ROYAL CITY TOME 1 : FAMILLE DÉCOMPOSÉE (ATTENTION CHEF D'OEUVRE!)

Commençons donc la semaine, par une merveille. Vous avez déjà lu (et aimé) Essex County, oeuvre majeure et précoce du formidable Jeff Lemire? Si vous êtes plutôt fans de ce type de récit intimiste et qui place au centre de la scène des histoires profondément humaines, avec des rapports familiaux en plein délitement, Royal City est la lecture qu'il vous faut. Imaginez donc Essex County, compilé sous forme de graphic novel, devenir une série régulière à cadence mensuelle. Vous y êtes, c'est beau, c'est grand.
La famille Pike est le centre de gravité de ces cinq premiers épisodes. Tout démarre lorsque le père, Peter, fait une crise cardiaque en pleine nuit, alors qu'il vient de se disputer une énième fois avec sa femme, à cause d'un banal en-cas avalé à la sauvette. Fait particulièrement étrange, avant de défaillir, l'homme a perçu la voix de son fils Tommy, derrière les grésillements de l'une des vieilles radios qu'il aime tant bichonner. Patrick, le fils ainé romancier, et marié avec une star du cinéma (bien que cette union soit fort bancale...), retourne à Royal City pour aller au chevet de son père hospitalisé, dans le coma. Mais son troisième roman se fait attendre, il a besoin de l'argent des avances, pour un texte qui n'est pas écrit, et sa vie personnelle est en plein bouleversement. La situation est encore plus terrible pour Richie, le frangin, qui a sombré dans l'alcoolisme et les petits larcins, ou Tara, la soeur, dont le projet de rénovation de l'espace urbain de la ville se heurte au fait qu'il suppose le licenciement des ouvriers de la grande usine locale, là où son mari est contremaître. Quand à la mère, elle est devenue acariâtre, tranchante, et tente de dissimuler qu'elle a une relation avec un amant, de retour en ville. Royal City, un bled paumé en pleine décomposition, où les âmes se mettent au diapason de l'absence de perspective... Et chacun est régulièrement accompagné par Tommy, ou plutôt une version toute personnelle de Tommy


Petite détail d'importance, le Tommy en question, ou les "Tommy" en question, est en effet censé être...mort, noyé dans une rivière. Un drame qui a bouleversé la routine familiale, au point que personne n'en est sorti indemne, comme vous allez le lire et découvrir. Je cesse de faire durer le suspens et j'émets le verdict final : Royal City est un chef d'oeuvre, une merveille, tout simplement. Jeff Lemire revient vers ses premiers amours, ce qui a fait de lui le talent pur qu'il a ensuite affiné et perfectionné. Un drame intimiste, étrange, dérangeant, nostalgique, doux-amer. Le style graphique reste du Lemire, c'est à dire que le dessin est assez brut, vise à l'essentiel, et dans le même temps il est indéniable qu'aujourd'hui l'auteur canadien est capable de compositions remarquables d'intelligence, qu'il sait raconter une histoire avec une dextérité bluffante, aussi à l'aise avec le texte, qu'avec les images. J'ajouterais même, avec les non-dits, et les non-vus, qui enrichissent ce premier tome de Royal City.
Ce fantôme qui hante le récit, c'est aussi l'excuse, le poids, qui ruine inéluctablement l'existence des membres de la famille Pike. Tous ont échoué à un moment donné, ou ont choisi de perpétrer un mensonge rassurant, qui va devoir s'effacer, pour que la vérité permette d'aller enfin de l'avant. Mais dans la douleur, avec courage.
Le tout est raconté dans une ville en plaine perdition elle aussi, ancien fleuron du canada industriel, aujourd'hui condamnée à se réinventer en quelque chose d'autre, ou de mourir inéluctablement, étouffée par le chômage et l'ennui. Royal City, à travers les aquarelles émouvantes de Lemire, est le prolongement de la trajectoire de vies perdues, confuses, qui sont aussi, d'une certaine manière, celle de monsieur tout le monde, peut-être la votre, la mienne. Un grand bonhomme, un grand artiste, ce Jeff Lemire. 



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