Il y a certains auteurs qui font que vous achetez un comic book sans même réfléchir; l'histoire, les détails, tout cela vient après. De toute manière, vous êtes certains d'avoir entre les mains quelque chose qui mérite qu'on y accorde de l'importance et un peu de temps. Parmi ces élus de la bande dessinée américaine, nous trouvons Sean Murphy, une des stars du genre. The Plot Holes, qui ressemble à sa création la plus personnelle à ce jour, s'impose comme une évidence en quelque pages seulement. Dire qu'il s'agit d'une œuvre absolument géniale est réducteur; tout d'abord, il faut bien comprendre le concept : un groupe de personnages tous issus d'un monde de fiction duquel ils ont été prélevés, par une sorte de super éditrice surnommée "Ed", qui les a choisis et formés pour devenir un groupe d'intervention, les Inco-Errants. Ces personnages fictifs, recrutés dans différents univers, ont ainsi l'habitude de s'introduire dans les récits des autres, dans l'objectif de les sauver de la contamination et donc de l'oubli, en effectuant des corrections, des retouches, puis en les publiant, lorsqu'il s'agit d'histoires qui ne l'ont pas encore été, comme si elles étaient en attente de validation par leurs éditeurs. Il y a donc un tour de passe-passe formidable dans ce sujet; celui à la fois de parler du monde de l'édition et de la création, des super-héros plus traditionnels, de la science-fiction en général, mais aussi de ce que peut représenter le processus créatif, du pouvoir que possède l'auteur sur les idées et les personnages qu'il peut inventer à tout bout de champ, sans véritablement se soucier de la manière dont ils vont ensuite vivre leur propre existence. Dis comme ça, cela pourrait sembler un peu prétentieux, mais il se trouve que tout coule de source. Première raison, Murphy a mis sur pied une bande de joyeux drilles tous aussi attachants les uns que les autres, avec une sorte de super mécanicien tiré d'un manga à la Gundam, un homme tigre métamorphe homosexuel, une créature d'énergie surpuissante à la moralité douteuse, une vampire spécialiste du maniement des lames en tout genre, un vieillard acariâtre enfermé dans un corps de pré adolescent, et pour terminer "Ed", à l'origine du groupe, qui malgré son âge avancé est une sorte de super mamie badass qui montre l'étendue de sa motivation dès la toute première planche. Et pour que l'identification du lecteur soit complète, un autre personnage entre en jeu en cours de route, un auteur de comic books (Cliff Inkslayer) qui vient de perdre sa femme, en plein doute existentiel, et qui dans un premier temps semble dépassé par les événements, avant de corriger le tir.
Cette histoire est donc une déclaration d'humour à l'acte de création en soi. Avec la capacité de faire le grand écart entre différents univers, ce que l'on pourrait appeler aussi la littérature de genre. On plonge d'un manga à une reconstitution historique (avec les doutes de George Washington lui-même) en passant par le western, Robin des Bois, et même à un moment donné un clin d'œil fort sympathique et autoréférencié avec une vignette tirée du monde du Punk Rock Jesus de Sean Murphy lui-même. Ce dernier est en très grande forme et le dessin est à la hauteur de la réputation d'un artiste qui est aujourd'hui devenu incontournable pour les amateurs de comics. Si certains choix de narration produisent quelques planches un peu plus simplistes et donc "faciles" dans les deux derniers épisodes, la plupart du temps il est en état de grâce et à la hauteur de ce pourquoi on l'adore, c'est-à-dire ce croisement très particulier entre différents styles, pour un résultat survitaminé et presque unique (je dis presque car dernièrement Matteo Scalera parvient à produire des choses qui sont sur le point de dépasser le maître). Le rythme est endiablé et les rebondissements se succèdent à une vitesse telle que les cinq épisodes qui constituent The Plot Holes auraient très bien pu faire l'objet d'une maxi série beaucoup plus longue. Tous les personnages sont très bien campés, et celle qui est censée être le cœur pulsant du groupe de héros, c'est-à-dire l'éditrice, est également un hommage à la grand-mère de Murphy. Notons aussi que les dialogues sont particulièrement savoureux; il y a de très nombreuses touches d'humour et l'envie permanente de plaisanter avec le politiquement correct qui domine aujourd'hui toute forme de communication, grâce au personnages le plus petit, Kevin, un garçonnet de 8 ans qui est en fait un vieux briscard de 65, enfermé dans le corps du protagoniste d'un comic strip pour enfants. Urban comics nous offre aussi une belle galerie de bonus avec les croquis préparatoires pour la série, un peu de storyboards et de belles couvertures. Voici le genre d'album qui devrait plaire au plus grand nombre, tant il semble difficile de ne pas adhérer à cette centaine de pages adrénaliniques et bien dans le ton de l'univers de Sean Murphy. Sortie cette semaine!
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