DERRIÈRE LA PORTE : LA FAMILLE ET LA PEUR SELON TYNION IV


 Derrière la porte (The Closet en version originale) est une courte série en trois numéros écrite par James Tynion IV et dessinée par Gavin Fullerton. En apparence, tout ce qu'on peut en dire est simple : un enfant qui voit un monstre dans son placard, un père persuadé qu’un déménagement résoudra aussi bien les cauchemars de son fils que les fractures de son couple, et une mère qui, à force de disputes, pourrait bien souhaiter que le monstre avale tout le monde pour de bon. Derrière ce canevas, James Tynion (The Fourth, ça va de soi) déploie un récit d’horreur domestique où le surnaturel ne fait que prolonger les fissures bien réelles d’une famille au bord de l’implosion. Jamie, quatre ans, a peur de ce qui rôde dans sa chambre ; Thom, lui, préfère tenter d'oublier dans l’alcool et les promesses de « nouveau départ » plutôt que d’affronter sa responsabilité de mari et de père. Quant à Maggie, elle est tellement lassée de la médiocrité de son compagnon qu’on en vient à se demander si elle n’accueillerait pas le monstre avec des petits fours. La force de Tynion réside dans sa manière d’utiliser une peur enfantine universelle pour la faire basculer dans l’angoisse existentielle : et si le monstre n’était qu’une métaphore, ou pire, une vérité que personne ne veut regarder en face ? Le problème, c’est que la série tourne parfois en rond : un Thom qui confesse ses échecs, un Jamie terrorisé, un silence lourd, et on recommence. Le procédé aurait sans doute eu plus de mordant dans un one-shot dense, plutôt qu’étiré sur trois chapitres. Néanmoins, ça en devient attachant et pertinent, à condition d'accepter qu'il n'y a pas de vrai climax dans ces pages.



Il faut reconnaître que le twist final, qu’on aime ou qu’on déteste, renverse la lecture d’ensemble et donne soudain un goût amer aux scènes répétitives. Le malaise, bien plus que la terreur, est la vraie réussite de cette mini-série. Gavin Fullerton accompagne ce climat avec des planches sobres, des aplats d’ombre, des monstres pas toujours convaincants mais des silences graphiques qui glacent plus sûrement que mille effets sanglants. On nage dans l'incertitude, et on se surprend souvent à détester tous les membres de cette famille. Le père qui n'a de cesse de geindre et qui après tout doit assumer son infidélité, source de tous ses problèmes de couple. L'épouse, qui n'est pas un monstre de sympathie et attend le bon moment pour passer une soufflante à son mari. Et même le gamin ! Certes, il a quatre ans, l'âge auquel on devrait tout pardonner, normalement. Mais ne faisons pas semblant d'ignorer la réalité, un enfant peut aussi ajouter son lot de problèmes dans un couple qui se délite. Ce n'est pas de son chef, il n'y peut rien, mais ça arrive, et ça ne fait qu'accentuer les failles, qui peuvent devenir canyons. Tout cela est bien raconté, avec un vrai timing et une touche reconnaissable dans les dialogues. Tynion sait creuser dans les êtres qu'il met en scène, quitte à tourner et retourner mille fois la cuillère dans le pot. En somme, Derrière la porte n’est ni un chef-d’œuvre instantané ni un échec. C’est une fable noire sur la lâcheté parentale, les secrets de famille et la manière dont les enfants héritent des monstres des adultes. C'est bien ficelé, honnête, assez vrai. Franchement, ça se tente. 


NEW GODS TOME 1 : LA CHUTE DES DIEUX


 Cela commence comme beaucoup d'autres histoires, par une prophétie. Metron, qui a accès à la connaissance absolue à travers le mur que l'on appelle la Source, l'a énoncée de manière on ne peut plus clair : le monde des Nouveaux Dieux s'apprête à tomber, il ne restera rien du royaume du Haut-Père (Neo Genesis) ni d'Apokolips, là où autrefois régnait sans partage le redoutable Darkseid. Ce dernier est mort et comme souvent lorsqu'un individu de ce genre vient à disparaître, il laisse derrière lui un vide de pouvoir que beaucoup aimeraient bien combler, à leur façon. La bataille risque de faire rage et personne ne devrait en sortir indemne. Pendant ce temps-là, sur Terre, le couple formé par Mister Miracle et Big barda apprend ce que signifie être parents, depuis la naissance de la petite Liv. Hélas, ce charmant bonheur familial risque de ne pas durer très longtemps puisque le Haut-Père à chargé Orion (qui est aussi le frère de Scott Free) de se rendre sur notre planète, là où est apparu un jeune enfant destiné à devenir un Nouveau Dieu plus puissant qu'aucun autre auparavant. Ce qui lui est demandé est aussi simple qu'atroce : il s'agit d'éliminer physiquement le nouveau-né. Orion sait très bien que le seul qui pourrait lui empêcher de mener cette sordide histoire à terme, c'est le frangin, Scott/Mister miracle. C'est pourquoi il lui demande de trouver et d'enlever l'enfant; bref de réussir un de ses célèbres tours d'escapism dont il a le secret, pour sauver la vie d'un innocent qui va devoir être sacrifié. Bien évidemment, Scott préfère largement passer du temps avec sa femme et sa fille plutôt que de se lancer dans cette mission, d'autant plus qu'il a l'impression désagréable qu'on est en train de l'utiliser et qu'il ne peut échapper à sa nature, surtout quand les autres se chargent de jouer sur la corde sensible.




New Gods est assurément une série fascinante et exigeante. Ram V n'est pas un scénariste facile, c'est quelqu'un qui a son propre style, ses propres influences, qui généralement sait manier à la perfection des histoires sur l'éternité, la mort, des concepts métaphysiques qu'il parvient ici à insuffler à l'univers des Nouveaux Dieux. Ce qui permet de remettre en question ce que nous savons déjà et surtout de tracer un nouvel avenir pour ces personnages trop souvent ignorés du grand public. Mais comme toute lecture exigeante, il est possible qu'elle ne s'adresse pas nécessairement à tout le monde, d'autant plus que même le côté graphique peut dérouter beaucoup de lecteurs. Jesse Lonergan ou Evan Cagle sont des clients délicats et doués. Certaines pages oniriques ou symboliques ont en effet de quoi séduire les amateurs de dessin expressif et singulier, et rebuter tous ceux qui aiment le trait réaliste et classique des super-héros. Bref, ce sera forcément un album clivant. Il est intéressant de voir aussi superposées deux couches différentes : tout le discours divin, avec parfois des explications un peu confuses et une forme de mythologie qui peut apparaître pompeuse, et de l'autre le parcours tout ce qu'il y a de plus humain de Scott et Big barda, qui sur Terre ont la mission de protéger un enfant dont l'existence pourrait redéfinir celle des Nouveaux Dieux. On passe donc de l'infiniment grand à quelque chose de beaucoup plus intime, ce qui fait de ce premier tome une lecture qui ne se laisse pas facilement cerner et qui est susceptible de toucher un peu tout le monde, à condition bien entendu d'avoir l'esprit ouvert et d'accepter de lire et voir quelque chose qui n'emprunte pas les sentiers battus. Au risque donc de sembler incompréhensible ou prétentieux à certains lecteurs.



