Si vous recherchez au moins deux raisons évidentes pour avoir d'emblée l'envie irrésistible d'investir dans cette intégrale de Valentina en 12 volumes, il suffit de dire les choses suivantes : tout d'abord, pour la première fois, voici venir une publication en couleurs, entièrement supervisée par la Fondation Crepax, ce qui permet de jeter un regard nouveau sur des histoires qui ont marqué le neuvième art, dès la fin des années soixante. Ensuite, la qualité de l'édition de Dargaud, absolument irréprochable, avec tout un attirail de bonus, de commentaires, d'analyses, qui rendent ces volumes absolument précieux. Un travail de recherche, d'adaptation, de classement, de tout premier ordre. C'est donc avec un plaisir indéniable que nous avons entre les mains le premier tome de l'intégrale, là où Valentina commence à vivre ses aventures, dans un premier temps dans le rôle d'un personnage secondaire d'une série qui n'est pas censée être la sienne. Valentina n'est qu'une jeune photographe longiforme et attrayante, et en apparence seulement, ingénue. Sa plastique remarquable est calquée sur celle de l'actrice Louise Brooks (Loulou, c'est elle) mais aussi sur l'épouse de Guido Crepax, l'artiste vénitien. Une coupe à la garçonne avec de jolies franges, une tendance à l'onirisme débridée qui débouche la plupart du temps sur des songes érotiques, une attention à la mode de l'époque, avec de fréquentes incursions dans le sado masochisme, voici venir une héroïne hors norme, ou tout du moins qui bouscule les codes. Dans un premier temps, Valentina est donc la petite amie d'un certain Rembrandt, critique d'art dont les réceptions sont truffées de poseurs qui devisent sur tous les domaines possibles. Mais l'intellectuel cache un homme d'action, un justicier à super pouvoirs (et oui!) du nom de Neutron. Son regard est capable d'hypnotiser ses adversaires, de les figer, sans qu'ils en soient conscients. Mieux encore, il peut exercer à distance, à travers des miroirs ou des écrans, et ses dons fonctionnent aussi sur des objets mécaniques, comme un moteur d'hélicoptère. Neutron que nous retrouvons en Italie, au Grand prix de Monza, avec pour mission de sauver un célèbre pilote de formule 1 victime des machinations d'un homme d'affaires véreux, qui manipule son épouse, une splendide créature habituée à empocher l'héritage une fois devenue veuve.
Il faut être exigeant et fin connaisseur pour pouvoir aimer le travail de Guido Crepax, ce qui fait son charme, sa pertinence. Son gros point fort, c'est sa capacité à innover, à truffer ses planches de très nombreux points de repères culturels et historiques, qui en font des objets d'art qui doivent être relus et observés attentivement pour être pleinement appréciés. Parfois, c'est juste la dynamique de l'action, comme la première rencontre de Rembrandt et de Valentina, quand cette dernière apparaît à travers l'emploi de gros plans sur différentes parties de son visage, comme pour souligner le coup de foudre imminent; d'autres fois, ce sont des reconstitutions de batailles historiques ou de moments importants de l'histoire (comme ici avec la Russie Impériale), ou tout simplement l'insertion de personnages réels dans la scène, appartenant au milieu artistique, qui permettent de pleinement appréhender le travail de l'artiste. Si la première aventure présente dans cette intégrale reste d'une facture assez classique, la seconde explose les codes du genre et se révèle être à la fois un délire onirique et un récit hautement raffiné. Valentina se perd dans des souterrains et elle est enlevée par un peuple mystérieux, qui n'est pas sans rappeler celui de l'Homme Taupe par exemple, chez Marvel, ou bien encore le célèbre Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Neutron vient alors à sa rescousse, et le couple (libre, faut-il insister sur ce point ?) lutte farouchement pour échapper à ses ravisseurs, en compagnie d'un troisième larron. Tous ensemble, ils s'enfoncent d'avantage dans les tréfonds de la Terre, et au bénéfice d'un tremblement de terre inattendu, ils finissent par remonter et déboucher en Russie, chez les "Soviets", dans une maisonnée où les habitants vivent en ignorant les conséquence de la révolution bolchévique. Valentina passe le plus clair de son temps entre songe et réalité, elle s'évanouit, s'égare dans les méandres de sa pensée, devient l'objet de séquences érotiques au parfum de souffre, dans lesquelles s'alternent fouets, cuissardes, chaînes, bondage, sévices raffinés (qui semblent toutefois déboucher sur le plaisir). Mais jamais la vulgarité se s'impose, c'est toujours, au contraire, une recherche continuelle de l'esthétique et du symbolisme qui sont au centre des préoccupations de Crepax, qui innove avec des planches qui sans rodomontades, participent à une relecture de la bande dessinée érotique. Un modus operandi qui dans un premier temps sera répudié par les mouvements féministes, avant d'être définitivement adoubé. Le tout est publié dans un ouvrage de très grande et belle facture, rappelons-le, que ce soit le grammage du papier, les couleurs (quelle belle surprise inédite) ou le contenu extra, qui offre des clés de lecture pertinentes et bienvenues. Ce premier tome est disponible, et dans le même temps le second est lui aussi en librairie (sur douze). Totalement indispensable.
On parle aussi de Valentina (dossier six pages) dans :
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