S'il est une chose que j'ai compris dès avoir commencé à lire des comic-books, voilà plusieurs décennies de cela (et, oui, au moins 33 ans de cela...), c'est que le sexe, dans nos chères Bd américaines, n'avait pas vraiment droit de contrée. Nos héros bigarrés passent leur temps à sauver le monde, se trucider à coups de poing ou de rayons lasers, mais jamais ils ne prennent de bon temps entre eux, de manière explicite, nonobstant des physiques souvent très agréables, que rehaussent encore d'avantage des costumes moulants et équivoques. La thèse du docteur Wertham, auteur de "The seduction of innocent", et fauteur du comics code qui allait censurer dès lors à tout va, à partir de la golden age, alors que les moeurs de la société poursuivaient une évolution évidente en ce sens, a finalement eu raison de la libido superhéroïque. Feuilletons les séries Marvel ou Dc des années soixante. Que trouve t'on? Peter Parker qui flirte et fréquente la sécrétaire de son patron, Betty Brant, ou la superbe blonde Gwen Stacy. Thor, pourtant un Dieu guerrier, qui se pâme devant Jane Foster, simple infirmière, sans jamais l'effleurer. Idem pour Matt Murdock (Daredevil) face à Karen Page, elle aussi secrétaire (la femme d'alors doit savoir occuper un emploi qui lui sied). Je ne parlerai même pas de Tony Stark ou de Bruce Wayne, miliardaires et play-boys notoires, dont les prouesses au lit sont toujours éludées, vaguement évoquées. Mais jamais au grand jamais Batman ou Iron Man ne prennent leur pied devant le lecteur, qui trop pudique, aurait déjà tourné la page avant que ne débutent les préliminaires.
Il faut attendre les années 80 pour que la situation change très légèrement. Stupeur chez les Vengeurs, sous la houlette de Roger Stern, quand She-Hulk passe une nuit très chaude avec Starfox (Eros, dont le pouvoir de persuasion est bien pratique pour coucher). Chez les Teen Titans de Dc, ce n'est pas mieux : voilà que Marv Wolfman et Georges Perez décident que l'heure est venue pour Robin et Starfire de copuler. Mais attention, l'auteur n'oublie pas de préciser que les deux personnages s'aiment, dans une interview à Amazing Heroes. L'amour. Sans lequel le sexe serait un ignoble péché et le comic-book mériterait de bruler dans la géhenne éternelle de l'édition. Les apparences sont sauves. Les anglais semblent moins puritains, et vont apporter un peu de piquant à la situation. Ainsi Alan Moore va t'il décrire un rapport sexuel sans fard entre Swamp Thing (un monstre de surcroit!) et la belle Abigail. Un double tabou qui tombe, le rêve inavoué de tant de lecteurs des Fantastic Four, qui souhaitaient découvrir la Chose et Alicia Masters sous les draps, tout en se doutant qu'avoir un corps tout en pierre (et donc aussi le sexe) ne devait pas faciliter les moments intimes entre les deux tourteraux. Par la suite Morrisson, Gaiman, Ellis, allaient se charger d'enfoncer le clou, et le sexe allait petit à petit gagner de l'espace, de manière très transgressive sur des labels comme Vertigo, et moins choquantes sur les étiquettes traditionelles. Mais bien présent. Les héros vont pouvoir se marier, divorcer, se reproduire, tromper; une prostituée (Stacy X) va mettre se joindre un temps aux X-Men, après avoir été découverte et sauvée d'une maison close pour mutantes. L'innocence et le déni d'autrefois deviennent de nos jours un des arguments principaux, parfois même le plus important (Voodoo, Catwoman et Red Hood, chez Dc, à l'occasion du reboot, n'hésitent pas à faire dans la surrenchère), et les héroïnes ont toutes des poitrines opulentes et siliconées, à peine masquées sous le spandex. Même Peter Parker a enfin une vie sexuelle, certes cahotique, alors que sa tante se remarie (la même qui faisait un arrêt cardiaque chaque semestre dans les années 60). Il la surprend d'ailleurs au lit avec son nouveau compagnon, une des scènes les plus choquantes et gérontophiles de l'histoire de notre média préféré. A l'heure où le X gratuit foisonne sur le net, refuser de pimenter les comic-books par ce qui est une des pulsions primordiales et indispensables de l'existence n'aurait plus aucun sens. Même l'homo-sexualité commence à être de plus en plus représentée, encore qu'il y ait toujours un retard notable sur le sujet. A quand le coming-out d'un vrai grand héros Marvel ou Dc, à quand une vraie icône gay, et pas seulement un personnage secondaire (Northstar, par exemple) se contentant de jouer la guest-star dans les titres des autres?
Le pire, maintenant, c'est que quand on nous annonce du sexe, du vrai, comme argument de vente, c'est souvent décevant, et en dessous de ce qu'on voit ailleurs et de manière moins explicite. Les temps changent... (par exemple, ici avec "Sexe and Violence")
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!