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THE BIG BURN : ROMANCE ET BRAQUAGE AVEC HENDERSON ET GARBETT


Au départ, ça ressemble à une histoire d'amour assez caricaturale, mais ensuite, ça tourne à la tragédie mystique et déjantée. The Big Burn commence par une histoire d’amour criminelle qui aurait pu être résumée en un one-shot parfaitement autonome. Owen et Carlie, deux apprentis braqueurs, visent par hasard la même banque. Dans la panique, ils tombent amoureux. Elle, stratège froide ; lui, charmeur un peu tête brûlée. Un duo improbable, porté par l’adrénaline et condamné dès la première page. Car, bien sûr, ils se font prendre. Fin du conte de fées ? Pas tout à fait. Ce n’était que le premier cinquième du récit, avant l’entrée en scène du troisième larron, assez inattendu : le Diable. C'est bien pratique pour échapper à la justice et la prison, il suffit de lui vendre l'âme, et le tour est joué. Le marché semble fonctionner dans un premier temps, mais ce n'est qu'une illusion cruelle. Si on feuillette ces pages distraitement, on peut croire qu'il s'agit d'une romance. Avec plus d'attention, on comprend : Joe Henderson se concentre surtout sur une rupture. L’éclat des débuts s’éteint vite, remplacé par le regret, la trahison et la débrouille sans espoir. Owen, privé de Carlie, perd pied. Avec l'âme, c'est tout simplement la vie qui a foutu le camp. Un grand vide se dresse entre les deux voleurs, qui n'ont plus rien au fond d'eux, si ce n'est le sentiment de ne plus être réellement là, pleinement. Owen refuse d’accepter cette mutilation affective et met en branle un plan de braquage infernal pour reconquérir ce qui a été offert au Malin. Mais peut-on vraiment aller voler le Diable chez lui ?



Pendant ce temps, Carlie végète dans un asile, et semble bien décidée à se laisser convaincre que rien de ce qu'elle a vécu est réel. On dirait une sorte d'Ocean’s Eleven possédé, avec en prime des dialogues grinçants entre Owen et le Diable, où chaque phrase sème le doute autant chez le héros que chez le lecteur. Un Owen qui utilise les recherche de sa partenaire pour rassembler d'autres individus (peu recommandables) aux quatre coins du monde. Des âmes perdues (ou vendues, pour être exact) et précieuses, chacun apportant sa pierre à l'édifice, pour mettre au point le plan parfait et tromper le Diable. Sauf que pour le rencontrer à nouveau, ce plan requiert un détail qui fait froid dans le dos : il va falloir mourir ! Côté visuel, Lee Garbett confirme qu’il est plus qu’un artisan solide. Son trait rappelle vaguement Cliff Chiang : des visages anguleux, des regards doux, sauf ceux du Diable, acérés comme des lames. L’alchimie avec Lee Loughridge fait le reste. Le coloriste opte ici pour des palettes sobres, des aplats qui ancrent les personnages dans une familiarité trompeuse. Et lorsqu’on plonge en Enfer, il brouille ses couleurs, les rend brumeuses comme si le réel se dissolvait sous nos yeux. Le rythme est effréné, on passe d'un retournement de situation à l'autre, on sourit souvent, et beaucoup. On vibre, aussi. C'est clairement une réussite décomplexée, un album qui se veut divertissant et intelligent dans sa manière de toujours promettre l'inattendu à chaque tournant. On soulignera juste, car on est omniscient et pointilleux, chez UniversComics, l'étrange ressemblance entre cette histoire et celle publiée l'été dernier dans la série Dylan Dog en Italie. Un diptyque intitulé Stangata agli inferni, qui présente la même trame de fond, le même casse aux enfers, le besoin de mourir tout en revenant à la vie grâce à un complice, le même passage au volant d'un véhicule pied au plancher, une fois dans l'au-delà. Et d'autres petites coïncidences, qui sèment un peu le trouble. En tous les cas, The Big Burn, et le Dylan Dog en question, offrent tous de bons moments de lecture !



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TERRES D'YNUMA TOME 1 : SAMOURAI ROUGE (CHEZ SOLEIL)


 Aquilon est un vaste monde coupé en deux par la Faille, et qui offre un contraste saisissant entre ses régions. À l’ouest, les terres d’Arran, nourries d’influences européennes, à l’est, les terres d’Ogon s’inspirent des cultures africaines. Plus loin encore, au-delà d’Arran, s’étend Ynuma, un continent marqué par les traditions asiatiques. Les clivages géographiques ne sont pas seulement visuels ou culturels : ils redéfinissent jusqu’au statut des anciennes races. Ainsi, orcs, elfes, gobelins ou nains, méprisés en Arran, se voient au contraire honorés en Ogon, preuve que chaque région développe sa propre mythologie et ses propres codes. Dans le décor somptueux des Terres d'Ynuma, une nouvelle fresque prend forme, cette fois avec un accent nippon évident. Mei-Jen, prêtresse du temple Dobushi, chemine aux côtés de Zhao, guerrier Kugo impressionnant, surnommé le samouraï rouge. Celui-ci appartient à une caste qui a renoncé aux sentiments et aux émotions et applique une logique pure face aux événements. Même chose pour ce qui est du plaisir et de la luxure; hors mariage, point de regards et donc aucune tentation. Leur mission s’accomplit au son des cloches du temple : traquer les démons qui franchissent "le Voile" et libérer les âmes perdues qu’ils tourmentent. Le tout dans de très beaux lâchers de papillons suggestifs, qui sont parmi les plus jolies séquences de ce tome initial. Leur premier affrontement se déroule dans un lac hanté par un Yurei, fantôme d’une noyée qui s’attaque aux baigneuses. Mei-Jen, déterminée, choisit de se jeter dans l’eau pour attirer la créature. Zhao hésite, inquiet, mais finit par accepter, faute d’alternative. Très vite, le plan tourne au vinaigre, puisqu'un tentacule s'empare de la splendide baigneuse et la tire vers le fond. Zhao n'écoute que son courage et la sauve. Avec ses faux airs de Hellboy et sa carrure taillée dans la pierre, le personnage est instantanément charismatique et adopté.



