Une fois n'est pas coutume, commençons par l'objet, le contenant, avant d'aborder réellement le contenu. Inexistences, publié aux éditions Soleil, c'est un beau livre exceptionnel et prestigieux, comme le récite le communiqué de presse… et il ne s'agit pas d'un mensonge ! Le format est extra large, la qualité du dessin, la mise en valeur du travail de Christophe Bec est remarquable, avec par endroits des quadruples planches qui se déploient et forment de somptueux panneaux panoramiques, ce qui renforce l'impression de désolation et de vastitude qui règne dans cette œuvre. Qui d'ailleurs fonctionne en exploitant au maximum les techniques de narration de la bande dessinée. On trouve de simples illustrations avec quelques didascalies, de la BD plus classique, des textes en prose, des césures dans le rythme, représentées par des pages noires à intervalles réguliers. Enfin, un découpage en plusieurs chapitres, dont chacun présente une structure et une ambition narrative différente. Il a fallu cinq ans à Christophe Bec pour mener à bien ce récit post apocalyptique, qui nous montre une humanité désormais condamnée à ne plus avoir d'après, juste un présent stérile et coupé de ses racines, où les quelques survivants s'organisent sous la forme de clans, sans même comprendre pourquoi ils en sont arrivés là et donc où ils pourront aboutir. Sans même savoir s'ils pourront aboutir quelque part, un jour. Tout semble figé dans la glace : nous sommes en haute montagne, les décors sont aussi froids qu'impressionnants, l'espoir est à jamais congelé. Quand il ne reste qu'un présent aussi désolant, l'existence peut alors être définie une inexistence, d'autant plus qu'elle est censée être le prélude à autre chose, par essence. À un moment du récit, un homme seul décide de se risquer hors-zone, c'est-à-dire loin des refuges artificiels des poches de survivants. Son objectif est de rencontrer une créature qu'on nomme l'enfant bleu, qui dans son sanctuaire inaccessible détiendrait les secrets de l'humanité, qu'on pense à jamais oubliés.
Cet album hors norme, c'est aussi le retour de Christophe Bec au dessin et pour le coup, on est littéralement emporté par les illustrations, parfois sauvages, saisissantes, majestueuses, qu'il nous propose d'un bout à l'autre. Avec un dernier chapitre qui est une sorte d'hymne à la vie animale et végétale, vibrante et naturaliste, en contraste complet avec tout ce qui a précédé auparavant. Comme le dit lui-même l'artiste, le monde entier semble s'enfoncer dans une forme de folie nihiliste et la guerre à grande échelle nous menace toujours, insidieusement. Nous avons les moyens de nous autodétruire en quelques jours, aussi qu'adviendra-t-il le moment où nous franchirons le Rubicon et où nous ne pourrons plus revenir en arrière ? La réponse (ou en tous les cas ce qui viendra par la suite) se trouve probablement quelque part dans les pages de ces Inexistences. C'est un album qui embrasse différentes thématiques, avec notamment la résilience des individus, la capacité de survivre grâce à la technologie et même une forme de mysticisme/science-fiction qui est assez prégnante, dans la seconde partie, notamment avec le texte en prose Métal hurlant. L'ensemble revêt l'apparence d'un grand geste artistique qui invite à être découvert, sans vraiment se demander ce qu'en pensera le lecteur : on n'essaie pas ici de le séduire et de l'appâter avec de vaines promesses, on le place devant un futur dystopique et post apocalyptique possible, effrayant, glaçant, puis on lui demande de s'immerger dans la beauté mortifère d'une bande dessinée insolite et grandiloquente. Une des sorties les plus intrigantes de l'année, assurément, disponible chez Soleil, juste avant les fêtes de Noël. Il y a presque un message subliminal caché dans cette dernière phrase.
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