Le ton change avec Le vétéran et le roi Kobold, où un vieux combattant raconte sa rencontre avec un peuple féerique et son roi mystérieux. C’est l’histoire la plus lumineuse du recueil, pleine de petites trouvailles et d’un humour léger qui fonctionne très bien. On y sent Mignola s’amuser et c'est vraiment contagieux ! Una et le Diable replonge vers l’obscurité : une femme désespérée passe un pacte avec un démon, développe des traits vampiriques et découvre l’existence d’une magie plus ancienne que les dieux eux-mêmes. L’histoire brouille volontairement ce qu’on croit savoir de la création du monde, et elle peut s'avérer être au final la plus difficile à saisir, presque hermétique. Enfin, Contrées inconnues, le dernier récit, sert de guide touristique à ce nouveau monde. Narré par un corbeau sarcastique (l’équivalent gothique de l'office du tourisme) il décrit les différentes régions, leurs créatures et leurs légendes. C’est une excellente manière de refermer le livre sur une vision d’ensemble, tout en se ménageant une suite possible et probable. Au bout du compte, Le Carnaval des cadavres est une porte d’entrée vers un univers neuf, riche, plein de mystères et de clins d’œil savants. Les histoires se lisent vite mais laissent une forte et bonne impression, comme si chaque page cachait une pièce d’un puzzle plus vaste. Mignola y retrouve une énergie étonnante : celle d’un auteur qui est toujours capable de forger de nouveaux récits avec la fougue d'antan. Du coup, on souhaite ardemment que Delcourt publie la suite de ces histoires (Uri Tupka and the gods). Parce que franchement, ce monde a encore beaucoup de cadavres à nous faire découvrir, quelques parties de bowlings, et d'autres animaux qui parlent et ne demandent que de nous offrir une visite guidée des prochaines destinations.
LE CARNAVAL DES CADAVRES : LE NOUVEAU MIKE MIGNOLA CHEZ DELCOURT
DEATHBRINGER : LA DARK FANTASY ULTRA SOIGNÉE D'ISMAEL LEGRAND
Sur le fond, Legrand joue avec les codes de la dark fantasy comme on peut désamorcer une bombe : il y a du respect, une volonté de passer par toutes les étapes, mais sans trembler. Il ne prétend pas réinventer les mythes, mais il cherche plutôt à en retrouver la racine, ce mélange de sacré perverti et de peur primitive. Le rythme, d’ailleurs, s’en ressent : lent, posé, presque méditatif, comme une procession qui avancerait parmi les ruines. Parfois, c'est un peu confus, on craint d'y perdre son latin. Reste que si Deathbringer se distingue vraiment, c’est dans sa façon de faire du noir et blanc un organisme vivant. Les compositions empruntent parfois au cinéma expressionniste, parfois à la gravure gothique. Les corps semblent sculptés à même la pénombre. Les éclats de lumière, rares, deviennent des révélations presque mystiques. On pourrait croire à une démonstration technique, mais ce n’est jamais gratuit : l’esthétique porte l’émotion, la violence, la foi brisée. Gustave Doré s'est lancé dans le neuvième art, on va en voir de belles ! Certains lecteurs jugeront peut-être le scénario trop fidèle aux canons du genre. Soit. Mais cette “fidélité” devient une force : elle permet au dessin d’occuper pleinement le terrain. La mise en page respire la maîtrise, parfois même la démesure, et transforme ce roman graphique en expérience sensorielle plus qu’en récit linéaire. Avec quelques scènes érotiques qu'il ne faudra pas laisser entre toutes les mains, et qui font de Deathbringer un album qu'il ne convient pas d'offrir au petit neveu en cinquième, qui s'est pris de passion pour la culture gothique en regardant Harry Potter. Deathbringer n’est ni un simple divertissement, ni une démonstration d’érudition graphique. C’est une plongée dans un monde où les ombres ont des choses à dire, et que toutes les oreilles ne sont pas prêtes à entendre.
