Si nous avons l'habitude de traiter la plupart du temps de héros dotés de super-pouvoirs, de capes ou de costumes bariolés, il en existe certains parmi eux qui sont beaucoup plus prosaïques et s'inscrivent dans une forme de banalité du quotidien. C'est d'autant plus vrai quand ces héros ont réellement existé et qu'ils ont, durant un certain temps, incarné les rêves, les aspirations, les victoires d'une partie de la société. Marcel Cerdan est de cette trempe. C'est le boxeur qui a fait vibrer la France à la fin des années 1930 et jusqu'au terme des années 1940, lorsque le destin décida d'éteindre la lumière après un tragique accident d'avion. La Seconde Guerre mondiale, donc, est venue entre-temps porter un coup d'arrêt provisoire à la carrière fulgurante de celui qui est né en Algérie, mais a rapidement passé la frontière avec sa famille pour s'installer au Maroc, ou il a pu très tôt pratiquer la boxe. Discipline qui ne recueillait pourtant pas ses faveurs, mais encouragée par un père à la limite du tyrannique ! Le petit Marcel devient vite, à la force des poings, un prodige capable d'aligner les victoires par KO. Lorsque l'Allemagne parvient à occuper la France, il se réfugie de nouveau en Afrique du Nord puis s'inscrit dans la Marine, tout en continuant de boxer de temps en temps, histoire de remonter le moral des troupes, d'infliger des défaites symbolique mais puissantes à l'Allemagne nazie, d'apporter sa contribution au mouvement de résistance. Mais Marcel Cerdan a aussi un objectif : franchir l'Atlantique pour s'en aller boxer aux États-Unis, et après être devenu champion d'Europe, envisager, pourquoi pas, de conquérir la couronne mondiale. Pendant ce temps, il faut bien entendu aussi parler de la vie sentimentale de l'homme qui porte les gants, car c'est un des sujets prégnants de cette bande dessinée très réussie.
Ce que Bertrand Galic démontre parfaitement dans cette bande dessinée, c'est qu'à côté du sportif, il y a aussi un homme. Un homme qui a tendance à se disperser, à aimer plusieurs femmes, de son épouse légitime à celle qui va lui donner la première un enfant, jusqu'à, bien entendu, l'histoire passionnée avec Édith Piaf, qui est probablement une des informations que plus ou moins tout le monde retient aujourd'hui lorsqu'on évoque Marcel Cerdan. L'amitié également, la fidélité envers ses compagnons de toujours, son entraîneur, des valeurs importantes qui ont forgé le caractère du bonhomme. Et la mère de Marcel, refuge important de la jeunesse. On pouvait craindre le pire, c'est-à-dire une sorte de biographie monotone se contentant d'égrainer les temps forts de l'existence du boxeur; il n'en est rien ! Car Galic parvient à imprimer un vrai point de vue à l'histoire, à maintenir un rythme certain d'un bout à l'autre. Il est de plus parfaitement servi par le dessin et la couleur de Jandro, qui ne tente pas d'imiter servilement la réalité, mais présente des portraits qui parviennent à unir une fidélité d'intention évidente avec une vraie réélaboration personnelle, très dynamique. Du coup, nous avons entre les mains quelque chose de vraiment attachant, qui fait revivre une épopée à la fois sportive et humaine. On s'étonnera qu'il s'agit ici du premier ouvrage de ce calibre consacré à une figure aussi importante, dont nous célébrons (façon de parler, disons plutôt nous commémorons) les 75 ans d'une disparition bien trop précoce.
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