaire duo de pickpockets du RER. Sauf que bon, vous le savez, lorsqu'on voit Ben pointer le bout de son nez, le premier clone raté et défiguré de Peter Parker n'est jamais loin. Kaine aussi va se joindre à l'aventure, qui va avoir comme grand vilain un Eternel, le perfide Druig. Le véritable problème qui se pose dorénavant, c'est de déterminer à quoi peuvent bien encore servir ces personnages. Leur création, à l'époque de la Saga du clone des années 1990, avait vraiment apporté un vent de renouveau et produit un effet considérable sur la plupart des lecteurs. Mais déjà au bout de quelques mois, on avait compris que les scénaristes commençaient à s'emberlificoter les pinceaux et ne savaient plus comment sortir de l'ornière. Aujourd'hui, 30 ans plus tard on se rend bien compte que le cycle éternel des morts et résurrections, changements de nom et de costume, est arrivé à un point où il n'y a absolument plus rien à sauver de ce qui apparaît comme un désastre éditorial complet.



Scarlet Spider maintenant, c'est Kaine, tandis que Ben Reilly est devenu Chasm, autrement dit un criminel, une version sans foi ni loi de ce qu'il était avant, c'est-à-dire un frère pour Peter Parker. Ici, Kaine a appris que son clone-frangin était de nouveau en train de filer un mauvais coton (ou une mauvaise toile, c'est selon). Ce qu'il voudrait, c'est donner à la vie de Ben un sens plus noble que de dévaliser des gosses de riches et d'épouvanter les criminels déments. Mais lorsqu'il découvre que Ben est sous l'emprise de Druig, qu'il commet des actes dont il n'a pas conscience, que des monstres sont impliqués dans cette sombre histoire, le pauvre bon samaritain défiguré comprend qu'il va devoir s'employer au delà du raisonnable (tout en payant son loyer en retard à son propriétaire, une sorte de malédiction récurrente des Parker). L'Homme Taupe et ses Moloïdes est aussi de la partie, mais franchement, je vais être honnête, dès la première dizaine de pages passée, je me suis déjà retrouvé dans l'embarras le plus total, à savoir finir ce qui est une purge quasi illisible, parce que oui messieurs dames, je vais toujours au bout de mes lectures, aussi dispensables soient elles. Seul point positif, les dessins de l'italien Andrea Broccardo, un artiste qui mériterait des titres bien plus nobles et passionnants, dont le trait souple et toujours énergique permet au moins de produire de belles pages, qui n'ont certes aucun sens. Mais à quoi peut bien servir ce Ben Reilly là dans l'univers Marvel ? Pourquoi un tel acharnement sur ce personnage pourtant magnifique, tragique, mais attachant ? On ne comprend pas, on ne comprend plus rien, c'est parfaitement superfétatoire. Le fardeau n'est pas pour Kaine, mais pour nous autres, imprudents lecteurs. 



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LA NUIT DES LANTERNES CHEZ DELCOURT : LE DEUIL, LA COLÈRE, L'HORREUR


 Le personnage principal de cet album signé Jean-Étienne s'appelle Eloane. C'est une jeune femme qui retourne dans la maison familiale, située sur une île étrange appelée L'île aux lanternes. Cela fait quelques années qu'elle n'a pas pris le ferry pour retrouver les siens, et pour cause : dès les premières pages, nous faisons connaissance avec le drame qui a marqué son existence, dans un passé proche. Lors du même festival, son père qui était resté seul dans le phare familial, plutôt que d'accompagner son épouse et ses enfants, est mort tragiquement, brûlé vif. Qui plus est Eloane et son paternel avaient eu une dispute juste auparavant. Il faut dire que la première cité est une forte tête, qu'elle a toujours tenue bon face aux décisions des adultes et au caractère autoritaire de sa mère. Eloane a aussi un petit frère qu'elle adore et qu'elle tente de protéger ; celui-ci a subi un traumatisme lors du décès de son père, à tel point qu'aujourd'hui il ne profère plus le moindre mot et communique avec les autres en leur envoyant des messages, avec son téléphone. Et puis autre élément important de cette bande dessinée, le festival en soi, où il est question d'apporter une lanterne à une espèce de patriarche qui organise une grande cérémonie. Chacun doit laisser sa flamme s'éteindre lentement et par la même occasion accepter de se libérer du poids des remords, des soucis de tout ce qui peut nous gâcher la vie, à l'intérieur. Bien entendu, Eloane ne croit absolument pas à tout ce qu'elle considère être des sottises superstitieuses… et c'est bien dommage, car elle porte en elle une colère mortifère et des failles incommensurables.



