BLACK ADAM : ANATOMIE DU DERNIER FILM DC/WARNER


 Une fois n'est pas coutume, commençons notre critique de Black Adam par une adresse toute particulière aux lycéens, qui vont trouver en exergue à notre discours un petit florilège d'adjectifs bien pratiques pour acquérir du vocabulaire, et à replacer, à l'occasion, dans une future dissertation. Black Adam (le long métrage) est inepte, inconséquent, nicodème (pardon à ceux qui portent encore ce prénom) ou encore gourdiflot. Pour faire court, il ne brille pas par son intelligence. Certes, ce n'est pas non plus ce qu'on lui demandait, à la base. Il s'agit là d'un bon gros blockbuster à l'américaine, pour lequel on été investis presque 200 millions de dollars, et dont la génèse s'étale sur une bonne décennie, entre hésitations compréhensibles et insistance douteuse. Black Adam, c'est la rupture avec le super héroïsme de papa, le côté boy-scout des défenseurs de l'ordre et de la justice; un type quasi invulnérable dont la colère et la vengeance sont des carburants de premier choix, jamais taris. Qui plus est, celui qu'on nommait autrefois Teth-Adam n'a rien du modèle américain traditionnel, et sa patrie est le Kahndaq, une version fantasmée de l'Egypte, l'Iraq ou de la Palestine, qui une fois portée au cinéma souffre d'une inconséquence coupable. Ce petit territoire impossible à situer sur une carte géographique est aux mains d'une bande de malfaiteurs high-tech, Intergang, une mafia 2.0 qui contrôle les points d'accès, les ressources naturelles, et la sécurité intérieure. Apparemment, le Kahndaq ne possède pas de gouvernement (c'est assez étrange), pas de police, ni même de religion officielle. Sur ce dernier point, on laisse planer un énorme flou, qui est aussi une manière d'éviter de traverser en terrain miné, ou si vous préférez d'éluder, faute de bonnes idées. Ceci étant dit, la région possède sa propre légende, celle d'un esclave qui a su insuffler l'espoir en des jours meilleurs, il y a plusieurs millénaires de cela. Un type qui a été investi de pouvoirs surhumains, sur le même modèle que Shazam, par les mêmes sorciers généreux (c'est du moins la version officielle), et qui s'en est servi pour faire le ménage à sa manière, c'est à dire en jetant l'eau du bain et le bébé par la même occasion. C'est que celui qui fut Teth-Adam n'avait rien d'un pacifiste. Issu d'un peuple réduit en esclavage, il a vu sa famille souffrir puis périr, et il en a conçu comme une certaine acrimonie, qui l'a poussé à perdre un tantinet son calme légendaire. Puni pour sa véhémence, le surhomme a été emprisonné, avant d'être réveillé en 2022 par une archéologue imprudente, à la recherche d'une couronne mystique. Tout ceci nous est expliqué dans les premières minutes, par un texte récité très didactique, la version National Geography de DC Comics, truffé d'ésotérismes bon marché qui fleurent bon le grand n'importe quoi, pourvu qu'on en arrive à la conclusion inévitable, c'est à dire Dwayne Johnson dans son costume, furibard. 