 L'album est organisé autour de 4 temps forts, de 4 missions différentes qui s'intitulent : L'étang, La source, le petit pâtre et Rêves perdus. Dans la seconde d'entre elles nous découvrons comment Zhao règle les problèmes, en ingérant les larves des démons qui tentent de pénétrer à travers la faille. Ensuite, c'est l'apparition d'un jeune berger qui déplore la perte des bêtes de son troupeau qui entre dans le récit. Le gamin va intégré le binôme composé de Zhao et Mei-Jen et apporter de la fraîcheur au duo. Enfin, dans la dernière partie, on découvre un terrible Fils du néant, une sorte de serpent de mer gigantesque qui se nourrit des souvenirs et du passé de ses victimes, jusqu'à ce qu'elles n'aient plus la moindre substance vitale. Le combat est très intéressant car non seulement nous avons droit à de l'action spectaculaire, mais en plus cela repose sur un concept fascinant, particulièrement bien exposé retranscrit par Nicolas Jarry. Le scénariste réussit le tour de force de nous maintenir en haleine du début à la fin, grâce à tout un tas de concepts, de personnages, de rebondissement traités avec un sens du rythme et du récit remarquable. On pouvait craindre au départ une énième caricature du genre, une simple variation sur un thème déjà joué mille fois, mais il n'en est rien. Et sans réinventer ce type de bande dessinée, Jarry réussit pleinement à convaincre dans son intention. Il faut dire qu'au dessin il est épaulé par un Vax absolument somptueux. Chaque planche, chaque vignette, chaque arrière-plan est soigné, tout est beau, tout est vivant, tout est impressionnant de clarté, lisibilité, et dans le même temps tout est spectaculaire. Les couleurs de Vincent Powell permettent d'apporter la touche finale à ce qui graphiquement ressemble à une des plus belles choses que vous allez pouvoir feuilleter cette année. En somme, nous étions curieux de tester ce nouveau cycle lié au monde d'Aquilon, prévu en 5 tomes. Le premier est une réussite complète.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : HISTOIRE DE LA MER


 Dans le 276e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Histoire de la mer, album que l’on doit au scénario de Matz sous la direction scientifique de François Lefèvre et Olivier Chaline ainsi qu’au dessin de Jörg Mailliet, un ouvrage co-édité au Arènes BD et chez Sorbonne université. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Ces lignes qui tracent mon corps que l’on doit à Mansoureh Kamari et qui est édité chez Casterman


- La sortie de l’album Une obsession que l’on doit à Nine Antico ainsi qu’aux éditions Dargaud dans la collection Chari vari


- La sortie de l’album Le piano de Leipzig que l’on doit à Tian ainsi qu’aux éditions Gallimard


- La sortie de l’album Hazara blues que l’on doit à l’histoire de Reza Sahibdad qui confie son histoire à Yann Damezin pour un album sorti chez Sarbacane


- La sortie de Pour adultes, avec réserves, second tome de la série Contrapaso que l’on doit à Teresa Valero et aux éditions Dupuis dans la collection Aire noire


- La réédition du premier tome de Contrapaso, un titre baptisé Les enfants des autres que l’on doit à Teresa Valero, qui retrouve le chemin des librairies au sein de la collection Aire noire des éditions Dupuis.





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LA BALLADE DES FRÈRES BLOOD : LE WESTERN MAGNIFIQUE DE AZZARELLO ET RISSO


 Azzarello et Risso ont décidé de revisiter l’Ouest sauvage, les amateurs de westerns musclés et de fresques crépusculaires peuvent se frotter les mains. En fait, La ballade des frères Blood n’est pas seulement un western, c'est aussi une version moderne agrémentée de sauce 100 Bullets : brutal, ironique, tendu comme un ressort, avec ce parfum d’inéluctable et de sauvagerie qui plane sur chaque case. L’association n’est pas surprenante : après avoir décortiqué la violence urbaine sur cent numéros (et raflé au passage une moisson d’Eisner et de Harvey Awards), le duo s’attaque à la mythologie américaine la plus primitive, celle où l’homme à cheval asservit la nature vierge à ses désirs et le désert devient son royaume. Dès les premières pages, le décor est planté : Carter Cain, hors-la-loi sorti des geôles mexicaines avec la subtilité d’un taureau dans un magasin de porcelaine, règle ses comptes à coups de colt. Résultat : trois gamins se retrouvent orphelins de beau-père et embarqués dans une odyssée vengeresse, tandis que leur mère (Anna) est enlevée par un groupe de pistoleros, dont l'un semble le vrai géniteur des gamins. Daniel, l’aîné, joue les narrateurs malgré lui, tandis que ses deux frères (Simon et le surnommé “Jack Rabbit”) oscillent entre innocence enfantine et plongée brutale dans un monde où les ballent vont plus vite que la morale. Risso, qui troque ici le trait nerveux et tout en contraste brutal de 100 Bullets pour adopter une technique mêlant crayon et lavis, impressionne d'un bout à l'autre. Les couchers de soleil rougis rappellent autant les cartes postales du Far West que les carnages qu’ils éclairent. Le moindre plan large respire le désert, mais derrière la beauté du paysage affleure constamment la violence : ce même contraste que Sergio Leone a porté au cinéma, et qui trouve ici une transposition remarquable sur chacune des pages. La splendeur des étendues se mêle au sang qui éclabousse et le décor contribue tout autant que l'histoire à faire de cet album une réussite indiscutable. 



Azzarello, fidèle à lui-même, économise les mots comme on économiserait les balles : chaque réplique fait mouche, chaque silence laisse à Risso le soin de déployer son imagerie hantée. Le récit n’épargne rien : trahisons, règlements de comptes, visions presque bibliques d’une famille maudite. Même les passages les plus dérangeants (le sang, mais aussi le sexe, encore que ça pouvait être pire, bien pire) rappellent que le western n’a jamais été un terrain pour les âmes sensibles, un imaginaire qui hésite sans cesse entre tragédie antique et expérience viriliste. Au fil des épisodes, l’histoire gagne en intensité. Les gamins croisent Chouette Enragée, une indienne hors-la-loi qui reflète leur propre perte, et l’ombre d’Anna, leur mère, se fait plus complexe à mesure que son lien avec Cain, son ravisseur, est dévoilé au lecteur. Vous vous attendiez à une quête familiale et un happy end larmoyant dans les jupons de la maman, vous allez être sacrément déçus, ou immensément ravis, c'est selon. Les choix moraux deviennent des impasses sanglantes, et chaque décision semble creuser un peu plus la tombe des protagonistes. De tout le monde, sans exception. Bref, cette Ballade réussit ce que peu de westerns en BD osent : manier le cliché pour mieux le dynamiter, puiser dans l’imaginaire du western spaghetti, pour en donner une interprétation moderne et mature. Les quatre épisodes se lisent d'une traite, vous prennent par le col et ne vous lâchent jamais, malgré quelques instants où une certaine confusion peut régner au milieu de ces visages burinés par le soleil qui tape dur . On en sort secoué, heurté, fasciné. Une des lectures majeures de l'année 2025, dans les librairies françaises. 



