L'Homme Invisible, c'est un grand classique de la science-fiction. Si vous confiez le revisitation du mythe à Jeff Lemire, vous obtenez...
Ce récit se présente sous la forme d'un graphic-novel de 144 pages, paru dans la collection Vertigo de Dc Comics (Panini en Vf). Monsieur Personne, ou tout le monde, en fait. Chez Lemire, l'exceptionnalité, c'est la règle. Nous le sommes tous, et pourtant tous identiques. Comme souvent (dans Essex County par exemple) l'auteur choisit de dépeindre une petite bourgade, de pêcheurs, pour situer l'action du récit. Large Mouth ne compte que 764 habitants, et son seul fait d'arme est d'être l'endroit d'Amérique où se trouvent les plus grosses tanches. Avec tout ce que cela signifie au niveau des mentalités, de la suspicion, des secrets enfuis, et de la solitude intrinsèque des habitants. Lemire sait de quoi il parle, il vient de ce type de paysage, et il peut y évoluer avec une aisance déconcertante. Un étranger se présente un jour, couvert de bandages, de la tête aux pieds, qui dissimulent sa véritable identité. Après un grave accident qui reste nimbé dans le mystère, il est venu chercher réconfort et tranquillité, mais il ne va trouver que l'hostilité de ceux qui ne le comprennent pas, puisqu'il n'entre pas dans les codes du lieu, ne ressemble pas aux autres, ne peut se fondre dans cette masse anonyme qui pointe du doigt tout ce qui se targue de sortir de la masse. En fait, Monsieur Personne, c'est l'Homme Invisible. Un retour sur la création de H.G.Wells. Mais qu'est-ce que l'invisibilité? La capacité scientifique de ne pas réfracter les rayons lumineux et d'échapper à la vue des autres, ou tout simplement ne pas trouver sa place, ne pas être en mesure de se faire accepter et de jouer un rôle au sein d'une communauté, quelle qu'elle soit?
764 habitants et une seule bonne âme pour écouter et rencontrer notre invisible man : une fillette de seize ans, qui au passage commence à mieux cerner le monde qui l'entoure. Une relation platonique qui ne tombe ni dans le mièvre ou le malsain, et n'a d'autres ambitions que d'unir brièvement deux solitudes différentes, qui trouvent un espace illusoire de réconfort dans cette tranche de vie partagée. Notre Nobody est-il d'ailleurs aussi gentil, et victime qu'il y parait aux lecteurs? Peut-il être tenu pour responsable des drames qui ont récemment traversé son existence, puisqu'ils sont la conséquence de ses recherches scientifiques, de ses ratés professionnels? Le monde selon Jeff Lemire est cette fois noir, blanc, et bleu, avec un trait toujours aussi porté sur l'abstrait, le naïf, l'essentiel. Derrière le charme en apparence essentiel et maladroit de ses planches, le canadien signe une autre prestation de grande volée, où les silences des personnages valent autant que des discours dithyrambiques (Vicky, la fillette, et son père), où la banalité du quotidien (une balade près d'un lac, la neige en hiver) devient exercice poétique sans forcer, sans même la volonté de jouer sur la corde sensible du lecteur. Les travaux de Jeff Lemire ont ce don, de transcender passé, souvenirs, émotions, intégrité, et la nature, pour en faire une oeuvre d'art grouillante de vie et d'authenticité, qui interroge nos propres certitudes sur l'existence. L'invisibilité, chez lui, n'a jamais été aussi belle à voir.
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