BLACK WIDOW : LE FILM SUPER-HÉROÏQUE D'ESPIONNAGE


   Même si cette règle est niée par tous les économistes dingos qui régissent le destin de notre planète, la croissance continue et exponentielle, la surenchère permanente, ce n'est pas possible, physiologiquement parlant. Du coup, que devient l'univers cinématographique Marvel, après le point d'orgue que fut Avengers : Endgame, et son lot de preux chevaliers tombés au champ d'honneur? Comment raviver la franchise de manière convaincante? Et en parallèle, comment ramener Black Widow à l'écran, puisqu'elle fait partie des pions sacrifiés sur l'autel du carnage de Thanos? La réponse à ces deux questions est un voyage dans le passé. Cette fois, nous n'aurons cependant pas besoin des pierres de l'infini ou de passage à travers le royaume quantique. En fait, Black Widow (le film) a des ambitions un peu plus modestes, et se contente de narrer un angle mort de la vie de la belle super espionne. Non seulement ses origines (ce qui restait à faire), mais aussi son histoire, sa "fuite" au lendemain de Captain America : Civil War, lorsqu'elle s'est retrouvée fugitive, proie du gouvernement américain, pour son soutien indéfectible à Steve Rogers. Du coup, Black Widow s'écarte stylistiquement du reste du MCU, tout particulièrement des volets plus récents, pour être un long métrage qui a plus en commun avec les films d'espionnage (James Bond) que les films de super-héros de ses copains Vengeurs. N'eut été la présence de personnages et de références narratives déjà connus, on aurait pu se croire devant un épisode de la saga Jason Bourne mâtinée de guerre froide, un ingrédient qui ne passe jamais de mode dans l'inconscient collectif américain. Le produit fini est donc un travail qui élargit la perspective de l'univers Marvel au cinéma, qui ouvre de nouvelles voies. Ces dernières années, beaucoup ont craint le risque de lassitude du public en raison de la pléthore de productions consacrées aux super-héros. Black Widow démontre qu'il est possible de changer de cap en présentant une vision différente, une approche qui pourrait être la clé pour maintenir son attractivité auprès des téléspectateurs, déjà expérimentée avec succès au format série, sur Disney + (Falcon and the Winter Soldier et son discours sur le terrorisme et le déplacement massif de populations). En plus, Scarlett Johansson, et ce n'est pas une révélation, incarne à la perfection cette espionne ultra douée, physiquement très épanouie et attirante, à tel point qu'il est impensable d'imaginer une autre silhouette que la sienne dans le latex et le cuir qui lui siéent à ravir. Et ici elle bénéficie d'un couple d'acteurs de premier ordre, qui n'a pas à pâlir devant son expérience. David Harbour (dernier Hellboy en date) est un Red Guardian chargé d'assumer le rôle de l'histrion du film, un miroir déformé de sa version occidentale (Captain America) pour qui il parait nourrir une petite obsession. Que sa prestation soit de l'ordre de la plaisanterie assumée, c'est encore plus évident du fait qu'on lui demande d'adopter un accent russe improbable, que seul un Michel Leeb ou un Jean Roucas des grands soirs auraient pu imaginer. Le "couple" sur commande qu'il forme avec Rachel Weisz, autre actrice dont la prestation est convaincante, est le socle émotif qui donne un ancrage aux motivations de la Veuve Noire, mais aussi de sa soeur adoptive, qui partage ainsi les feux de la rampe. Yelena, mais qui es-tu donc? 



Le passé des deux vraies fausses sœurs est en fait une histoire violée, bafouée, puisque reposant sur un ensemble de petites fictions au service d'une grande idéologie totalitaire, avec en temps fort une pause salutaire et merveilleuse en Ohio. Tandis que les deux parents fictifs (deux agents double en terre américaine) réalisent leur mission, les petites Natasha et Yelena ont un aperçu de ce que serait l'enfance normale, la famille, qui sera le seul élément susceptible de les sauver à l'âge adulte, quand elle parviendront à se défaire de l'emprise du conditionnement quotidien du KGB. Natasha a déserté, est passée à l'ouest, a intégré les Avengers, c'est un coussin émotionnel, aussi à l'aise dans le combat que dans l'empathie, c'est une rescapée. Yelena n'a pas eu cette chance, et le contrôle exercée sur elle par ses supérieurs n'est anéanti que par un concours de circonstances, l'amenant à reprendre possession de son existence sans avoir acquis une confiance et une assurance en l'ordre naturel des choses, qui la pousse à adopter une attitude et des méthodes plus radicales et sarcastiques. Du coup le duo avec "sa sœur" n'en est que plus savoureux, et les deux personnages fonctionnent bien au contact l'une de l'autre. Vingt ans ont passé, et deux décennies, cela peut annuler tout et son contraire, dissoudre tout espoir d'humanité et de rédemption, toute capacité de croire encore en une vie, privée de chaînes. Normalement, il en serait ainsi, ou tout du moins il faudrait bien du temps à la captive pour appréhender le nouveau monde qui s'ouvre devant elle. Mais ce serait ignorer la grande force suprême qui régit l'univers, ou plus humblement le crédo moralisateur et familial de Disney (donc Marvel) qu'est l'amour. Tout est possible, quand on s'aime, du coup même les parents fictifs, Alexei et Melina, ont peut-être encore une chance de raviver une flamme qui a brûlé autrefois pour des raisons d'état, et peut-être aussi pour d'autres raisons plus intimes. Dreykov, le grand vilain de cette histoire (lui aussi droit sorti d'un James Bond), ignore tout de cette puissance rédemptrice et pacificatrice, son univers est basé sur la conquête du pouvoir, à l'échelle planétaire, à travers le contrôle mental d'une myriade d'esclaves surentraînées, les fameuses Veuves, dont Natasha est la quintessence en action. Bien sûr, à travers la privation du libre arbitre, puis de la libération/catharsis, c'est aussi la condition des femmes qui est évoquée à l'écran, par ailleurs presque exclusivement occupé par des scènes de lutte et de bravoure au féminin, sans que jamais on ne regrette l'absence du masculin dopé à la testostérone. Les temps morts sont réduits à l'essentiel, les effets spéciaux plutôt convaincants et de fort impact (la grande scène à Budapest, par exemple) même si l'épuisant plongeon final et ses multiples rebondissements abandonne tout espoir de crédibilité narrative. Les fans du Marvel Universe des comics se réjouiront aussi avec la perfidie et la fureur de Taskmaster, un personnage revisité d'une façon intelligente et source d'un twist que je vous laisse le soin de découvrir sur grand écran (bon, on le sent venir de loin, pour être honnête), et ceux qui préfèrent les séries en cours sur Disney + seront choyés par une scène bonus qui fait le lien entre ce qu'on vient de voir, et ce qui nous attend très vite très bientôt. Le Black Widow de Cate Shortland est donc un film qu'on peut recommander sans trop hésiter, et qui parvient à exister même en dehors de son temps, en dépit des pandémies et d'un personnage phare censé être décédé. Sacrée Natasha! 

Pour tout savoir du personnage, chez Panini

1 commentaire:

Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!

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