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UN DOCU BD POUR BRUCE SPRINGSTEEN CHEZ PETIT À PETIT


 Dès lors que l’on évoque Bruce Springsteen, l’association d’idées se fait immédiatement dans l’esprit de la plupart d’entre vous : un chanteur qui incarne à la fois une certaine vision de l’Amérique — qui englobe celle des laissés-pour-compte — et une forme de patriotisme. Et, bien sûr, une chanson devenue absolument incontournable : Born in the U.S.A., à la fois hymne à la gloire de l’Oncle Sam et dénonciation (car c’est bien son sens principal) des travers profonds et des réalités moins reluisantes des États-Unis. C’est toute l’ambiguïté de Springsteen : un artiste dont la carrière est désormais légendaire et lumineuse, animé par un véritable amour pour son pays, mais qui a toujours refusé la facilité et la compromission, celle qui consiste à serrer la main du diable (Bush, Trump…). Cohérent dans ses choix artistiques, il n’a cessé de chercher une ligne claire et fidèle à ses convictions. Nous voici donc face à un nouveau docu-BD publié chez Petit à Petit : un album qui retrace la carrière d’un artiste à travers de nombreux chapitres en bande dessinée, chacun confié à un dessinateur différent, entrecoupés de pages rédactionnelles qui approfondissent certains points et fournissent les informations nécessaires pour comprendre l’évolution du parcours de Springsteen. Le scénario est signé Arnaud Gueury et la documentation assurée par Marie Berginiat.



Tout commence, bien évidemment, par sa première guitare, mais aussi par ses premières désillusions au moment de s’en servir. Viennent ensuite la formation d’un premier groupe et la sortie d’un premier album qui ne rencontre pas vraiment le succès, au point que le second devient déjà un pari sur l’avenir. Dans ce genre de situations, l’essentiel réside dans les bonnes rencontres et, surtout, dans les bons morceaux au bon moment : c’est ainsi que se dessine peu à peu un chemin vers la reconnaissance. Pour franchir cette étape décisive, Springsteen s’entoure d’une formation restée légendaire — le E Street Band — et il doit son surnom de « Boss » non pas à un quelconque statut social, mais à sa volonté de commander sans déléguer ni accepter de compromis. Ce groupe va s’avérer crucial pour lancer une ascension fulgurante. L’album résume toute la carrière de Springsteen avec pertinence. Chacun de ses disques majeurs bénéficie d’un chapitre dédié, et le récit montre bien comment la route vers le succès fut irrésistible et rapide, malgré un passage par la case « dépression », abordée ici sans détour. Le style des dessinateurs varie considérablement : d’un chapitre à l’autre, on passe d’un réalisme minutieux, où Springsteen semble plus vrai que nature (Gilles Pascal), à des pages oniriques et éthérées (Gin). Au final, que l’on soit fan de l’artiste ou non, ce docu-BD s’impose comme l’un des plus réussis de la collection. Il trouve le rythme juste, met en avant les moments-clés et évite soigneusement les pièges du racolage, des potins ou des détails superflus. Un ouvrage parfaitement centré sur son objectif, qui donnera immanquablement envie de réécouter les plus grands tubes d’un artiste incarnant, depuis des décennies, l’Amérique. La vraie.




Et si l’éditeur nous lit, sachez que nous avons déjà le scénario et la documentation pour un album consacré à Depeche Mode. Chiche ?


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FANTASTIC 4 ET SURTOUT FATALIS 2099 : L'OMNIBUS CHEZ PANINI


Au début des années 1990, Marvel a décidé d’expédier ses héros dans un futur lointain, l’an 2099, histoire de tester leur résistance à l’usure du temps et aux dictatures d’entreprise. Dans ce monde dystopique, les grandes corporations règnent en maîtres, les super-héros appartiennent au passé, et les collants colorés ne sont plus qu’un souvenir embarrassant. Spider-Man, les X-Men, le Punisher, Ghost Rider et même Ravage (le joujou futuriste inventé par Stan Lee) se sont prêtés à l’exercice. Mais la série la plus surprenante n’a pas mis en avant un justicier : elle a donné la vedette à un vilain, ou plutôt à l’ombre d’un vilain. Fatalis lui-même. Entre 1993 et 1996, Doom 2099 a compté quarante-quatre épisodes, publiés en VF par Semic dans la revue 2099. Disponible en cette fin septembre au format Omnibus chez Panini ! Dès le départ, l’ambiguïté est savoureuse : l’homme qui revient en Latvérie prétend être Victor von Doom, mais nul ne peut vraiment en avoir la certitude. Voyage temporel ? Clone ? Imposteur convaincu ? Le doute plane, et l'incertitude nourrit la tension dramatique. Toujours est-il que l’intéressé se conduit bel et bien comme Fatalis, avec l’arrogance, la mégalomanie et le sens politique qui le caractérisent. Son retour, toutefois, n’a rien d’un triomphe. La Latvérie du futur est aux mains de Tiger Wylde, un dictateur bardé de technologie, qui expédie Doom au tapis avec une facilité humiliante. Blessé, défiguré, presque réduit à néant, l’ancien monarque reprend la tradition : un visage mutilé derrière un masque de fer, symbole d’un destin qui refuse de changer. 