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ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER TOME 1 : VISION MARTIENNE
Le récit s’autorise tout de même quelques lenteurs, ou quelques parenthèses qui nécessitent qu'on reste attentif, sur la brèche. Par chance, tout passe avec Javier Rodriguez, qui se charge de réveiller celui qui pourrait somnoler. Son travail (dessin, encrage, couleurs, la totale en roue libre) fuse dans tous les sens : perspectives impossibles, couleurs explosives qui redéfinissent le sens même de ce qui est psychédélique, personnages stylisés, cartoonesques. C’est un parti pris total qui ne laisse pas indifférent : on adore ou on abhorre. Mais impossible de nier la cohérence entre cette esthétique hallucinée et le vertige mental de John Jones. Camp et Rodriguez choisissent de dissocier le flic et « le Martien » comme deux entités distinctes. Un choix intéressant qui permet d'ailleurs de garder la porte ouverte pour de nouvelles interprétations, d'autres niveaux de compréhension. La dualité est poussée à deux reprises jusqu'à l'utilisation de la transparence du papier : il est demandé au lecteur de placer la page devant une source de lumière pour "activer sa vision de martien" et voir l'envers des choses, ce qui n'est pas accessible à première vue. L'ennemi semble être le « le Martien blanc », qui se nourrit du chaos, sème la discorde. La face sombre (malgré la couleur) de ce que nous sommes, cette tentation de l'autodestruction qui nous pousse à nous enorgueillir du pire de nous-mêmes, plutôt que nous ouvrir à l'autre, son altérité, ses besoins. L'immigré, une religion différente, peuvent ainsi être autant de martiens, de créatures effrayantes à pourchasser, comme Camp le met en scène avec pertinence à un moment donné. On comprend alors pourquoi la mini-série, initialement prévue en six épisodes, a été prolongée jusqu’à douze : cette plongée dans les béances de l’esprit humain a trouvé son public, incroyable mais vrai ! Reste à comprendre s'il s'agit d'un effet de mode porté par une critique dithyrambique, qui risque de s'estomper quand le grand public aura sous les yeux cet album dont l'audace formelle et thématique vise bien plus loin et plus profond que le Batman Absolute de Snyder. Nous vivons une époque où il est si facile de céder à la peur, à l'aliénation, que cette lecture pourrait alors éveiller un écho insoupçonné chez pas mal de lecteurs. Un gros pari en passe d'être remporté avec un brio et un talent évidents. Et il y aurait encore des Cassandre pour dire que les comics sont morts, que c'est du passé ?
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ABSOLUTE FLASH TOME 1 : DEUX MONDES
Ici, les antagonistes de Flash sont bien plus disciplinés que leurs équivalents classiques : Captain Cold mène toujours la danse, Boomerang est un parfait mercenaire insupportable doté d'armes technologiques, et les autres ne sont pas en reste, avec ce qu'il faut d'inventivité et de modernité pour redéfinir la dynamique. Mention spéciale pour Grodd, le gorille savant, qui est de la partie également, sous une apparence et dans un rôle absolument imprévisibles, mais finalement géniaux. Du Jeff Lemire dans le texte. Les Lascars dégagent une énergie brute, une dynamique de groupe presque militaire, qui leur donne plus d’épaisseur que Wally lui-même dans les premiers chapitres. Là encore, c’est un choix audacieux : commencer une série centrée sur Flash en laissant ses adversaires voler la vedette… Ma foi, Wally a tout à apprendre, et plus que de parler de Flash, on évoquera juste un gamin victime d'une expérience qui a mal tourné, qui pense avoir foudroyé sur place le scientifique qui l'a introduit dans un complexe interdit, qui est pourchassé par les supérieurs du paternel, pour servir de cobaye à des fins inavouées. Pour un peu de répit, il se réfugie chez Ralph et Sue Dibny (enfin, ceux de l'univers Absolute, vous me suivez toujours ?), tandis que le scénariste s'évertue à tisser des parallèles entre sa situation, son background, et ce qui est arrivé ici à Grodd. Nick Robles dessine tout cela avec une énergie brute et une mise en page fort convaincante. Tout est soigné et inspiré, rien à redire de ce côté-là. Par contre, les deux épisodes confiés à A.L. Kaplan sont assez catastrophiques (les 4 et 5). Le décalage est immense, et le résultat limite immonde. Les yeux des personnages masculins, par exemple, semblent directement tirés d'un manga bas de gamme. Pourquoi cette transition, pourquoi ce choix de doublure ? Voilà comment les comic books se tirent parfois une balle dans le pied. Qu'à cela ne tienne, reste un album sympathique et frais, qui est à conseiller à ceux qui sont sensibles aux thématiques chères à Jeff Lemire, plus encore qu'aux fans hardcore de la radicalité de l'univers Absolute.
