C'est la jungle là dehors, et par jungle j'entends le marché du travail, notamment l'ubérisation inévitable de tout un pan de la société. Désormais la lutte pour une simple petite livraison devient l'enjeu de travailleurs qu'on ne respectent plus, et qui parfois font la file devant les "hotspots" afin d'obtenir cette commission dont ils ont vraiment besoin. Ce phénomène, qui est présent dans nos rues, à la portée de tous, on peut aussi l'étendre à une échelle cosmique. Vous savez que même le service postal est aujourd'hui le plus souvent bradé à des prestataires privés qui remplace progressivement le secteur public, et bien c'est un peu pareil dans Space Bastards publié chez les Humanoïdes associés. Ici tous les coups sont permis, la seule chose que vous devez faire, c'est acheminer votre paquet à l'autre bout de l'univers, tout en évitant de vous le faire voler par un collègue ("colis transféré" bel euphémisme pour cette "transaction"), et pour ça il vous faut échapper aux guet-apens, aux balles, aux explosions, aux voleurs, aux coups du sort... bref le service postal intergalactique vous offre la liberté la plus totale, une vie d'aventure et de frissons, mais c'est aussi une course folle où l'issue est de récupérer un maximum de gains, ou de trouver la mort. Du coup ce sont les paumés, les marginaux, qui acceptent de vivre cette existence, et c'est donc avec une galerie de portraits savoureuses que l'album va s'ouvrir. Le lecteur sera d'emblée placé en territoire connu, puisque les dessins de Darick Robertson, toujours aussi expressifs, burlesques, dotés d'un encrage assez gras (qui n'est pas sans rappeler ce que fait Texeira par exemple) vous accueillent pour le plaisir de tous. Bien entendu le ton est extrêmement sarcastique, l'humour présent un peu partout, avec les scènes qui peuvent être choquantes ou dérangeantes, ou complètement hilarantes. Il y a du vomi et des boyaux, des robots sexuels et des aliens passablement érotomanes, de la violence bien gore et des dialogues qui vont faire froncer les sourcils, bref ça ressemble en effet à The Boys, c'est évident. Le climat n'est pas trop différent, si ce n'est que le récit est maintenant situé dans l'espace, et qu'il y a un discours social derrière tout cela.
Les scénaristes Eric Peterson et Joe Aubrey, qui ont bien galéré pour monter le projet Space Bastards, notamment en utilisant, sans grand succès au départ, la formule du financement participatif, sont parvenus à aligner quelques jolies têtes brûlées qui rendent l'ouvrage fort sympathique. Notons Dave S Proton, un novice qui vient de perdre son emploi, et qui voit dans un enrôlement au service postal intergalactique un moyen de s'affirmer et de subvenir à ses propres besoins. Il va devenir vite un vrai renard, et parviendra à s'adapter à la folie ambiante. Il faut dire que sa "formation" a été confiée au départ à Mani Corns, un instructeur qui hésite entre Kilowog et Billy Butcher sous amphétamines, ultra violent et à l'épreuve des bombes (au sens littéral). Le type est un colosse sans foi ni loi, et rien ne l'arrête. Zordakk est un alien gélatineux, un vague cousin de Doop, mais pour qui l'existence se résume à la gaudriole, à user de ses multiples verges pour satisfaire des besoins sexuels hors normes, y compris avec des robots conçus pour cette tâche particulière. Sharpton est l'industriel raté, avec plus de gouaille et d'audace que de vraie vision professionnelle, celui dont les délires deviennent vite une règle de vie pour les nouveaux livreurs de la galaxie. C'est aussi un prétexte à une parodie de la manière dont la question amérindienne est gérée ou réglée aux Etats-Unis, et si c'est drôle et osé par moments, ça reste trop superficiel, malheureusement. Layla Fontane est une femme d'action, longtemps cantonnée aux seconds rangs, qui ici assume enfin ses capacités et porte sur ses épaules la partie "féministe" de l'histoire, qui est très discrète, admettons-le. Le grand "vilain", façon de parler, s'appelle Wayne, et rappelle le Bruce du même nom, autocentré sur le profit et le capitalisme sauvage à travers la galaxie. C'est avec ces paumés, cette armée pathétique ou poil à gratter, que Space Bastards plonge le lecteur dans un feu d'artifice outrancier, qui joue avec les limites de la bienséance, pour en tirer un album à ne pas mettre en les mains du petit frère qui rentre en sixième et demande à lire un comic book, pour voir ce que c'est. Comparé à ceci, Deadpool ressemble au Journal de Mickey. Vous embarquez?
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