Nous avons tous été confrontés, un jour ou l'autre, aux difficultés de la communication : cette impossibilité de transmettre ce que l’on ressent, y compris aux membres les plus proches de notre famille. Ironiquement, c’est souvent en raison même de ces liens familiaux que surgissent malaise, angoisse ou colère, rendant leur expression d’autant plus difficile. La Nuit des lanternes aborde ce dilemme avec une approche rapide et percutante, en le transposant dans un récit où l’horreur vient se mêler aux tensions familiales. "L’héroïne" y subit une transformation des plus surprenantes, devenant une sorte d’être de feu. Mais elle n'est pas le seul "monstre" à hanter les lieux. Très vite, colère et secrets cèdent la place à une menace plus sombre encore, et le récit nous entraîne peu à peu dans l’inconnu et la terreur. Jean-Étienne déroute et séduit sincèrement avec cet album, d’abord par un dessin très personnel, presque expressionniste. Les forts contrastes entre noirs, rouges et teintes orangées donnent à certaines scènes une intensité visuelle frappante, qui évoquent de véritables incendies sur la page. L’histoire, originale, traite d’un sujet universel avec frontalité, ce qui confère à cette bande dessinée un véritable pouvoir d’attraction sur un large public. On pourra toutefois regretter que la relation entre Eloane et son père soit expédiée un peu rapidement, sans que l’on puisse réellement en comprendre les enjeux et les détails profonds. En revanche, le lien mère-fille bénéficie d’un traitement plus développé, qui apporte une touche de pathos intime et bienvenue à l’ensemble. En somme, une surprise originale que nous vous recommandons vivement de découvrir.

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LE REBOOT DE WITCHBLADE PAR BENNETT & CAFARO


 Nous étions sans nouvelles de Sara Pezzini depuis presque une décennie. Certes, en 2017, un nouveau titre intitulé Witchblade avait bien vu le jour chez Image Comics, mais il mettait en scène un autre personnage, dans une tentative de moderniser le mythe des années 1990. Ce projet, clairement, n’avait pas totalement trouvé son public. Cette fois, ne boudons pas notre plaisir : il s’agit bel et bien du retour de mademoiselle Pezzini, celle qui fut, à la grande époque, la Witchblade que nous avons tant appréciée. Ce retour prend la forme d’un reboot, ce qui signifie que l’histoire repart entièrement de zéro. Il n’est donc absolument pas nécessaire de connaître le personnage ni d’avoir lu ses précédentes aventures pour s’y plonger. D’autant que la scénariste, Marguerite Bennett, reprend un grand nombre d’éléments du passé, tout en les modernisant et en y ajoutant de nouvelles trouvailles. Le récit parvient ainsi à être à la fois fidèle à l’esprit de la série d’origine et suffisamment novateur pour séduire une nouvelle génération de lecteurs. À l’époque, Witchblade se distinguait par son esthétique marquée : un personnage féminin à peine vêtu, dont l’arme mystique se manifestait sous la forme d’un gant lui conférant des pouvoirs extraordinaires. Dans cette nouvelle version, l’approche est suffisamment différente. Sara est désormais assaillie par une sorte d’artefact qui un beau jour s’empare d’elle, et lorsqu’il se manifeste, c’est une véritable armure qui recouvre son corps. Ce choix permet d’éviter l’écueil d’une représentation trop sexualisée, qui ne serait clairement plus de mise en 2025. L’histoire nous présente Sara en inspectrice de police, infiltrée dans les milieux interlopes des trafiquants d’êtres humains ; elle se fait passer pour une flic corrompue. Son véritable objectif est tout autre : retrouver les assassins de son père, lui aussi membre des forces de l’ordre, trahi et abattu par certains de ses propres collègues véreux. Avant d’embrasser la carrière de policière, Sara a servi plusieurs années dans les Forces Spéciales militaires. C’est donc une combattante aguerrie, déterminée à aller jusqu’au bout pour venger le paternel et se libérer du poids de son passé.