La convalescence du tyran déchu le mène à la rencontre des Zefiro, une tribu tzigane qui réactive un vieux lien avec le passé. Grâce à eux, Fatalis se réinvente : nouvelle armure, nouvelles armes, et surtout une nouvelle posture. Car dans ce futur où les multinationales écrasent les peuples, Fatalis se transforme en champion de la liberté. Attention : champion à sa manière, c’est-à-dire avec une main de fer, un sens très personnel du bien commun et un ego toujours sans pareil. Pour reprendre le contrôle, Doom déploie une stratégie méthodique : accumulation de ressources, exploitation d’un minerai rare et instable, le Tritonium, puis reconquête progressive de son territoire. Le récit de John Francis Moore suit une lente montée en puissance : d’abord le paria humilié, ensuite le rebelle soutenu par quelques alliés, enfin le chef incontesté, prêt à reprendre son trône et à rappeler à tous qu’en 2099, comme depuis les années soixante, Fatalis reste Fatalis. Au dessin, c'est Pat Broderick qui imprime son style au titre, avec une minutie précieuse et beaucoup d'expressivité. La série se distingue par son ton sombre, son mélange de science-fiction et de politique, et par ce paradoxe délicieux : le dictateur traditionnel se mue en libérateur, mais sans jamais cesser d’être lui-même. Doom 2099, c’est le rêve suprême de tout despote éclairé : sauver son peuple, mais à condition que ce peuple obéisse sans discuter. En somme, un Fatalis transposé au XXIe siècle… et toujours en avance d’un masque sur tout le monde. Avec même du Warren Ellis en fin de parcours, pour mettre en scène l'ascension définitive vers le pouvoir d'un personnage complexe, qui va aussi être au centre de l'actualité avec Doom World, publiés en plusieurs softcovers (deux par mois) dans les semaines à venir. On y reviendra, forcément. Pour aujourd'hui, ajoutons juste que l'omnibus de Panini nous semble indispensable !



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THE PUNISHER RED BAND #1 : LA REVIEW V.O


 Depuis quelques années, le Punisher est  un paradoxe ambulant. Frank Castle a été récupéré dans le monde réel par des groupes qui l’ont brandi comme une icône de la droite dure, une récupération qui va totalement à l’encontre de ce qu’il est. Marvel, embarrassé par la situation, a choisi de mettre le personnage en retrait, avant de carrément s'en débarrasser avec une maxi série écrite par Jason Aaron, dont j'ai déjà dit assez de mal par le passé (oui, l'opinion n'est pas partagé par tous, mais j'ai trop de respect pour le Punisher pour trouver ça satisfaisant). Alors, enfin, on respire, voici Punisher : Red Band #1. Le retour de Frank est à la fois brutal et déroutant. Percy et Ohta ne s’embarrassent pas de préliminaires : ça démarre par des explosions et du sang partout, c'est glauque et ça ne fait pas dans la dentelle. Le Punisher bien amoché des premières pages est amnésique, Castle ne sait plus vraiment qui il est, mais qui conserve l’essentiel : la faculté d’abattre ses ennemis avec une efficacité clinique. Le concept des publications Red Band est parfaitement assumé : violence graphique, hémoglobine en vente libre, chairs lacérées et cadavres calcinés. Non pas qu'auparavant, le Punisher était un gentil garçon, mais enfin, vous me comprenez. Ohta met en scène un Frank massif, un colosse grotesque qui s'est pris plusieurs balles dans le buffet (et qui nous fait une sorte de compte rendu détaillé de ses blessures). Face à lui, des figures tout aussi brutales, comme Tombstone, dont la sauvagerie dépasse de loin ses dernières incarnations dans Amazing Spider-Man. Ici, on se retrouve face à un monstre carnassier, qui va très loin dans la boucherie. Pourtant, la série ne se limite pas à une orgie gore. Percy, qui connaît ses classiques (Wolverine, par exemple), sait qu’écrire le Punisher implique de montrer les conséquences de sa croisade. Frank n’est pas un héros et il ne l’a jamais été. C'est une sorte d'anomalie qui dérange, un mal nécessaire. L'ambiguïté est au cœur du récit : on aurait envie qu'il s'en sorte, de l'aider, mais on devine que ça va chauffer et que la violence ne fait que commencer. Le trait rugueux de Julius Ohta colle à merveille à l’univers crasseux de Castle : ce n’est pas beau, ça fiche les foies. On a bien une gentille vieille dame qui vole au secours de Castle, sans avoir rien demandé en fait (vous vous rappelez Joan, à l'époque de Garth Ennis ? Il y a de ça, mais sans l'humour d'alors). Et surtout, il y a Wilson Fisk, le Caïd, dans un rôle inédit, avec entre les mains le grand twist de ce premier numéro, dont on ne vous dira rien, pour ne pas vous gâcher la lecture. C'est malin, à défaut d'être original. Et c'est l'assurance que Castle ne va pas aimer du tout. Bref, un Punisher Red Band qui parvient à offrir une lecture viscérale, brutale et sans compromis, et à renouer avec l’héritage de la ligne MAX, tout en ramenant sur le devant de la scène un personnage trop vite remisé au placard. Frank Castle est de retour, et il n’a rien perdu de son appétit pour la punition. Pour les explications, ce qu'il a fait durant son "absence", ce sera pour une autre fois. Peut-être. 



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NAMOR : LE DERNIER ROI D'ATLANTIS AVEC JASON AARON


 Namor, le Prince des Mers, n’a jamais été réputé pour sa modestie. Pénétré de son droit divin à régner sur les abysses, il alterne depuis toujours entre gestes d’altruisme envers les hommes de la surface et fureurs destructrices qui trahissent autant sa susceptibilité que son orgueil monarchique. C'est autant un super-héros qu’un souverain en exil permanent, qui oscille entre l’autorité et la révolte. Dans la mini-série conçue par Jason Aaron, on le découvre pourtant dans une posture inhabituelle : volontairement incarcéré dans une prison de haute sécurité, au large de nulle part, presque privé d’eau et donc de sa force. Les humiliations des gardiens ne rencontrent aucune riposte. Le Prince des Mers accepte son sort et se détourne, pour la première fois, de la politique des profondeurs. Mais l’Histoire a horreur du vide : en son absence, sept prétendants au trône d’Atlantis s’entredéchirent. Stingray (autrefois surnommé Manta durant nos années Lug et Semic) vient l’avertir : s’il n’intervient pas, cette guerre civile menace de s’étendre et d'ennuyer jusqu’à la surface. Car à force de voir surgir sur leurs côtes des armées atlantes belliqueuses, les humains commencent à s’impatienter. Les croisières de luxe perturbées, le commerce maritime entravé : autant de signaux que la diplomatie hypocrite saura très bien traduire en « légitime défense ». Les dieux Dollar, eux, ne supportent pas que l’écume des mers bouscule leurs profits. Namor doit donc replonger, non par goût du pouvoir, mais parce que l’équilibre géopolitique des océans ne tolère pas son silence. On comprend alors que ce personnage, trop souvent réduit à ses colères, incarne en réalité une question plus vaste : comment trouver sa place dans un monde où l'exclusion est le maître-mot, et embrasser dans un même geste responsabilités politiques et aspirations personnelles ?