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DEN 3 : LES ENFANTS DU FEU (RICHARD CORBEN CHEZ DELIRIUM)
Pendant ce temps, sur Nullepart, le vieux sorcier Zeg observe tout cela avec l’indifférence d’un fonctionnaire en fin de carrière, tandis que Zomug (son serviteur simplet et vorace) pense surtout à dévorer tout ce qui passe à portée de dents et mettre les mains sur la cuisinière du domaine de son maître. Quelques pirates avides viennent ajouter une couche de chaos, histoire que personne ne s’ennuie. C’est dans ce maelström que prend forme l’opposition primitive entre Zeg et la future Reine Rouge, conflit fondateur qui, des années plus tard, entraînera Den dans une guerre qui le dépassera largement. Autant dire que ce qui peut être considéré à tous les effets comme une forme de préquelle éclaire des zones d’ombre que les deux premiers volumes laissaient volontairement dans un délicieux brouillard, à la discrétion de l'imagination des lecteurs. Graphiquement, Corben reste Corben : même lorsque son trait se précipite ou quand il expérimente des techniques moins « classiques », la puissance visuelle est intacte. Les premiers chapitres affichent la densité et la précision auxquelles le maître nous a habitués, tandis que la seconde moitié s’aventure vers une approche plus libre, parfois inégale, mais toujours habitée. Les couleurs, elles, continuent de ressembler à des rêves fiévreux peints dans l'urgence . Aucun imitateur n’a jamais véritablement réussi à « faire du Corben » sans terminer carbonisé par le résultat et les pages de rédactionnel traduites dans cette édition chez Delirium nous le confirment. Que ce soit Matt Kindt ou Jose Villarubia, le constant est identique. Aborder la génèse des œuvres de Corben, vouloir en percer les mystères, c'est se heurter à un fait simple : le bonhomme était unique, impossible à résumer, à plagier. Un hasard si Del Toro, Moebius et Alan Moore vénèrent Richard Corben comme un dieu tutélaire ? Je ne crois pas. Alors oui, Les Enfants du Feu n’est pas le volume le plus accessible de la saga, mais il en est l’un des plus intrigants et démentiels, dans le bon sens du terme. En revisitant les mythes fondateurs de son univers, Corben étend encore la carte d’un monde où la sensualité, la violence et l’étrangeté fusionnent et nous interrogent. Au lecteur de recouper, décider, digérer, voire même, s'il a un peu de goût et de curiosité, de s'émerveiller.