Si le retour de Witchblade fonctionne aussi bien, c'est pour deux raisons principales. La première, c'est la manière avec laquelle Marguerite Bennett modernise la série tout en restant fidèle à ses origines. Elle parvient ainsi à parfaitement nous expliquer la manière dont l'artefact s'empare de Sara, au point que cette dernière se sent comme privée de son propre corps. Au fil des épisodes, de nombreuses références à ce que peuvent ressentir les femmes dans la société, quand elles sont tendance à être objectivées ou déshumanisées, sont ainsi reliées aux nouvelles capacités de l'héroïne et à cette armure qui lui permet d'acquérir des dons extraordinaires, mais qui la coupe de son libre arbitre et de ses choix, si jamais elle accepte de se laisser dépasser par ces dons. C'est alors particulièrement bien vu et écrit, avec finesse. L'autre point important, c'est le dessin de l'italien Giuseppe Cafaro : il s'agit d'une production Top Cow et donc il est évident que le dynamisme, la plastique des personnages, la mise en page explosive, doivent respecter certains codes hérités de la grande époque de Marc Silvestri ou Michael Turner. Cafaro est capable de maîtriser tout cela avec maestria, bien aidé il est vrai par les couleurs d'Arif Prianto. Le duo nous offre une véritable leçon de dessin dans la catégorie "comment recycler les années 1990, ou plutôt le meilleur de cette décennie, pour en faire quelque chose de survitaminé en 2025". Chaque épisode apporte son lot de suspense, fait bien avancer le récit et il est évident que la nouvelle mouture de Witchblade à tout pour être une petite série à suivre de très près. Nous espérons sincèrement qu'elle va rencontrer un succès mérité. Le premier Tpb est disponible et le numéro 10 va bientôt sortir aux States. 



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LE HULK ROUGE EN MUST-HAVE CHEZ PANINI : MAIS QUI EST LE HULK ROUGE ?


 Hulk est vert. A d'autres reprises, il fut gris. Mais rouge ? Voyons, ça n'est pas sérieux ! Sauf que si. Le fait est que ce Hulk là (Rulk, comme il est aussi nommé, contraction de Red et Hulk) n'est pas celui auquel vous pensez. Exit Bruce Banner, qui pour une fois n'est pas responsable des méfaits constatés, et place à… Mais n'en disons pas plus, car pour ceux qui n'ont pas vu le film Brave New World ou encore jamais parcouru ces pages, le mystère de l'identité du colosse écarlate est de mise, et c'est un des moteurs de l'action (non, je plaisante, tout le monde sait que c'est le colonel Thaddeus E. "Thunderbolt" Ross qui perd son sang froid). Nous sommes ici en Russie, et Leonard Samson (psychiatre dopé aux rayons gamma) et Miss Hulk mènent l'enquête. Emil Blonski (l'Abomination, un des ennemis récurrents de notre héros vert) a été neutralisé et abattu, après un énième combat furibond. Tout le monde est d'accord, du S.H.I.E.L.D. à Iron Man, utiliser une arme à feu n'est pas le modus operandi habituel du colosse de jade, bien plus habitué à tout détruire sur son passage à coups de poings. Et puis son avatar "humain", le docteur Bruce Banner, est toujours en détention. Du coup, la vérité commence à poindre : il y a un autre Hulk en liberté, et lui aussi ne fait pas dans la dentelle quand il entre en action. En plus, il recourt à la force létale et à l'armement pour se faire respecter ! Un témoigne recueilli permet même de définir la couleur de la menace : le rouge, et pas le vert. Bonne nouvelle, vous allez rapidement parvenir à comprendre la problématique et les enjeux. Car Jeph Loeb n'a pas pour ambition de livrer une œuvre approfondie et à multiples interprétations, juste celle de fournir un divertissement décomplexé et musculaire, où l'action et la baston sont les moteurs du récit. Le Hulk rouge est ultra brutal, bagarreur, et tout le monde en prend pour son grade dans chaque épisode, Avengers compris…