Aaron semble être, ces derniers temps, la carte maîtresse que joue Marvel lorsqu’il s’agit de réinventer un personnage et de l’adapter aux préoccupations contemporaines. Nous avons dit que Namor s’aimait beaucoup, mais en réalité, cet amour qu’il porte à lui-même n’est-il pas plutôt une forme de haine ? Très jeune déjà, il a souffert de son statut d’hybride, qui lui a valu le rejet d’une grande partie des siens. Son grand-père, alors maître de la cité d’Atlantis, était un homme corrompu, pour qui le bien du peuple ne comptait absolument pas. Namor, lui, prit très tôt l’habitude de fréquenter les oubliés et les déclassés, découvrant à quel point l’injustice régnait sous les mers. Mais son sang princier le plaçait dans une position paradoxale : il ne pouvait pas se ranger du côté des faibles, car il était destiné à devenir le garant d’un système oppresseur dont il devait perpétuer les mécanismes. Et puis, Namor fit souffrir Atlantis à son tour : il l’entraîna dans des guerres absurdes, réagit sans cesse au quart de tour, considéra la diplomatie comme l’ultime recours, seulement après l’échec des coups, des bombes et des attaques. Ces choix laissèrent évidemment des cicatrices profondes dans le royaume. Aujourd’hui, alors qu’une grande guerre de succession éclate, Namor a choisi un temps de se mettre en retrait. Mais son retour l’oblige à composer avec les erreurs du passé et à faire preuve d’une subtilité nouvelle face aux événements présents. Ce parcours l’amène à se rapprocher de celle qui fut sa première petite amie encore adolescent, mais aussi à affronter les fantômes de son histoire et à se mesurer aux créatures des profondeurs : coraux vivants, baleines mutilées par l’exploitation et la destruction systémique depuis des décennies… Deux temporalités confiées à deux artistes différents, Alex Lins (le plus intéressant des deux) et Paul Davidson. Bref, tout cela est complexe. Cette série propose plusieurs niveaux de lecture, très loin du super-héroïsme classique. À l’image de Namor lui-même : insaisissable, stratifié, jamais là où on l’attend, et impossible à enfermer dans une simple définition. En tout cas, une publication qui ne se contente pas d’effleurer son personnage : la série creuse, exhume et révèle des facettes trop longtemps méconnues ou ignorées.



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CIVILISATIONS ROME : FIN D'UN EMPIRE AVEC RICHEMOND ET FERNIANI


 Est-il possible de prévenir l’avenir ? Peut-on vraiment savoir ce qui va se passer, et ainsi empêcher – ou au contraire favoriser – les grandes catastrophes qui bouleversent les civilisations ? C’est la question que se posent Les Enfants de Seth, une sorte de secte capable d’établir les thèmes astraux de certaines dates précises pour en tirer des enseignements sur le futur. Dans le troisième volume de Civilisations, une trilogie où l’astrologie se mêle à l’histoire antique, nous voilà projetés au IIIe siècle de notre ère, à une époque où l’Empire romain commence à se désagréger : lassitude, mauvais choix stratégiques, expansion démesurée devenue incontrôlable, perte de foi envers les dieux traditionnels au profit de la nouvelle religion catholique, sans oublier la menace des barbares aux frontières. Un menu qui n'augure rien de bon. Dans ce contexte peu idyllique, les empereurs se succèdent à un rythme effréné, et meurent souvent dans des conditions absurdes : ici, une rébellion de légionnaires lassés de jouer les maçons alors qu’ils s’étaient enrôlés pour guerroyer ; là, une mort foudroyante (littéralement parlant) interprétée à l’époque comme la manifestation de la volonté de Jupiter. C’est dans ce monde crépusculaire que ces Enfants de Seth tentent de sauver ce qui peut encore l’être. Leur pari ? Miser sur un simple soldat, Dioclès d'Illyrie, en qui ils perçoivent une figure exceptionnelle : dévouement, force et courage sont ses seules armes face à ce qui ressemble déjà à une fin de règne écrite 129 ans d’avance. Dit ainsi, et vu avec les codes du XXIe siècle, on pourrait s’attendre à un récit complotiste du type « je vous l’avais bien dit, tout était orchestré dans l’ombre ». Mais France Richemond va beaucoup plus loin. Son propos dépasse ce simple artifice narratif pour livrer une véritable leçon d’histoire, foisonnante certes, mais nourrie d’un ésotérisme puissant qui enrichit le récit, le complète, l’absorbe, bref : le rend encore plus captivant.



Bien sûr, nous savons que certains d’entre vous achètent une bande dessinée avant tout pour son dessin. Et vous serez ici comblés. Le travail de Federico Ferniani est d’une qualité remarquable : chaque planche est d’une minutie exemplaire, chaque vignette, chaque décor, chaque arrière-plan respire la volonté de ne rien laisser au hasard. Les expressions des personnages sont parfaitement réussies, et les figures féminines se distinguent par une grâce particulière, notamment Aula, une sorte de médium dont les dons exceptionnels lui permettent de se glisser incognito parmi les plus puissants et d’influencer le destin selon ses desseins. La mise en couleur d’Axel Gonzalbo magnifie l’ensemble : intime et subtile dans les scènes en intérieur, ample et majestueuse dans les panoramas d’architecture romaine, qu’il s’agisse de l’Empire d’Occident ou d’Orient. Seul petit bémol qu'il serait possible d'apporter, cette vision très négative de la décadence de l'empire, qui se meurt dans des orgies, des révolutions de palais, de la violence qu'on devine parfois un peu gratuite. On placera ça sur le compte de la nécessité de muscler l'entrejeu pour saisir le lecteur au collet et lui donner envie de tout lire d'une traite, sans respirer. Après Crète et l'Egypte, ce dernier volume consacré à Rome est probablement un épouvantail pour les professeurs d'histoire qui traquent les incohérences ou les outrances au nom de la vérité (que par ailleurs nous ne connaissons qu'à travers le prisme d'observateurs qui se contredisent, souvent). Je ne leur en veux pas, j'ai cette manie, moi aussi. Mais ce n'est pas le propos ici, pas tout le propos. Et l'album est si beau, si riche, que s'en passer pour cette raison serait quand même une bien mauvaise idée. 



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ALL-NEW VENOM T1 : QUI DIABLE EST LE NOUVEAU VENOM ?