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MARVEL WORLD 1 : C'EST PARTI POUR LE RÈGNE DE FATALIS
Il y a deux autres épisodes essentiels dans ce premier numéro de Marvel World. Tout d’abord, vous assisterez au nouveau départ de Spider-Man, cette fois confié aux bons soins du scénariste Joe Kelly. Il s’agit en réalité d’un véritable petit festival offert par le dessinateur espagnol Pepe Larraz qui, comme vous le savez sans doute, compte aujourd’hui parmi les meilleurs artistes à l’œuvre chez la Maison des Idées. C’est lui qui parvient à transcender cette relance somme toute très classique : Peter Parker cherche un emploi, en trouve un grâce à une ancienne connaissance du lycée, fréquente une nouvelle petite amie et voit de nouveaux ennemis œuvrer dans l’ombre contre lui. Bref, rien que l’on n’ait déjà lu ou relu, mais l’ensemble a au moins le mérite d’être superbement illustré. Du côté d’Iron Man, c’est désormais Spencer Ackerman qui reprend la série. On retrouve un Tony Stark revenu à la tête de son entreprise… pour s’en faire évincer presque aussitôt. Une panne d’armure au beau milieu d’une démonstration, une chute sévère, une blessure grave et le voilà contraint d’entamer une longue rééducation. Ce retour à la case départ débouche sur une nouvelle sorte de « guerre des armures » qui l’oblige à faire un net pas en arrière dans l’utilisation de sa technologie. L’ensemble est plutôt intéressant, voire franchement intrigant, servi par les dessins prometteurs de Julius Ohta. Le reste, en revanche, se révèle nettement moins enthousiasmant. L’épisode des Avengers, directement lié aux événements du Règne de Fatalis, est d’un ennui profond et parfaitement dispensable : une simple transition narrative centrée sur le Captain America version Sam Wilson, sans véritable intérêt. Même constat pour les épisodes consacrés à Thor, ici issus d’Immortal Thor. Le titre souffre d’un handicap majeur : vous devez prendre l’histoire en cours de route et, si vous n’avez pas lu les chapitres précédents, vous risquez d’être complètement perdu face à ce que propose Al Ewing. D’autant plus que chaque planche est réalisée par un dessinateur différent, ce qui exige une attention soutenue et exclut pratiquement tout lecteur novice. Dommage : le Dieu du Tonnerre a connu des jours bien plus passionnants, y compris récemment. Terminons avec une information importante : si Le Règne de Fatalis vous passionne ou vous a simplement convaincu de casser votre tirelire, sachez qu’il existe une autre publication du même type, actuellement disponible chaque mois. Panini y insère un ensemble de séries annexes, comme Doctor Strange, les Avengers Supérieurs ou Doom Academy. Nous n’avons pas encore tenté l’aventure, mais je vous en reparlerai, le cas échéant.
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ULTIMATE SPIDER-MAN DE JONATHAN HICKMAN : LE SPIDEY QU'ON ATTENDAIT
Au cœur du récit, on trouve la relation Peter/MJ, écrite avec une finesse rare. Pas de drames artificiels, pas de ruptures tonitruantes suivies de retours de flammes forcés, seulement deux adultes qui conversent (beaucoup, ça parle énormément dans USM), se soutiennent et affrontent ensemble l’irruption tardive d'un destin super-héroïque. Leur duo donne au récit une stabilité émotionnelle étonnante, surtout lorsqu’entre en scène leur fille May, véritable moteur de plusieurs des meilleurs moments de ces épisodes. Richard, le petit frère, attend son tour, mais il est destiné à de grandes choses, de très grandes choses ! Évidemment, Hickman ne serait pas Hickman sans un vaste échiquier en arrière-plan. L'ombre du Créateur plane toujours, héritée d’Ultimate Invasion, mini-série dont dépend en partie ce nouvel univers. La beauté du travail réside dans son accessibilité : un lecteur novice peut tenter Ultimate Spider-Man sans diplôme en hickmanologie, tandis que les plus férus y verront mille échos et clins d'oeil à des trames passées et futures. Graphiquement, ce premier Deluxe est un régal. Marco Checchetto délivre un Spider-Man athlétique, massif, profondément humain dans chaque expression, et ses planches redonnent foi en ces comic books modernes dont le niveau graphique moyen a tendance à déconcerter les anciens. Lorsqu’il laisse la main à David Messina, l’énergie ne retombe pas : certaines de ses pages sont très élégantes, et fichtrement intelligentes. Pas simple de succéder au grand Marco en ne devant dessiner que des scènes statiques dans un restaurant, par exemple. Messina, la force tranquille ! Et puis, il y a les surprises. Le Bouffon Vert en pseudo-mentor ? Voilà une idée qui semblait impossible… jusqu’à ce qu’elle fonctionne. Harry Osborn is back in the game ! Bref, on a l’impression d’avoir retrouvé un Peter Parker qui avait disparu depuis longtemps : un héros qui évolue, qui interroge ses choix, qui n’est plus coincé dans une boucle sans fin de « problèmes d’adulte écrits comme des soucis d’adolescent ». Si vous aimez Spider-Man, lisez cet album. Si quelqu’un que vous aimez aime Spider-Man, offrez-lui cet album. C'est Spider-Man, comme on l'aime, comme on le voudrait encore.