Voici un album qui se lit rapidement, du coup. Peut être même bien que son principal atout réside dans les dessins de Ed McGuinness. Trait clair et propre, tendance à l'exagération anatomique pour faire ressentir d'avantage la puissance des combats, quitte à loucher vers le cartoon, et orgie de gros bras musculeux et de créatures labellisées "gamma", comme A-Bomb, qui apporte aussi une touche de bleu… Vaste défouloir que certains considèrent comme un comic-book potache, ce Red Hulk est aussi une quête, celle d'un anti-héros aux méthodes discutables, qui tape sur tout ce qui bouge, au point même de s'en prendre à Uatu le Gardien, pourtant un être des plus pacifiques, tandis que le microcosme et l'univers gravitant autour du Hulk classique s'emballe. C'est l'inflation, on a l'impression que récupérer des pouvoirs liés à la bombe gamma, c'est à la dernière mode et qu'il est aussi facile de se les procurer que d'aller chercher son paquet de Marlboro au tabac du coin. Loeb nous entraîne dans une enquête aux accents presque noir, en jouant habilement avec les points de vue, les doutes et les rebondissements, tout en tissant une intrigue qui mêle l’action explosive propre à Hulk à la tension d’un thriller d’investigation. Le rythme est effréné, sans répit, sans le moindre temps mort. C’est d’ailleurs là que réside le seul léger défaut du récit : à certains moments, le nombre de personnages en présence semble un peu trop élevé, et bien que leur gestion soit maîtrisée, l’ensemble peut parfois donner une impression de surcharge. Survenant après un petit bijou comme Planet Hulk, et un gros événement salué par à peu tous comme World War Hulk, ce cycle réalisé par Jeph Loeb fait figure de récréation explosive, mais pas très fouillée. On devine qu'il n'a pas du passer bien longtemps à écrire chaque épisode, pourvus de tonnes de coups, de mandales, et de "Hulk Smash" de la bonne vieille école. Bref, prenez tout cela au troisième degré, et consommez votre blockbuster sans la moindre vergogne. 



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MINOR ARCANA : LA MAGIE ET LES TAROTS AVEC JEFF LEMIRE


 Jeff Lemire, c'est une référence absolue. En ce qui me concerne, tout du moins. Et je ne suis pas un fan aveugle qui ne sait pas reconnaître les baisses de forme de l'animal, ou encore sa volonté de produire en masse, trop souvent, au détriment de la qualité extraordinaire qui a caractérisé ses premières publications dans l'industrie du comic book. Avec Minor Arcana, nous revenons aux choses sérieuses, c'est-à-dire du Lemire pur jus, avec des thématiques déjà explorées à maintes reprises, mais toujours présentées avec une touche vibrante d'humanité et une sensibilité réelle envers les cabossés de la vie, ceux qui ont traversé des épreuves et en sont ressortis changés à jamais. Bon, je ne tenterai pas de convaincre les allergiques au style graphique du canadien, quand il entreprend de dessiner aussi ce qu'il écrit. Pour moi, c'est un concentré d'émotions brutes, un univers où tout est suggéré derrière une patine de tristesse, où le trait simple et parfois minimaliste regorge d'infinis nuances et transmet tous les états de l'âme. Ce qui rend l’histoire si immersive, dans Minor Arcana, c'est cette approche, mais aussi le fait que Theresa St. Pierre, la protagoniste de la série, interagit avec le petit monde qui l’entoure et qu'elle a volontairement abandonné. Retour au point de départ, confrontations familiales et secrets encore à révéler, soyez les bienvenus dans les obsessions de l'artiste. Que ce soit dans ses échanges avec les habitants de sa ville natale ou simplement lorsqu’elle déambule dans les rues, chaque détail contribue à brosser le portrait de l'héroïne qui n'en est pas une. Cette ambiance un tantinet glauque sert de toile de fond à un récit plus profond : le retour de Theresa dans sa ville d’enfance pour s’occuper de sa mère malade, atteinte d'un cancer. Mais très vite, on comprend que ce retour ne se limite pas à cette seule raison. Il y a une amie chère (amie aimée d'amour) qui a refait sa vie avec un policier local, il y a le fantôme du père… À mesure que Theresa se confronte à la vérité, on comprend que son retour ne relève pas uniquement du devoir filial. Plus elle est honnête avec elle-même, plus le monde qui l’entoure prend une nouvelle dimension. Quant à sa mère, elle lit les cartes, prédit l'avenir, prétend parler avec les morts. Des conneries, pour sûr, selon la fille.