Black Adam, c'est aussi (surtout, pour beaucoup d'entre vous) la Société de Justice. D'Amérique, convient-il d'ajouter. Ou tout du moins, une version de poche, exportable en territoires ennemis, dans la plus grande discrétion. Exit le groupe dont la vocation est de former une grande famille, et où les générations se succèdent dans le respect, la tradition et la transmission. Place à quatre aventuriers mandatés par une Amanda Waller réduite à l'état d'apparitions furtives sur un écran, qui obéissent servilement, à grand renfort de sortilèges et de coups de tatane. Hawkman assure la partie logistique et la distribution de testostérone, sans qu'il soit possible de bien cerner de quel Hawkman il s'agit, quand on est lecteur de comic books (en gros, c'est dans le film une caricature de Tony Stark avec des ailes, qui aurait fait de la salle et soulevé de la fonte pendant des mois, tout en respectant les impératifs du casting, c'est à dire donner de l'espace aux "minorités visibles"). Son ami et probable mentor est le Docteur Fate, qui use et abuse de tours de passe-passe déjà présentés dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness, incarné par un Pierce Brosnan gentil papy énigmatique. Les autres invités sont des novices, recrutés en intérim, et peinent à trouver de la place dans un scénario qui leur réserve uniquement des instants d'humour décalé (Atom Smasher est un gentil benêt un peu gauche, clairement dépassé. Vous avez dit Ant-Man in reverse?) ou de poésie visuelle stérile mais agréable à regarder (l'explosion multicolore des pouvoirs de Cyclone, elle aussi passée à la moulinette des nouveaux standards consensuels, en matière de représentation). Nous frémissions déjà : une équipe américaine intervient au Moyen-Orient, dans un contexte explosif, pour capturer une sorte de dieu irascible qui entend incarner la soif de justice de tout un peuple opprimé? Mais c'est une vraie épopée géopolitique, un pamphlet anticapitaliste et impérialiste, un drame social, qui est sur le point de nous être offert! Nous n'en demandions pas temps, merci Warner, merci DC. Sauf que Jaume Collet-Serra n'en a rien à faire de tout cela, du matériau brut qui lui est confié pour l'occasion. Avec lui, la Justice Society ce sont quatre soldats un poil bourrins qui incarnent l'ordre et l'autorité, qui sont prêts à casser trois douzaines d'œufs pour faire une omelette pour deux personnes. Les libertés individuelles et les subtilités des us et coutumes de ceux et ce qui se dressent sur leur chemin? Au cachot, l'Amérique et la paix dans le monde le valent bien! Et puis c'est un blockbuster pour adolescents qu'on nous inflige là, nul besoin d'ambitionner un ours d'or à Berlin. Tout penauds, nous regardons la montre… encore quatre-vingt dix minutes de film à torcher, et deux gros paragraphes pour ce qui est de notre critique de l'extrême. 




Arrêtons-nous quelques instants sur l'acteur principal de ce film, à savoir Dwayne Johnson. Ancien catcheur et lutteur, il a tenté de porter le projet à bout de bras, qu'il possède particulièrement musclé. Taillé comme un tronc de séquoia, sculpté dans la fonte, il a tout pour incarner un super bourrin sur grand écran, capable de résoudre l'intégralité des problèmes de la planète avec une paire de bourre-pif bien assénés. Certains pourront lui reprocher un manque d'expressivité mais le Black Adam que nous avons devant les yeux n'a rien d'un philosophe des Lumières. Il n'est pas là pour deviser sur l'injustice sociale ou l'inexorabilité du temps qui passe, mais pour exprimer sa colère et sa frustration, de la manière la plus élémentaire qui soit, c'est-à-dire avec ses poings. En fait, je vais être honnête et vous dire que je le trouve bon dans ce rôle; c'est d'ailleurs probablement un des points forts du film, si on se donne la peine de gratter en profondeur pour en découvrir. Clairement, notre Adam Noir est loin d'être un super-héros, mais il est complètement impossible de voir en lui un super méchant. Déjà parce que son histoire familiale n'est pas des plus heureuses et qu'elle aurait de quoi titiller le plus calme des moines tibétains, mais en plus, l'inflexibilité et l'antipathie innées que transmet Hawkman dans ce long métrage font qu'en retour, son antagoniste apparaît comme baignant dans la bienveillance. Il faudrait être foncièrement malhonnête pour ne pas noter le charisme sculptural et la conviction tranquille que place The Rock dans cette interprétation quasi littérale, tant le héros adapté à l'écran semble en réalité le prolongement de l'identité de son acteur, qui même en fronçant les sourcils ne se résume jamais à un bad guy en proie à une furie homicide. Quelques touches drolatiques finissent même par se transformer en un running gag naïf mais qui peut prêter à sourire (la recherche d'une punchline, d'un slogan à réserver aux ennemis vaincus, mais qu'il ne parvient pas à placer au bon moment, dans le bon contexte) le devoir sacré d'un justicier qui s'adapte peu à peu aux méthodes et à la philosophie d'un siècle qu'il découvre. Encore que cette dernière phrase pourrait être sujette à caution, tant le décalage temporel et culturel est mal exploité, avec un Black Adam qui comprend très (trop) vite ce qui se trame autour de lui. Plutôt que de dormir dans une stase magique, probablement a t-il passé ces dernières années sur Twitter à scruter les différentes tendances du réseau asocial par excellence? 




