FURTIF : L'ALZHEIMER AU PAYS DES SUPER-HEROS


Ancien fleuron de l'industrie automobile américaine, la ville de Detroit connait depuis de nombreuses années un déclin tel que certains quartiers sont devenus presque invivables. C'est avec cette déréliction en toile de fond que prend son essor cette mini série en cinq parties, publiée sur le label Skybound aux États-Unis et en français chez Delcourt comics. Le héros de cette histoire (mais en est-il vraiment un) est Furtif, un super type en armure, une sorte de Iron Man version Extremis (puisque l'armure en question est reliée directement à son corps via sa moelle épinière, par le biais d'une sorte de prise sur la colonne vertébrale); c'est un héros un peu particulier car il est déjà très âgé, cela fait plusieurs décennies qu'il fait respecter la loi et l'ordre à sa façon, dans les rues de Detroit. En conséquence rien de surprenant à ce que dans le civil notre homme, Daniel Barber, ancien pompier, perde la tête, atteint de la terrible maladie d'Alzheimer qui vous fait confondre les événements du passé et du présent, et vous fait lâcher prise avec votre propre réalité, au point de ne plus reconnaître les personnes qui vous entourent. C'est d'autant plus terrible qu'il a un fils, Tony,  journaliste à la gazette locale, qui tente tant bien que mal de veiller sur le paternel... mais à force de vouloir bien faire, non seulement le fiston se sent impuissant, mais un soir, il a la surprise en rentrant chez lui de constater que l'une des fenêtres a été totalement explosée... et de voir son père en mauvaise posture, toujours en partie engoncé dans l'armure de Furtif... bref une révélation qui tombe au pire des moments et qui va complètement et radicalement changer la donne entre les deux générations, qui vont devoir composer avec ce bouleversement, à commencer par une évidence : Furtif n'est plus en état d'assurer ses patrouilles de super-héros, car il est un danger pour lui-même et pour les autres.




Mike Costa est un scénariste qui a beaucoup de savoir-faire; partout où il passe il est capable de transformer des franchises moribondes ou présentant peu d'intérêt en quelque chose de vraiment lisible, et qui contient des fulgurances inédites (même les G.I.Joe ou Transformers). Ici il parvient à appliquer sa recette avec beaucoup de succès : comment rentrer très rapidement dans le vif du sujet et maintenir l'intérêt une centaine de pages durant, avec suffisamment de rebondissements et des personnages bien campés, humains, dont les interactions sont crédible et touchantes. Nous trouvons aussi des supers vilains en apparence assez banals, une guerre des gangs entre les criminels locaux et des albanais, dont le chef charismatique a le visage totalement défiguré, un peu comme Doubleface, un des méchants caractéristiques de Gotham. Si ce n'est qu'il possède aussi une main droite bien particulière, dont le toucher est instantanément mortel. Furtif, c'est une lecture qui file sur de bons rails dès la première page, et qui semble couler de source. On y aborde clairement le problème du gap générationnel, mais aussi un regard perçant sur la maladie et la sénilité, et la place du super-héros au sein de la communauté qu'il défend. A force de s'arroger le pouvoir de faire respecter une forme toute personnelle de justice, stérile sur le long terme, la solution aux super pouvoirs ne contribuerait-elle pas à envenimer le problème, ou le rendre insoluble? Pour mettre l'ensemble en images, Nate Bellegarde ne s'embarrasse pas de fioriture. Le trait est essentiel, se concentre sur les personnages et leurs sentiments, plus que sur la mise en scène d'un décor très approfondi (si ce n'est donc les références à Détroit). Le tout est efficace, s'amuse avec les codes du genre en vigueur (les histoires de voyage dans le temps sont au menu, les armures futuristes, de bonnes vieilles confrontations explosives...) tout en affichant cette patine désabusée et décadente, qui en fait une sortie très recommandée. 

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