Sauf que tout à coup, Theresa se retrouve dans un étrange bâtiment désert. Est-ce la réalité ou un mauvais songe ? Elle est d'ailleurs persuadée qu'il s'agit d'un rêve dont elle ne parvient pas à s’extirper. Errant dans les couloirs, elle découvre bientôt une porte qui, contre toute logique, s’ouvre sur une nature bucolique. Theresa y fait la rencontre d’un homme, mais elle refuse de croire qu’il est le mari de la femme pour qui elle avait décidé de tirer les cartes, un beau soir sans y croire, en remplacement de sa mère endormie. Le lecteur comprend vite de quoi il s'agit : un moment empreint de magie, que Theresa se refuse pourtant à considérer comme réel. La jeune fille aurait donc des pouvoirs, la capacité d'aller tailler le bout de gras avec les défunts ! C’est alors que sa mère entre en scène et lui reproche d'avoir fait fuir une de ses rares clientes, avec sa réaction effrayée. Theresa pique une belle colère, rejette sa mère et tombe dans une rage profonde, qui agit finalement comme un bouclier pour éviter toute prise de conscience sur ce qui est en train de se jouer. Tous les personnages de Minor Arcana semblent porter dans leurs yeux un deuil indicible. Celui du remords, de l'incapacité de se comprendre, de la pesanteur d'une vie qu'ils subissent, dont ils ne peuvent fuir. En apparence, car les cartes et la divination sont claires, Theresa va avoir les moyens de renouer peu à peu tous les fils de la trame, de remonter le temps, d'enquêter sur ses propres racines, sur la tragédie qui a bouleversé à jamais l'histoire de sa famille. La magie comme deus ex macchina, pour une série qui s'attarde une fois encore sur le poids écrasant des secrets, des non dits, avec une douloureuse sincérité. Le Jeff Lemire 2024/2025 semble être une bonne cuvée. Pour le moment, uniquement en VO. 



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ROCKETEER : NOUVELLES AVENTURES CHEZ DELCOURT (EN HOMMAGE À DAVE STEVENS)


 Créé en 1982 par Dave Stevens, Rocketeer est un comic book qui rend hommage aux épopées d’aventure des années 1930-40. Son héros, Cliff Secord, est un pilote d'avion et cascadeur qui découvre un jet-pack expérimental conçu pour l'armée et initialement dérobé par une bande de malfrats. Malgré lui, il devient un justicier poursuivi par des gangsters, des espions nazis et des agents gouvernementaux. Vous l'avez deviné, l’univers du Rocketeer repose sur une esthétique rétro-pulp sublimée par le style graphique détaillé du tant regretté Stevens. Son encrage soigné et son souci du détail dans la reconstitution de l’époque font de sa série un petit bijou méconnu du genre (pourtant très tôt adaptée au cinéma ; en 1991 chez Disney, est sorti un film réalisé par Joe Johnston, avec Billy Campbell et Jennifer Connelly) Parmi les personnages marquants, on retrouve la petite amie Betty, inspirée par Bettie Page, qui incarne une beauté pin-up et une femme de caractère, ainsi que Peevy, mécanicien et mentor de Cliff. Au menu, du romantisme, de l'humour et pas mal action, suivant la recette des vieux films d’aventure. Mais voilà, Dave Stevens est décédé en 2005 et depuis son personnage a été repris à plusieurs reprises par d'autres artistes. La série a d'ailleurs connu un appendice intéressant en 2013, chez l’éditeur IDW, avec un florilège de récits courts regroupés dans ce volume édité par Delcourt en ce mois de mars. Ces tranches de vie permettent d’apprécier le talent de certains des artistes les plus marquants des comics américains de ces dernières années. Il convient également de souligner que plusieurs d’entre eux nous ont malheureusement quittés à leur tour depuis la réalisation de leur histoire. C’est notamment le cas de John Cassaday et Darwyn Cooke, deux dessinateurs d’exception qui occupent une place de choix dans le panthéon du genre. C'est donc un hommage à plusieurs niveaux qui se met en place, dans un album aux styles très différents, mais à la beauté graphique épatante.




 Betty est une femme splendide, une pin-up dans tous les sens du terme, aussi Cliff est régulièrement jaloux, dès lors que sa petite amie participe à des castings ou quand elle est confrontée aux avances de nouveaux prétendants. De son côté, cette dernière n'apprécie pas forcément le côté casse-cou du jeune homme et la célébrité qu'il peut acquérir, lorsqu'il endosse son jet-pack. Bref, leur relation pimente la plupart des épisodes de manière très agréable. La fidélité de Betty est testée dans un récit très émouvant où elle passe les derniers mois de la guerre à attendre des nouvelles de son fiancé, alors que les hommes qui l'entourent considèrent qu'il est forcément mort au combat, puisqu'il ne donne pas de nouvelles. Kurt Busiek écrit décidément des choses touchantes et toujours pertinentes. Dans un des autres petits épisodes, nous faisons la rencontre du pendant allemand de Rocketeer, une aéronaute qui arbore les couleurs nazis et qui tente de voler les plans pour un nouveau jet-pack encore plus performant. Il est bien entendu nécessaire pour Cliff de maintenir son identité secrète et parfois, il est à deux doigts d'échouer, mais toujours il parvient à rester l'idole des foules, capable même d'intervenir en pleine séance de cinéma pour sauver l'établissement d'une bande de malfaiteurs, et devenir ainsi la star du moment. Ce qu'il n'est pas toujours, comme lorsqu'il se fait voler la vedette par un acteur qui endosse le costume de AeroMan, la merveille volante, incarnation d'un personnage de bande dessinée, ce qui permet à Mark Waid de conclure joyeusement les quelques pages qu'il écrit par des remarques sarcastiques et fort drôles au sujet des comics. Concernant les dessinateurs, on le répète, les pages sont toutes excellentes, mais nous avons eu un coup de cœur particulier pour la peinture gracieuse et magnifique de Scott Hampton, et bien entendu, la classe infinie de John Cassaday. Ce petit album a beaucoup de charme et des tas de raisons pour séduire, même si vous ne connaissez pas du tout son protagoniste : en quelques pages, vous allez tout comprendre et forcément adorer cet hommage à Hollywood d'autrefois. 