(En illustration, la variant cover spéciale Noël, parce que… c'est bientôt Noël)
LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SILENT JENNY
- La sortie de Women of the west, album choral que l’on doit au scénario de Tiburce Oger, au dessin signé par de nombreuses et nombreux artistes et c’est publié aux éditions Grand angle
- La sortie de l’album Là où tu vas que l’on doit à Étienne Davodeau ainsi qu’aux éditions Futuropolis
- La sortie de l’album Thrillerville que l’on doit à Lerenard pour le scénario, Alex Puvilland pour le dessin et l’album est publié aux éditions Daniel Maghen
- La sortie de France profonde, un album que l’on doit au scénario conjoint de Kris et Swann Dupont, au dessin d’Eliot et c’est publié aux éditions Albin Michel
- La sortie de l’album Que d’os !, adaptation d’un roman de Jean-Patrick Manchette par Max Cabanes, épaulé par Doug Headline, un titre sorti chez Dupuis sous le label Aire noire
- La réédition d’Un léger bruit dans le moteur, album que l’on doit au scénario de Gaet’s, au dessin de Jonathan Munoz et c’est sorti aux éditions Petit à petit.
OBRIGAN TOME 1 : LE SERMENT DES DRUIDES (CHEZ SOLEIL)
En enquêteur méthodique, Obrigan traque les incohérences dans les témoignages, débusque les mensonges et tente de comprendre comment un carnage aussi improbable a pu se dérouler dans un endroit censé défier toute intrusion. La démarche, d’ailleurs, constitue l’un des grands atouts de ce premier tome : elle donne à la série un parfum d’enquête monastique à la Nom de la rose, tout en ancrant l’intrigue dans une fantasy à la fois sombre, rugueuse et ouverte à toutes les saillies surnaturelles. Chacun pourrait être coupable, chacun cache quelque chose, et l’album multiplie les fausses pistes à plusieurs reprises. Obrigan est accompagné par deux jeunes disciples qui vont avoir un rôle (et un destin) différent au fil des pages, tandis que le lecteur va réaliser, en cours de route, que les secrets des druides sont cachés et jalousement gardés pour une bonne raison. Graphiquement, Pierre-Denis Goux transforme cette enquête en véritable plongée sensorielle. Ses forêts semblent respirer, ses citadelles imposent le respect par leur austérité, et les personnages portent leurs émotions au visage comme des stigmates (visages couverts de cicatrices, parfois). La mise en scène alterne grands panoramas solennels et gros plans nerveux qui amplifient la tension. Les coloristes, eux, travaillent dans une pénombre volontaire, presque une obscurité rampante, mais sans jamais perdre la lisibilité du trait. Reste à parler du texte, du scénario, où l’on sent la patte d’Olivier Peru : un récit solide, bien huilé, qui n’hésite pas à poser ses bases et à détailler son univers… parfois un peu abondamment. La mythologie locale, les rivalités entre royaumes, les dons druidiques, tout cela forme un ensemble riche mais aussi un brin bavard. Rien de rédhibitoire, néanmoins. Et je vous l'assure, car ce n'est pas habituellement ma tasse de thé, mon domaine de prédilection. Pourtant, je n'ai jamais décroché, tout compris, pratiquement tout aimé. Bonne pioche. Un début dense et ambitieuse pour cette nouvelle série impeccablement illustrée, qui devrait en séduire beaucoup parmi les amateurs et amoureux d'un genre sans cesse renouvelé.