 Avec All-New Venom, Marvel joue une carte bien connue mais toujours efficace : transformer l’identité du porteur du symbiote en un jeu de devinette. Les paris sont ouverts. Al Ewing orchestre la manœuvre comme un prestidigitateur qui ne révèle jamais complètement ses cartes. Eddie Brock ? Dylan ? Non. Le fameux duo père-fils est mis hors-jeu dès le départ. Place à un hôte tiers, sorti du chapeau, et dont le secret alimente une enquête à tiroirs. On retrouve là un parfum de Red Hulk : même dispositif, même suspense étiré sur plusieurs numéros, mais avec une subtilité supplémentaire, car ici, rien n’est vraiment évident. Dans le premier numéro, la liste des suspects est établie : Madame Masque, Luke Cage, Robbie Robertson et Rick Jones. Des profils hétéroclites, chacun semble un bon candidat à cause d'un petit indice, mais aucun ne s’impose franchement. Le lecteur est invité à spéculer, c'est tout le charme des premiers épisodes de cette nouvelle série. On embraye cela dit sur un rythme effréné. Ewing déterre les Death-Throws, des clowns du crime acrobatiques venus des années 1980, et leur offre une nouvelle jeunesse sans rien gommer de leur kitsch assumé. Résultat : une bataille aussi absurde qu’attachante, avec l’ajout de recrues inédites, qui paraissent sorties tout droit de la même époque. Carlos Gómez s’éclate en dessinateur/designer, et ses chasseurs anti-symbiotes sont une trouvaille visuelle frappante, tout comme le nouveau costume symbiotique de Venom, dont le jaune métallique a de quoi surprendre. Mais bon, au milieu de tout ce chaos, reste la question, qui est Venom ? 



Le troisième épisode fait coup double : il permet éliminer des suspects et il est là pour relancer le jeu avec un intrus inattendu. Venom fracasse du soldat d’A.I.M. dans une séquence jubilatoire, mélange de brutalité et d’humour pince-symbiote, où le héros doré prend presque des airs de Tortue Ninja survitaminée. Gómez accentue cette légèreté graphique, avant de basculer vers un design plus monstrueux quand le symbiote reprend le dessus, quand il voit Dylan menacé. Madame Masque, elle, confirme son rôle d’antagoniste, et ça fait du bien de la revoir en forme, quand on a connut ses belles heures dans les pages d'Iron Man. Et puis, coup de théâtre : Paul Rabin, le compagnon honni de Mary Jane, entre dans la danse. De quoi hérisser le poil des lecteurs les plus puristes, mais Ewing semble s’amuser à pousser le paradoxe : et si le type que Dylan déteste incarnait en fait le héros qui l’impressionne le plus ? En tous les cas, ce Paul a autant de charisme qu'un François Bayrou le neuf septembre au matin, et il finira par connaître un destin similaire. MJ, réveille-toi ! Au fond, All-New Venom est un exercice de style : relancer une franchise déjà usée par des décennies de porteurs du symbiote successifs, tout en injectant humour, second degré et clins d’œil malicieux. Ewing connaît son public et ses obsessions, et Gómez sublime chaque scène avec une énergie contagieuse. Reste la grande question : dois-je vous gâcher la surprise, à vous qui vivez dans une grotte depuis des mois et ne savez pas encore qui est le ou la nouveau/nouvelle Venom ? Allez, je vais être plein de mansuétude et ne le dirai pas, histoire de maintenir la pression, pour les deux pour cent du lectorat qui ne savent pas. Vous allez halluciner. Reste que ce premier tome est sympa, frais, je n'en attendais pas tant !



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ROUGE SIGNAL


 Dans le 206e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Rouge signal, album que l’on doit à Laurie Agusti, un ouvrage publié chez 2042. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album La tête de mort venue de Suède que l’on doit à Daria Schmitt et qui est publié chez Dupuis dans la collection Aire libre


- La sortie de l’album Des filles normales que l’on doit à Manon Debaye et qui est édité chez sarbacane


- La sortie de l’album Flous artistiques que l’on doit à l’auteur américains Dash Shaw, un titre publié chez Dargaud


- La sortie de la deuxième et dernière partie de L’âge d’eau que l’on doit à Benjamin Flao et qui est publié chez Futuropolis


- La sortie de l’album Les yeux d’Alex que l’on doit à Claire Fauvel, un ouvrage publié chez Glénat dans la collection 1000 feuilles


- La sortie du deuxième tome de la nouvelle Ciné Trilogy que signe Amazing Améziane, un titre consacré au réalisateur Steven Spielberg sorti aux éditions du Rocher.




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DR WERTHAM : DE LA PSYCHIATRIE AU COMICS CODE ET LA CENSURE


 On connaissait Harold Schechter et Eric Powell pour leur saisissant travail consacré au tueur en série, Ed Gein, plongée morbide dans l’univers du plus célèbre des cinglés du Midwest, publié chez Delcourt il y a quelques années. On les retrouve aujourd’hui avec une sorte de biographie sélective du docteur Wertham (chez Dark Horse pour la VO), un portrait en clair-obscur du psychiatre le plus détesté de l’histoire des comics, pour avoir été à la base d'un code de déontologie très particulier, qui a bien failli signer l'arrêt de mort de toute une industrie. Fredric Wertham, c’est d’abord un paradoxe ambulant. Médecin brillant, il contribua à la fin de la ségrégation dans les écoles américaines, ouvrit des cliniques accessibles aux plus pauvres, traita Albert Fish et Robert Irwin (deux grands malades dont les crimes horrifièrent l'Amérique) avec une politesse et un tact désarmants. Humaniste progressiste, presque visionnaire… et pourtant, c’est le même homme qui, dans les années 1950, mena une croisade contre les comics de crime et d’horreur, les accusant de corrompre la jeunesse et d'encourager les épisodes délirants et les passages à l'acte. Résultat : le Comics Code Authority était né, véritable chape de plomb qui mutila l’imaginaire populaire pendant des années. Schechter et Powell ne choisissent pas la caricature ou le trait vengeur d'un bout à l'autre, mais une biographie ambitieuse, au carrefour du roman policier, de l’essai critique et de l’histoire sociale. L’ouvrage, massif (près de 200 pages et truffé de bonus, merci Delcourt), s’ouvre sur le cas de Jesse Pomeroy, adolescent meurtrier de Boston dans les années 1870, qu’une partie de la presse accusa déjà d’avoir été perverti par les dime novels. Autrement dit : bien avant Spider-Man, l’Amérique cherchait déjà un bouc émissaire culturel. Wertham n’invente rien, il réactive une vieille obsession. Powell permet d'entrée de jeu de donner de l'air dans un ensemble sérieux et étouffant par moments (les crimes peuvent être insoutenables). Son trait noir et blanc, à la fois sec et sensible, installe une ambiance de film noir des années 1950. Les criminels semblent sortir tout droit d’un cauchemar expressionniste, tout en gardant une effroyable dimension humaine, et Wertham rythme la succession des drames, droit dans ses certitudes, souvent justes, d'ailleurs.



