UN ÉTÉ CRUEL : UN "CRIMINAL HORS-SÉRIE" MAGNIFIQUE CHEZ DELCOURT


Lorsqu'arrive la belle saison, on a parfois coutume de dire : l'été, la saison de tous les dangers. C'est un peu ce qui se vérifie dans cet album publié par Delcourt et qui s'insère dans l'univers narratif de Criminal, cette œuvre superbe d'Ed Brubaker et Sean Phillips. Ici nous nous concentrons sur la famille Lawless, que les lecteurs connaissent déjà. Plus précisément Teeg et le fiston Ricky. Ce dernier est encore jeune mais son destin semble déjà marqué par les engrenages infernaux d'une transmission filiale viciée, quand votre noyau familial n'existe pas et que votre paternel a un seul talent évident, celui de se fourrer dans les mauvais coups. Il est évident que de la sorte, vous ne grandirez pas de la même manière d'un garçon de bonne famille. D'ailleurs si Ricky se lance dans des opérations interlopes et s'il a l'audace d'aller ennuyer et cambrioler les personnes qu'il vaudrait mieux laisser tranquille, c'est aussi parce qu'il faut qu'il trouve de l'argent pour la caution, qui permettra à son géniteur de sortir pour la énième fois de prison. Teeg est lui un homme qui n'a guère d'illusions sur ce qu'il vaut et ce qu'il fait en ce bas-monde; quasiment toute sa vie a été basée sur une accumulation de larcins et il est trop tard pour imprimer une direction contraire à une trajectoire brisée... à peine la liberté retrouvée, c'est pour se poser la question de la subsistance à venir, et donc des nouveaux mauvais coups à préparer! Pire encore, il ne va pas tarder à faire la rencontre d'une beauté fatale dénommée Jane, dont il va tomber éperdument amoureux. C'est une constante chez Brubaker, les femmes sont particulièrement dangereuses et s'en approcher de trop près, tel Icare avec le soleil, c'est l'assurance de voir fondre votre dernier espoir d'améliorer votre ordinaire. On passe donc notre temps entre scènes familiales où s'instaure une sorte de trio malsain entre le père, le fils et la nouvelle compagne (et les premiers temps sont difficiles car cette dernière citée est perçue comme une intruse par l'adolescent, jusqu'à ce qu'un geste fatal et tragique n'achève de les rapprocher, ce qui au final est une nouvelle étape vers une fin programmée) et les ambiances glauques et poisseuses qui caractérisent ce type de récit "noir" où on passe beaucoup de temps dans des bars enfumée et dans des ruelles malfamées.



il y a donc beaucoup de violence en filigrane dans cet "été cruel",  à partir du titre. L'ensemble fonctionne comme un compte à rebours qui une fois enclenché ne pourra pas être stoppé; on devine la fin dès le départ, reste à comprendre comment on va y aboutir, quelles seront les étapes et dans quel ordre. C'est aussi le récit initiatique d'un adolescent, Ricky, qui va vivre des événements si puissants et dramatiques que toute sa vie sera désormais figée, et qu'il n'existera plus aucun moyen d'envisager autre chose qu'une destinée bien sombre. La force du récit de Brubaker est de savoir réserver à chaque personnage ses moments forts, il n'oublie personne, les caractérisent tous à la perfection, et chacun en voulant parfois bien faire ne fait que renforcer son attraction négative sur les autres, une sorte d'émulation criminelle qui pousse tout le monde vers le néant. Le propre de Criminal était de savoir qui suivre, à chaque histoire, ici le récit est choral et pour autant attentif à chacun. Le dessin est confié à Sean Philips, et il est mis en couleurs par le fils Jacob; inutile de dire que chaque planche est absolument magnifique, les expressions des personnages, le cadrage extrêmement inspiré, les ombres et les ambiance feutrées et intimistes, font de cet été cruel un chef-d'œuvre absolu, qui vient s'ajouter à une liste déjà longue, tant le duo aux manettes est désormais représentatif d'un genre dont il maîtrise tous les codes à la perfection. Aucune fausse note, aucun moment faible, dans ce qui ressemble déjà sur le papier à un un film évident, qui pourrait prochainement voir le jour. Il est rare de tomber sur une aventure où la dynamique des événements, le caractère tragique et humain, et la mise en images remarquable forment une telle fusion; c'est peut-être la sortie la plus classieuse de l'été! 


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