SPAWN 2025 : NOUVEAU DEPART NOUVEAU FORMAT CHEZ DELCOURT
Cette histoire, ce renouveau, gagne en densité lorsqu’il aborde le cas d’Eddie Frank, devenu mi-ange, mi-vampire. Cette transformation, tragique et imprévisible, sert de moteur émotionnel et confère à Spawn une motivation limpide : sauver un ami en train de glisser vers une monstruosité qu’il n’a jamais désirée. Dans un univers où les frontières morales étaient autrefois écrasées par des enjeux cosmiques, voir Spawn se battre simplement pour protéger quelqu’un à qui il tient redonne à la série un parfum d'intimité et de camaraderie qu'on pensait perdu. Cette nouvelle phase vampirique s’impose ainsi comme un laboratoire narratif : Spawn apprend à fonctionner dans un monde où la magie ne règle plus rien, où les alliances se font dans l’urgence, et où les monstres sont parfois ceux qui souffrent le plus. En se recentrant sur la relation entre Spawn et Eddie Frank, la série retrouve ce qu’elle a toujours su faire : raconter des destins brisés dans un univers en ruines, avec une noirceur qui ne renonce jamais à une forme d’humanité. Certes, il ne faut pas s'attendre à ce que cet étrange statuquo perdure plus de quelques mois. L'album sobrement nommé 2025 est le récit d'une longue parenthèse intrigante, mais une parenthèse tout de même. L'ensemble forme une porte d'entrée pas si idéale que ça pour les nouveaux lecteurs, car il y a beaucoup de personnages, de retours venus parfois de nulle part, et c'est le fin connaisseur chevronné qui appréciera pleinement ces épisodes. Néanmoins, ça peut se comprendre et se tenter. Rory McConville et Todd McFarlane écrivent et développent le titre comme aux grandes heures des années 1990, avec l'apparition quasi systématique d'un nouveau protagoniste en fin de chaque numéro, pour faire monter les enchères ou développer une situation tendue. C'est gothique des pieds à la tête, sanglant, avec un Brett Booth qui démontre être toujours un des plus grands spécialistes de ce genre de récits. Les poses iconiques abondent, pour la plus grande joie de vos rétines. Spawn, l'incarnation d'une noirceur qui ne renonce jamais à une forme d’humanité, et ne semble jamais vouloir vraiment vieillir, depuis plus de trois décennies, pour le meilleur et pour le pire.
ZAGOR : LA VENGEANCE DE DUNCAN CHEZ FORDIS
Comme vous le savez sans doute, Zagor, autrement dit l’Esprit à la hache, est mon personnage préféré, tous styles de bande dessinée confondus. Alors forcément, lorsqu’un album contenant l’une de ses aventures débarque sur le marché français, il m’est impossible de passer à côté sans vous en parler. Le problème, hélas, vient de la manière dont cette histoire a été publiée chez Fordis. Je m’explique : tout d’abord, le choix d’un petit épisode de 48 pages, écrit par Stefano Fantelli, proposé dans un grand format à 20 €, laisse perplexe. À ce tarif, une grande partie du lectorat habituel de Zagor — celui de la bande dessinée populaire, les fumetti — n’osera sans doute pas tenter l’expérience. D’autant que la distribution semble pour le moins erratique : par exemple, impossible de trouver l’album dans les différentes Fnac du Sud que j’ai visitées. L’histoire originale était en noir et blanc, et il faut reconnaître que la mise en couleur n’a rien d’exceptionnel ; elle finit même par aplatir le trait de Rodolfo Torti, un dessinateur au style très particulier, assez éloigné de ce que les lecteurs de Zagor connaissent et apprécient. Résultat : cette approche a autant de