D'une manière générale, le film veut dégager une image sombre. Pour cela, il n'hésite pas à dérouler par moments des scènes totalement surnaturelles, voire horrifiques, entrecoupées de touches d'humour qui n'atteignent pas toujours leur cible. Ça peut-être déroutant et franchement hors sujet, comme dans la dernière partie, lorsque le spectateur découvre une horde de squelettes qui se jettent sur la population. On ne comprend pas trop en quoi ces cadavres ambulants peuvent être utiles à celui qui les convoque (gardons le silence sur ce point précis, pour ne pas spoiler le final du film), étant donné qu'il suffit d'une gifle ou d'une légère brise pour qu'ils se brisent en menus morceaux. Nous sommes au même niveau improbable, voire méprisant, que l'armada des petits Asgardiens, que Thor investit de son pouvoir pour affronter Gorr, dans le déconcertant Love and thunder. Parlons-en, alors, de la population du Kahndaq; les us et coutume locaux, les particularités des habitants, tout cela est rapidement passé à la trappe. Les jeunes font du skate, les adultes sirotent un thé à la menthe (ou une bière) en terrasse, on a plus l'impression de voir une partie de l'Upper East Side de Manhattan, hâtivement reconstituée au Moyen-Orient, qu'une vraie nation orientale ou africaine, fière de son passé et de ses traditions. Le Kahndaq est un théâtre totalement artificiel qui sert juste de prétexte pour raconter une histoire qui ne se déroule pas sur le sol américain; à aucun moment le réalisateur ne prend en considération le potentiel incroyable de ce genre de choix narratif. Si Black Adam et la Société de Justice avaient décidé de se battre comme des chiffonniers au fin fond de l'Amérique Latine ou en Lettonie, je vous assure que l'effet aurait été le même. Alors, pourquoi ce film est-il aussi important, si on écoute nombre de commentateurs? Parce qu'il s'agit des prémices du futur univers cinématographique DC, qui a enfin décidé d'apprendre de ses erreurs. C'est en ce sens qu'il fallait attendre la fameuse scène bonus, celle qui fait toute la différence entre le spectateur entré par hasard dans la salle et ceux qui savent et attendent patiemment leur petit pousse-café digestif. Et là, grande surprise, Henry Cavill nous confirme qu'il reprend du service, que Superman n'est pas très content d'apprendre que Black Adam a fait des siennes, et que vraisemblablement les deux vont se taper dessus (avant de se rabibocher devant un gros hot-dog au ketchup), ce qui nous promet un autre grand film d'une profondeur inégalée, qui sera probablement réalisé par un orfèvre du genre, comme Apichatpong Weerasethakul ou les frères Dardenne. Tout cela nous fait sourire car à l'heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons juste que le grand ménage a enfin été effectué dans la division cinématographique de DC, et que c'est désormais James Gunn qui hérite de la patate chaude, lui qui jusqu'ici peut présenter une copie presque sans faute, des Gardiens de la Galaxie à la dernière mouture de la Suicide Squad, sans oublier l'irrévérence loufoque de la série Peacemaker pour HBO. Certes, entre-temps, le type s'est fait expulsé des Marvel Studios pour avoir balancé quelques tweets poil à gratter et malaisants. Mais dans la mesure où il a particulièrement bien rebondi, soigné sa réputation et son compte en banque, et désormais pris du galon, l'impression est que pour une fois, l'erreur est du côté de la bande à Mickey. Restons donc confiant et soyons un peu bienveillant. Je ne vous déconseillerais pas de vous rendre en salle pour assister à une projection de Black Adam; après tout c'est votre argent, votre budget, et si vous souhaitez profitez de la tiédeur des salles obscures sans avoir à beaucoup réfléchir, vous pourriez même vous sentir dans votre élément. 






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