L’équilibre. Il règne tout de même comme une dichotomie dans cet album. La première partie nous montre un Fredric Wertham quelque peu frustré et qui est généralement un individu à prendre avec des pincettes, dans le milieu professionnel. Imbu de lui-même, il est persuadé d'avoir toujours raison, mais il faut aussi admettre qu'il sait ce qu'il veut et qu'il sait ce qu'il fait. Il faut bien évidemment replacer son travail dans le contexte, avec les connaissances de l'époque. En tout les cas, Wertham fait preuve d'empathie envers les patients, et contrairement à ce que l'on pourrait croire aujourd'hui, il est plutôt à classer dans le camp des progressistes, au niveau politique. C'est par la suite que ça se gâte, lorsqu'il commence à se fixer de façon presque monothématique sur les comics et  à voir dans ces illustrés (souvent violents et qui proposaient aussi des histoires effrayantes) une sorte de cristallisation du mal, de déclencheur de tous les traumatismes chez les jeunes, au point de les pousser sur le chemin de la délinquance et de la criminalité. Une opinion qui ne s'appuie sur aucun fait scientifique et qui tourne à l'obsession. Certes, Wertham va produire La séduction des innocents, une des raisons pour lesquelles le comics code va être instauré, mais dans le même temps, il a clairement perdu en crédibilité auprès de ses confrères, et ce qu'il a gagné en célébrité lui a été retiré en terme d'image publique. Tout ceci est bien retracé, bien documenté et bien rythmé, ce qui n'était pas gagné d'avance étant donné le caractère assez aride du sujet. C'est donc une lecture à recommander pour tous ceux qui sont intéressés par cette époque trouble et par la manière dont l'opinion publique percevait, dans les années 1950 et 1960, la liberté d'expression, la bande dessinée, mais aussi, au sens large, pour replonger dans l'enfer de la ségrégation, la manière dont l'Amérique acceptait sans vergogne une division intolérable conceptuellement et humainement. Bref un album qu'on ne serait trop vous recommander, parce qu'il est bien conçu, intelligent et pertinent. Le titre V.O, Dr. Werthless, est malheureusement un jeu de mots qui ne pouvait être traduit directement en français (Wertham/Worthless, c'est-à-dire inutile).



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U2 EN BD : SATANÉS IRLANDAIS CHEZ PETIT À PETIT


 L’histoire de la création de l’un des plus grands groupes de rock de tous les temps devrait constituer une source d’inspiration intarissable pour tous les jeunes musiciens convaincus de manquer de talent pour percer. Car il faut bien être honnête : lorsqu’en septembre 1976, U2 fait ses premiers pas – avec un chanteur nommé Paul Hewson, choisi surtout parce qu’il était le seul à vouloir s’y coller – rien ne laissait présager que cette bande de gamins allait un jour conquérir le monde avec des tubes imparables. Et pourtant, c’est bien ce qui va se produire. Certes, le groupe ne maîtrisait pas au départ tous les fondamentaux pour espérer enchaîner les tournées, mais en quelques années, il parvient à devenir l’une des grandes sensations rock du siècle. Baptisée d’abord The Hype, la formation devient U2, et sa carrière décolle rapidement grâce au flair de Paul McGuinness, leur manager, et au talent de Steve Lillywhite à la production. En 1980, l’album Boy met littéralement le feu aux poudres, bientôt suivi par October en 1981, qui, malgré ses qualités, n’obtient pas le succès attendu. U2 joue gros lorsque paraît War en 1983 : disque résolument politisé, il installe durablement Bono et sa bande sur le toit du monde. À partir de là, inutile de détailler chaque album comme s’il s’agissait de simples statistiques : les Irlandais vont enchaîner les sommets, jusqu’à l’extraordinaire Achtung Baby en 1991 et la tournée pharaonique qui s’ensuit, l’un de ces spectacles qu’il fallait absolument voir de son vivant (le Zoo TV Tour). Par la suite, le groupe tente des explorations musicales inattendues, s’engage dans de grandes causes, avant de voir, avec le temps, sa fougue et son inspiration s’émousser (euphémisme).



Comme toujours avec la collection de docu-BD publiée par Petit à Petit, cet album permet de revivre un parcours exceptionnel. Chaque grande étape de l’histoire de U2 est racontée en bande dessinée, chaque chapitre étant confié à un artiste différent, tandis qu’une partie éditoriale retrace avec clarté l’ascension irrésistible du groupe, dans un ordre chronologique, avant de conclure sur leur héritage et leur légende (le scénario est de Tony Lourenço et la recherche documentaire de Franck Verrecchia. La page des crédits est imprimée avec un contraste qui la rend peu lisible). Le dessin, souvent expérimental, privilégie l’énergie et la sensation à la recherche du réalisme photographique. La représentation des personnages peut varier fortement d’une page à l’autre, ce qui peut dérouter au début, mais contribue aussi à la richesse de l’ensemble. U2 méritait pleinement d’intégrer cette collection, et l’on attend déjà que des groupes comme The Cure ou Depeche Mode aient droit, eux aussi, à leur album (je suis sérieux, pensez-y !). La recette fonctionne à merveille : un mélange d’anecdotes, de moments connus de tous et de détails que seuls les spécialistes ont en mémoire, le tout secoué avec énergie pour donner envie de réécouter en boucle les grands disques du groupe, en comprenant mieux leur genèse et leur impact, parfois mondial. Bref, un album indispensable pour les fans, mais aussi pertinent pour tout amateur de musique curieux. En 2025, U2 n’incarne sans doute plus l’avenir du rock. Mais lorsqu’on se retourne sur les cinquante dernières années, qui oserait nier la force et le rôle de ces satanés Irlandais ? La preuve, chez Petit à Petit.




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UNIVERSCOMICS LE MAG' 55 (SEPTEMBRE 2025) : LE MONDE DE FATALIS


 UniversComics Le Mag 55

Septembre 2025

Magazine comics BD gratuit.

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ou lien direct Facebook

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Le monde de FATALIS

* Fatalis, le dictateur qui fait l'actualité. #doctordoom

* #LoisLane journaliste de choc (et de charme)

* #fantasticfour vs #superman le duel au cinéma

* Le cahier critique. Les albums cet été chez Panini Comics France Urban Comics Delcourt Comics Drakoo et chez Carrefour !

* Avec le podcast #lebulleur, le meilleur de la #BD 

* Portfolio : #Blek Le Roc !

* Preview : #deadpool / #batman

Un grand merci tout particulier à #benjamincarret pour son travail (cover de Reiver85) 

Quant à nous, comme toujours, on vous remercie pour vos PARTAGES et vos réactions, le seul geste qui vous est demandé pour faire vivre et perdurer ce Mag'. Bonne lecture !

DAKOTA 1880 : VOICI VENIR LE LUCKY LUKE D'APPOLLO ET BRÜNO

 Outre les aventures traditionnelles de celui qui tire plus vite que son ombre, on peut également découvrir Lucky Luke dans une série d’albu...