Adapter un tel monument comme WATCHMEN ne fut pas une mince affaire. Avant Zach Snyder, bien d’autres ( dont Aronofsky ) s’y sont cassé les dents, ou ont du renoncer. Trop complexe, trop périlleux: que de méfiance vis-à-vis de cette Bd unanimement saluée comme une des meilleurs du genre, toutes époques confondues ( et là je confirme : indispensable ! ). Au final, le réalisateur a choisi une approche respectueuse, scrupuleuse, il porte donc le comic-book à l’écran en en suivant quasiment pas à pas les planches et les cases, en y reproduisant du mieux que faire se peut jusqu’aux dialogues. Il est vrai que le génie d’Alan Moore, créateur de cette histoire à tiroirs et à coulisses, avait tracé une voie, un mécanisme, qu’il aurait été suicidaire et orgueilleux de réorchestrer. Nous revoici donc plongés en 1985 dans un monde bipolaire, à l’acmé de la guerre froide, en attente d’un holocauste nucléaire qui ne saurait tarder ( la fameuse horloge de l’apocalypse, qui rythme le film, annonce cinq minutes avant l’imminente catastrophe ). Foin de bataille entre super héros bodybuildés et autres tarlouzes masquées, les Watchmen sont de vieux reliques de l’époque héroïque où de simples citoyens ( un peu plus entrainés, un peu plus riches, un peu plus dérangés du ciboulot ) endossant un costume et un masque pour le triomphe de l’ordre et de la justice. Mais de quel ordre, quelle justice ? Le pouvoir ne corrompt-il pas ? Et si tout ceci n’était qu’une farce ( ce que ne cesse de répéter le personnage du Comédien, anti Captain America par excellence ) ?
Watchmen est un roman graphique paru en 1986, imaginé par Alan Moore et dessiné par Dave Gibbons. C'est une uchronie, ce genre qui réécrit l'histoire à partir d'un événement modifié arbitrairement. Ici, l'action se déroule en 1985, les USA ont gagné la guerre du Vietnam, Nixon entame un cinquième mandat et le monde est à deux doigts de la guerre atomique, à cinq minutes de minuit sur l'horloge de l'apocalypse. Comment en est-on arrivé là ? Pour faire bref, disons que dans les années 30, des individus plus ou moins anonymes ont enfilé capes et moule-burnes pour faire régner l'ordre. Plusieurs générations se sont passées le relai. Parmi ces autoproclamés super-héros, le Dr. Manhattan, comme le projet du même nom, un géant bleu mélancolique, le seul à posséder des super-pouvoirs (et lesquels : il maîtrise la matière à l'échelle moléculaire, voit le passé et l'avenir, et voyage sur Mars,peut même se dédoubler à l’infini). C'est ce surhomme, quasi divin, qui a gagné la guerre du Vietnam à lui tout seul, c'est l'arme absolue.Les Watchmen, eux, ont été déclaré hors la loi, parce que la foule demandait des comptes sur leurs agissements ; reprenant à son compte une célèbre citation de Juvénal, le peuple réclamait une réponse à cette éternelle question : « who watches the Watchmen ? ».
Rarement une telle adéquation parfaite entre personnage de papier et être de chair à l’écran ne fut si évidente. Extraordinaire incarnation que ce Rorschach/Jackie Earle Haley, en équilibre précaire entre psychopathe et redresseur de torts inflexible. Chacune de ses mimiques, chacune de ses apparitions, est un pur plaisir. Son masque à tâches mouvantes le rend effrayant, attirant. Superbe aussi ce « Hibou », Patrick Wilson, un peu dépassé, en panne sexuelle au moment propice ( avec l’allumeuse Silk Spectre ) et qui se regimbe uniquement à la vue des costumes de latex et des bottes fétichistes de sa collègue. Le mythe du super type tout puissant en sort écorné, et la fin du film, qui prend quelques largeurs, pour une fois, avec l’œuvre originale, conserve toutefois sa portée philosophique : la fin justifie t’elle les moyens, un mensonge aussi sanglant soit-il, peut il être excusé pour des raison d’état, pour éviter une catastrophe pire encore ? Au final, une œuvre plastiquement très réussie, exigeante et à multiples niveaux d’interprétations, trop intelligentes et rusée pour séduire l’ensemble de son public, mais qui pourrait bien marquer, à jamais, un « avant » et un « après » dans l’histoire des films du genre.
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