Dans les années 80, les comics ont acquis une aura, une profondeur telle, qu'on a parlé souvent de passage à l'âge adulte. Il faut dire qu'avec des auteurs comme Chris Claremont, Frank Miller ou Alan Moore, les thèmes et les atmosphères abordées ont projeté notre média préféré vers d'autres cieux. Une des grandes évolutions est la frontière entre le bien et le mal qui se brouille toujours plus, jusqu'à induire une confusion entre ces notions, et obtenir des héros immergés dans un quotidien fait de nuances de gris, happés par un désespoir existentiel tragique. A cette époque, Spider-Man était publié sur trois titres, chacun ayant une empreinte artistique différente. Nous avions Amazing Spider-Man, Web of Spider-Man, et The Spectacular Spider-Man, qui puisait globalement ses racines dans le récit policier et urbain. Mais le tisseur allait connaître le sommet du genre grâce à un certain Jean-Marc de Matteis, qui avait déjà donné un bon coup de pied dans la fourmilière, lors de son run sur Captain America, où il affronta courageusement des sujets comme l'homo-sexualité ou le néonazisme en Amérique. C'est lui qui a mis au point cette série en six parties, publiée à travers les trois mensuels de Spider-Man. Avec une réussite incroyable, inoubliable, probablement portée par la scène choc de cette aventure hors-normes, à savoir Peter Parker qui est enterré vivant par son ennemi, Kraven le Chasseur. Au départ, nous assistons à une nouvelle étape dans les affrontements classiques entre ces deux antagonistes, comme nous y sommes habitués depuis l'ère Lee et Ditko (créateurs de Kraven également). Mais la technique employée par le scénariste nous plonge intimement dans la psyché des personnages, grâce à de nombreux monologues et réflexions intérieures, qui permettent de mieux comprendre le raisonnement malade de Kraven, et cette obsession perverse et maladive pour la chasse, et les tourments causés par la présence de Spider-Man. Nous sommes même à la frontière de cette technique que Burroughs employait sous le nom du cut-up (à savoir découper un texte de départ en fragments aléatoires, pour obtenir un nouveau texte). Jusque là le lecteur était habitué à rencontrer Kraven, le criminel, désormais il découvrait Kraven le psychopathe, le fou obsessionnel, dévoré par ses manies et son délire. Effrayant.
Si De Matteis nous offre la vision de Kraven, c'est aussi pour qu'à travers les yeux du Chasseur, nous puissions nous habituer à l'idée malade que le mal, cette fois, c'est bel et bien le héros habituel, à savoir Spider-Man. Les pulsions primordiales de Kraven sont alors mises en avant, comme seule lutte possible contre la déshumanisation des individus, dont l'emblème est ici ce costume arachnéen qui vient narguer son ennemi récurrent. Que l'Araignée devienne le symbole du mal est évident à travers une poésie de William Blake, ici modifiée (Spider à la place de Tiger), qui revient dans la narration. Pour en venir à bout, la victoire n'est pas assez, il faut que la folie, la perversion la plus complète, gagne cette proie à terre. Peter Parker est poussé dans ses derniers retranchements comme jamais, à la limite de perdre définitivement la tête. Il est drogué, enterré vivant! De quoi provoquer un traumatisme durable, qui ne s'estompera que difficilement, après bien du temps. Une victoire écrasante, définitive pour Kraven, comme un accomplissement final, qui vide le Chasseur de ces stimuli lui permettant de vivre ,d'aller de l'avant. Sans but à atteindre, celui qui a triomphé de Spider-Man ne savoure pas sa victoire, mais prend une tragique décision, très controversée, qui allait achever de faire se lever des hordes de lecteurs choqués aux States, lors de la première parution. Plus tard, nous aurons droit à Soul of the Hunter, une sorte d'épilogue de cette incroyable saga, durant laquelle De Matteis semble vouloir répondre aux critiques de la première heure. Spidey et Kraven combattent à nouveau, cette fois sur un plan spirituel et métaphysique, et ce n'est plus le corps, la victoire matérielle, mais le repos de l'âme qui est en jeu. Une conclusion bouleversante et irréelle qui là aussi consacre le scénariste comme un des auteurs majeurs de la Bd américaine dès lors qu'elle se fixe pour objectif d'aller creuser au fond de notre humanité, pour en tirer les éléments qui nous caractérisent en tant qu'humains, justement. Le dessin de La dernière chasse de Kraven est lui de Mike Zeck, encré à la perfection par Bob McLeod. Son Spider-Man en costume noir est puissant, doté d'une aura effrayante et mystique. Kraven joue tout sur la puissance, le regard hypnotique dévoré par la fièvre de la folie, la musculature en avant, parfois évoquant vaguement une tension homo-érotique qui reste sous-jacente dans cette oeuvre. Il s'agit d'un chef d'oeuvre total, absolu. Une des aventures les plus fortes et les plus choquantes de toute la carrière de Spider-Man. Dommage que Kraven n'ait pas achevé définitivement sa carrière sur ce bijou, et que la règle chez Marvel que personne ne meurt jamais vraiment pour toujours finisse par entacher de si beaux récits.