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CORSO : LES CHIENS vs LES CHATS… DANS L'ESPACE


Comme vous le savez tous, les chats et les chiens ont en général tendance à ne pas faire trop bon ménage. Certes, si vous avez un exemplaire des deux quadrupèdes à la maison, vous vous êtes probablement rendus compte qu'ils peuvent très bien cohabiter et devenir les meilleurs amis du monde. Mais ici, dans l'univers de Corso, les choses sont en apparence très différentes. Il faut imaginer que cette antagonisme atavique est reproduit dans l'espace à l'échelle cosmique. Le personnage principal de cette bande dessinée s'appelle donc Corso et il est pilote au service de la République des Chiens. Incontestablement, il fait preuve de talent mais il n'a pas le bon pedigree, histoire de faire comprendre au lecteur qu'il n'a pas un carnet d'adresse très étoffé et n'appartient pas à la bonne classe sociale, sur sa planète. Du coup, lorsqu'il part au combat pour affronter une escadrille de la Monarchie des Chats, son comportement et ses prises d'initiatives ne sont pas appréciés de ses supérieurs, même s'il vient en aide à l'un de ses collègues en grande difficulté. Il contrevient trop rapidement aux ordres, pire encore, son vaisseau est touché et le voilà qui fait naufrage sur une planète inconnue, où d'entrée il va être confronté à des conditions proches du survivalisme. L'endroit semble particulièrement aride, peuplé de petites bestioles très étranges ; pas la moindre goutte d'eau à l'horizon et pour seul compagnie une sorte de petit papillon, qui semble voler grâce à l'électricité statique. Alors Corso a beau être un pilote doué, sera-t-il capable de résister longtemps à de telles conditions hostiles ? Par chance, il va finir par découvrir des recoins un peu plus florissants et même pas rentrer en contact avec les habitants de ce monde singulier.



Certes, ce n'est pas le premier récit qui met en scène des animaux anthropomorphes dans des situations habituellement réservées aux êtres humains bipèdes que nous avons l'occasion de lire. Néanmoins, Danilo Beyruth, qui est un des auteurs brésiliens les plus appréciés du moment, parvient à synthétiser toute une liste d'influences évidentes, pour obtenir un amalgame personnel truffé d'énergie, avec un capital sympathie indéniable et un personnage principal attachant, le tout dans un noir et blanc élégant rehaussé par un trait bien affirmé, qui n'a pas peur de s'émanciper des rondeurs rassurantes pour caractériser tout un univers à partir de rien. L'histoire est touchante puisque sur cette planète inconnue Corso va rencontrer une tribu de chats, qui ignorent jusqu'à l'existence même des chiens, leurs ennemis naturels, et qui vont peu à peu l'accepter parmi eux. Le problème étant que l'impossibilité de communiquer entraîne toute une série de quiproquos et une méfiance bien difficile à dépasser. Il faut aller au fin fond de l'univers, c'est-à-dire ne pas avoir peur de creuser pour découvrir et se découvrir soi-même, semble nous dire l'auteur, pour se trouver. La surprise finale, je vous la laisse découvrir en vous procurant cet album publié aux éditions Soleil. Mais autant le dire tout de suite, Corso est une lecture hautement recommandable, qui a l'avantage de pouvoir s'adresser à tout un tas de publics différents, tout en étant probablement en mesure de satisfaire un peu tout le monde. Une des jolies découvertes de ce début d'année.






CHASM : LE FARDEAU DE KAINE (UN FARDEAU POUR LES LECTEURS)

 En mars 2024, Marvel a publié un gros fascicule intitulé Web of Spider-Man , censé donner un aperçu de quelques unes des trames sur le poin...