STRANGERS IN PARADISE : OEUVRE FASCINANTE ET MAJEURE DE TERRY MOORE

La série Strangers in Paradise, de Terry Moore, est un vrai cas d'école. Tout d'abord, si vous pensez trouver là un récit super-héroïque classique, à base de surhommes bourrés de testostérone et dotés de costumes flamboyants, vous pouvez passer votre tour. Ici, vous allez avant tout découvrir deux personnages féminins forts, qui vont vous accompagner durant des heures et des heures de lecture : Katchoo (Katina Choovanski) et Francine. Elles sont unies par des liens très proches, sont plus que de simples amies. En tout les cas, Katchoo ne serait pas contre, elle qui admire/aime Francine, et prétend ne pas être intéressée par les hommes. C'est que malgré les apparences (elle est plutôt belle, intelligente, sûre d'elle même) elle cache des failles, des secrets. Un passé qui n'est pas reluisant.
Francine elle est différente, plus timide, elle s'assume moins. Parfois elle se laisse aller et du coup elle a tendance à prendre du poids, et elle tient moins compte de son aspect. Elle n'est pas seul, et entretient une relation avec Freddie, un gros lourdingue prêt à sauter ce qui vient, ce qui n'est pas sans générer des tensions entre les deux amies, et plonger la copine dans la dépression. Son édication est plus classique, méthodiste, et pour elle être une femme épouse est un but en soi. C'est alors qu'arrive David Qin, le poète et étudiant en arts, plein de charme, qui tombe follement amoureux de Katchoo. Qui rappelons le est supposée ne pas trop aimer les gars. Ou pas?
Le passé trouble (aussi bien au niveau des repères familiaux, que de la période passée en tant que call-girl au service de Darcy Parker, la caïd du crime de la série) de Katchoo est un des moteurs narratifs. Même en fuite, des années plus tard, la belle ne peut échapper à l'ombre qui la poursuit et la menace. D'autant plus que David finit par se révéler pour qui il est vraiment...derrière cette fausse identité se cache le frère de Darcy, alors que Francine fait les frais de l'imbroglio. Sur tous les tons, avec sensibilité et justesse (les scènes d'explications entre les deux amies, et aussi David, quand il s'agit de parler sentiments, de s'avourer les attirances réciproques...) et non sans des moments forts et déchirants (la mort du sida d'Emma, une des amies de Katchoo), Strangers In Paradise vous happe.

Le début de Strangers in Paradise récupère l'héritage des meilleures sitcoms, voire de ce qu'on appelle péjorativement la "chick lit", et s'offre de splendides dialogues pétillants et drôles, mais qui savent aussi acquérir une profondeur insoupçonnée. Les désirs et les peurs, les faiblesses et les doutes des deux amies de cette histoire sont magistralement mis en scène, avec comme point de départ des situations banales de la vie quotidienne, qui finissent par exploser dans tous les sens, pour donner un ovni littéraire dessiné. La partie graphique intègre pour sa part d'autres éléments artistiques comme des tableaux (une des héroïnes est peintre), des poésies, de la musique, et la stratification du discours concerne donc aussi la manière dont il est mis en place, et exposé aux lecteurs. Du coup ça ressemble à une étude de moeurs, ça a le goût d'un polar, ça flirte avec le roman sentimental, mais en fait c'est tout ceci et plus encore.
Moore est capable de donner beaucoup de fluidité et de dynamisme avec ses dessins, tout en allant vers l'essentiel, et en brossant le portrait juste de nombreuses atmosphères variées, du loft à la plage hawaïenne, en passant par un snack ou un musée. On lui attribue une influence Eisnerienne, et le noir et blanc sert intelligemment les sentiments exposés, dans des pages qui alternent le chaud et le froid, et savent surprendre le lecteur pour l'emmener plus loin. Terry Moore brosse probablement un des portraits les plus saisissants d'héroïnes crédibles et terre à terre que les comics nous ont offert au XX° siècle. Pas de pouvoirs, pas de reboot ou de terres parallèles, juste une comédie humaine et toute sa densité, sa complexité.
Alors oui, 40 euros il faut les mettre, mais cette intégrale chez Delcourt est un investissement qualité. 



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