Publié par Panini en 2012 dans la collection Marvel Gold.
Si De Matteis nous offre la vision de Kraven, c'est aussi pour qu'à travers les yeux du Chasseur, nous puissions nous habituer à l'idée malade que le mal, cette fois, c'est bel et bien le héros habituel, à savoir Spider-Man. Les pulsions primordiales de Kraven sont alors mises en avant, comme seule lutte possible contre la déshumanisation des individus, dont l'emblème est ici ce costume arachnéen qui vient narguer son ennemi récurrent. Que l'Araignée devienne le symbole du mal est évident à travers une poésie de William Blake, ici modifiée (Spider à la place de Tiger), qui revient dans la narration. Pour en venir à bout, la victoire n'est pas assez, il faut que la folie, la perversion la plus complète, gagne cette proie à terre. Peter Parker est poussé dans ses derniers retranchements comme jamais, à la limite de perdre définitivement la tête. Il est drogué, enterré vivant! De quoi provoquer un traumatisme durable, qui ne s'estompera que difficilement, après bien du temps. Une victoire écrasante, définitive pour Kraven, comme un accomplissement final, qui vide le Chasseur de ces stimuli lui permettant de vivre ,d'aller de l'avant. Sans but à atteindre, celui qui a triomphé de Spider-Man ne savoure pas sa victoire, mais prend une tragique décision, très controversée, qui allait achever de faire se lever des hordes de lecteurs choqués aux States, lors de la première parution. Plus tard, nous aurons droit à Soul of the Hunter, une sorte d'épilogue de cette incroyable saga, durant laquelle De Matteis semble vouloir répondre aux critiques de la première heure. Spidey et Kraven combattent à nouveau, cette fois sur un plan spirituel et métaphysique, et ce n'est plus le corps, la victoire matérielle, mais le repos de l'âme qui est en jeu. Une conclusion bouleversante et irréelle qui là aussi consacre le scénariste comme un des auteurs majeurs de la Bd américaine dès lors qu'elle se fixe pour objectif d'aller creuser au fond de notre humanité, pour en tirer les éléments qui nous caractérisent en tant qu'humains, justement. Le dessin de La dernière chasse de Kraven est lui de Mike Zeck, encré à la perfection par Bob McLeod. Son Spider-Man en costume noir est puissant, doté d'une aura effrayante et mystique. Kraven joue tout sur la puissance, le regard hypnotique dévoré par la fièvre de la folie, la musculature en avant, parfois évoquant vaguement une tension homo-érotique qui reste sous-jacente dans cette oeuvre. Il s'agit d'un chef d'oeuvre total, absolu. Une des aventures les plus fortes et les plus choquantes de toute la carrière de Spider-Man. Dommage que Kraven n'ait pas achevé définitivement sa carrière sur ce bijou, et que la règle chez Marvel que personne ne meurt jamais vraiment pour toujours finisse par entacher de si beaux récits.
Publié par Panini en 2012 dans la collection Marvel Gold.
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