Je vous rappelle en quelques mots le principe des Guerres Secrètes, version années 1980. Le Beyonder, un être tout-puissant venu du fin fond de l’univers, convoque sur une planète composite — créée pour l’occasion — une belle brochette de super-héros et de super-vilains. Une fois sur place, tout le monde tape sur tout le monde, et le vainqueur se voit promettre une récompense à la hauteur : la réalisation de tous ses vœux. Pif, paf, pan ! Prends ça, manant ! Voilà, c’est résumé. Fallait-il vraiment envisager une suite, deux ans plus tard, avec Secret Wars II ? Évidemment, la réponse est loin d'être évidente. Comme vous le savez, ce n’est pas moi qui décide — et de toute façon, à l’époque, j’étais bien trop jeune. On retrouve donc le Beyonder, cette fois en déplacement. Il débarque sans prévenir sur notre planète, animé par une étrange quête : comprendre ce que signifie "vivre", à la manière d’un humain énigmatique. Lui n’a aucune expérience, et ses efforts se tendent vers cet objectif. Boire, manger, frapper, rêver… pour lui, rien n’a de sens. Il va donc consulter quelques héros qu’il connaît déjà, histoire de leur demander comment combiner observation et expérimentation dans l’espoir d’atteindre cette sagesse qui lui échappe. Après avoir frayé avec un scénariste de série télé à Hollywood — à qui il offre, de manière totalement imprudente, des pouvoirs extraordinaires —, le Beyonder débarque chez Peter Parker. Mais de cet échange inédit, le seul enseignement qu’il en tire, c’est comment on évacue ses intestins aux toilettes. A-t-il au moins entendu parler du papier hygiénique ? Mystère insondable et gastro au menu. Le Beyonder poursuit son odyssée philosophique auprès de Reed Richards (pour une fois peu loquace), puis des Heroes for Hire, Iron Fist et Luke Cage. Ce dernier, fidèle à lui-même, l’accueille comme un bourrin et commence par lui coller quelques coups, mais tout s’arrange ensuite. Le duo s’en tire avec les honneurs… jusqu’au moment où l’étranger transforme leur immeuble à étages multiples en un bâtiment tout en or, qui s’écroule aussitôt sous son propre poids. La raison ? Ce bêta de Cage lui avait confié que la vie était régie par l’argent et la possession de biens matériels. Du coup, le Beyonder repart, méditant sur les taux d’intérêt et comment se remplir les poches de dollars. Il était venu chercher la connaissance, il repart reconverti en gourou façon Bolloré.
Le Beyonder possède, au fond de lui, cette candeur, cette innocence propre à celui qui ne sait rien, faute d’avoir rien expérimenté. Mais il veut tout savoir, tout vivre — et vivre, justement. Il s’acoquine donc tout naturellement avec la pègre locale, qui lui apprend les ficelles du métier. Doté de pouvoirs illimités, le Beyonder dame le pion au Caïd, investit la Maison Blanche, devient le maître incontesté de toute l’Amérique. Mais cela ne lui suffit pas : que vaut une telle existence si l’on prive les autres de leur libre arbitre ? Et surtout : où trouver un véritable sens à la vie ? Dans l’amour, peut-être ? Le Beyonder commence par une brève aventure avec une prostituée, qui lui apprend les bases du comportement intime. Puis il décide (véridique !) de tomber amoureux de Dazzler. Comme s’il l’avait choisie sur catalogue, il se met en tête qu’Alison doit devenir sa compagne, point final. Évidemment, cela ne plaît pas à tout le monde : les X-Men décident de lui régler son compte, et la jolie blondinette, objet de ses attentions, choisit de le plaquer à la première occasion. Le Beyonder souffre, déprime, et c’est sa rencontre avec la jeune Tabitha (membre des Nouveaux Mutants et de X-Force par la suite) qui lui permet de retrouver un peu d’élan, avant de nouveaux affrontements, tour à tour avec les X-Men, les super-vilains de l’univers Marvel, et à vrai dire un peu tout le monde. Le fait est qu’il nourrit l’ambition démesurée d’effacer la mort elle-même. Modestie, avant tout. Jim Shooter est capable du meilleur comme du pire. Son récit n’est pas dépourvu de bonnes intentions, bien au contraire, et ce qu’il dit ou esquisse sur la création — notamment dans le final — se révèle plutôt juste et même poétique. Mais les nombreux tie-in s’avèrent souvent redondants, parfois improvisés, et Secret Wars II déborde dans trop de séries, jusqu’à ressembler à un gigantesque pudding indigeste. Si l’on se contente de suivre la série principale en neuf volets, comme ici, l’ensemble demeure beaucoup plus cohérent et pertinent. Sauf qu’Al Milgrom, au dessin, livre une prestation disgracieuse : une multitude de petites cases surchargées de didascalies et de dialogues rendent la lecture fastidieuse — surtout pour celles et ceux qui n’ont pas vu d’ophtalmo depuis trop longtemps. Secret Wars II n’est donc pas une lecture indispensable, mais elle peut encore surprendre, avec le recul, par la justesse et l’inspiration de certaines pages, où un être tout-puissant et omniscient se trouve tourmenté par la simple condition de mortel — une énigme qu’il n’appréhende jamais vraiment, mais qu’il ne cesse de questionner, entre pathétique et poésie. Panini nous fait la divine surprise de ressortir la chose dans un bel album à 32 euros, avec même un coffret et les premières Guerres Secrètes du nom. Chouette, alors ?
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