chances de provoquer l’incompréhension, voire le rejet, que l’adhésion. Le choix reste donc étonnant, même si l’on suppose que le succès d’une autre BD du même artiste (Jan Karta) a pu motiver cette publication. Ajoutons à cela une traduction d’une grande platitude : rien d’exceptionnel, des expressions traduites presque au pied de la lettre, des dialogues qui sonnent faux et une impression générale de lourdeur. La relecture, elle aussi, n'est pas parfaite, loin de là : certaines fautes d’orthographe figurent même dans la présentation officielle de l’album sur le site de l’éditeur, où l’on peut trouver, par exemple, une confusion entre et et est (dans l'album, c'est l'impératif qui pose problème, à un moment donné). Bref, difficile de ne pas penser que ce type de publication aura du mal à trouver son public. Ce n’est pas, à notre sens, la meilleure façon d’adapter la bande dessinée populaire italienne, et tout ce que nous pouvons en dire risque, une fois encore, d’entrer par une oreille et de ressortir par l’autre. Alors oui, difficile de ne pas être déçu, et de ne pas nourrir la certitude que, malheureusement, à part combler une poignée de nostalgiques, ce n’est pas de cette façon que Zagor pourra conquérir le public français. Mais malgré tout, achetez l’album ! Soutenez cette initiative ! Simplement, n’en attendez rien d’autre qu’une petite parenthèse sympathique, qui a toutefois bien peu de chances de s’inscrire dans la durée.
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BATMAN DARK AGE : RELECTURE ET HOMMAGE AVEC RUSSELL ET ALLRED
C’est là-bas, dans la moiteur du chaos, que Bruce Wayne apprend les techniques de combat, mais aussi la subtile analogie entre le jeu d’échecs et la lutte contre le crime. Mark Russell parvient à reconstituer ce que nous pensions déjà connaître tout en en modifiant le sens et les connexions. C’est brillant, incisif, et superbement écrit — un véritable régal. De retour à Gotham, Bruce combattra pour ceux qui en ont besoin, guidé par une morale inébranlable et un code éthique strict : ne jamais tuer. Et il faut dire que la ville avait grand besoin d’un justicier de cette trempe, tant elle est gangrenée par la mafia locale, dominée par la famille Falcone. On retrouve dans cet univers revisité toute une galerie de visages familiers. Le Joker, d’abord, ici réinventé en clown triste, cabarettiste raté qui gratte là où ça fait mal. Les membres de la Justice League, eux, sont trop occupés à sauver l’univers de l’arrivée imminente de l'Anti-Monitor (Crisis on Infinite Earths, vous l'avez compris) pour venir prêter main-forte à Batman. Dick Grayson, quant à lui, bosse d’abord pour la pègre locale avant d’être recueilli par Bruce, tandis que Catwoman fait son apparition dès l’adolescence, avant de devenir cette anti-héroïne ambivalente qui partage avec Batman une relation aussi électrique que trouble. Michael Allred signe les planches avec son style inimitable : une apparente simplicité, une fausse naïveté, qui collent parfaitement aux intentions de Mark Russell et à la période qu’il évoque. Ce parti pris graphique divisera peut-être (certains y verront une limite, d’autres une formidable cohérence esthétique) mais il sert admirablement un récit à la fois dense, inventif et souvent brillant. Batman Dark Age s’impose ainsi comme une réussite pleine de charme et d’audace, émaillée de moments de grâce et d’idées lumineuses. Un album qui ne déçoit pas, et qui, sans aucun doute, trouvera sans mal son public.
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LES ACHARNÉS : UN HORS SÉRIE "CRIMINAL" DE BRUBAKER ET PHILLIPS
Le versant d’Angie, en revanche, est un peu plus classique. Chassée de son bar, orpheline de repères, elle dérive vers la criminalité, miroir tragique de Jacob, sans bénéficier de la même ironie méta. Le récit alterne bien les points de vue, mais sans contraste formel ou de ton : noir c'est noir, gris c'est gris, il n'y a presque (plus) d'espoir, au fil des pages. C'est comme toujours à chaque fois qu'une embellie (ici la période du confinement durant la crise du covid) survient que le lecteur s'attend à voir tomber la grêle ou la foudre, et immanquablement, c'est ce qui arrive ! Sean Phillips et son fils Jacob (à la couleur) parviennent à magnifier l’ensemble, une fois de plus. Le trait de Sean reste d’une élégance naturelle, à la fois brutale et mélancolique, tandis que la palette chromatique de Jacob sert le propos : éclats pastels pour Hollywood, néons nocturnes pour la dérive d’Angie, sépias fatigués pour les souvenirs. Tout respire l’expérience, la maîtrise, la complicité visuelle. Les Acharnés n’est pas une révolution graphique, mais une leçon de style, leçon donnée par trois artisans au sommet de leur art. Certains reprocheront à Brubaker et Phillips de se répéter, de ne plus surprendre. C’est vrai qu’ils ne cherchent plus à réinventer la roue. Mais il faut reconnaître qu’ils savent toujours la faire tourner avec une précision d’orfèvre. Leurs personnages restent des âmes en sursis, oscillent entre rédemption et damnation, et ce nouveau volume (publié sous la forme d'un roman graphique, pas d'une série), plus introspectif que bien des précédents, emmène l'univers de Criminal vers un territoire plus existentiel. Les Acharnés n’est peut-être pas le volet de la saga le plus explosif, mais c’est sans doute l’un des plus honnêtes. Une plongée à la fois dans l’industrie du divertissement et dans les obsessions de deux auteurs qui ne savent pas (ou ne veulent pas) envisager de jeter l'éponge. Des acharnés de l'art, du noir, du glauque, de la vie en général. Tant que le talent sera à ce point au rendez-vous, take my money, Sean & Ed.
HYDE STREET : LA RUE DE L'HORREUR SELON JOHNS ET REIS
Graphiquement, Ivan Reis signe des planches d’une richesse impressionnante, renforcées par l’encrage de Danny Miki et les couleurs savantes de Brad Anderson. Le trio évoque les ombres et les textures du comics d’horreur classique sans sombrer dans le pastiche. Francis Portela apporte quant à lui une respiration visuelle bienvenue lors de deux épisodes, avec un style plus européen et clair, qui n'est visiblement pas suffisant pour que son nom apparaisse sur la couverture de l'ouvrage (on adore Francis, aussi doué que sympathique, c'est un crève-cœur que cette décision erronée). Au-delà de ses atours macabres, Hyde Street se penche ouvertement sur notre fascination pour la faute et la punition. Les damnés de Geoff Johns ne sont pas que des monstres : ce sont des humains rongés par la culpabilité, la honte ou l’orgueil. L’horreur, ici, n’est pas dans les crocs des démons, mais dans la lucidité. Et c’est ce qui rend la lecture aussi dérangeante que captivante. Il y a toujours une raison qui pousse ces individus à devenir ce qu'ils sont devenus, qui éclaire d'un jour nouveau leur décadence. Seul les criminels les plus ignobles, comme cet homme qui s'en prenait à des jeunes filles, sont voués à une fin atroce, sans nuance ou rédemption ébauchée. Sombre, cruel, et pourtant profondément humain, Hyde Street confirme que Geoff Johns n’a rien perdu de sa science du récit. Il la met simplement au service d’un enfer moral d’une cohérence jusqu'ici quasi parfaite. L'impression est qu'il s'agit là d'un vrai univers à tiroirs, capable de tenir sur la durée, comme un témoigne aussi le numéro spécial consacré à Mme Bienfaite (la fanatique de la maigreur) et sa famille, qui vient donner de la profondeur psychologique à un personnage détestable, incarnation de la course à la superficialité et aux kilos de trop. Hyde Street est vraiment une découverte à faire au plus vite !
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WONDER MAN : MY FAIR SUPER HERO (AVEC PETER DAVID)
Il faut être honnête : sans la puissance de frappe de Disney+ et de ses séries télévisées, nous n’aurions sans doute jamais découvert en la...
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Comme chaque samedi désormais, nous vous proposons de plonger dans l'univers de la bande dessinée au sens le plus large du terme,...
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