LES AVENGERS DE JONATHAN HICKMAN EN OMNIBUS


 Avec son travail sur Avengers et New Avengers, Jonathan Hickman a redéfini le concept-même de nos bons vieux Vengeurs, transformant un groupe de super-héros en un instrument narratif d’une ambition rarement atteinte dans les comics mainstream. À partir de 2012, il orchestre une véritable saga en deux volets parallèles, publiés en alternance, qui ne cesseront de converger vers un même point de rupture : la fin du multivers. De tout, en fait. Deux séries mensuelles. Deux récits jumeaux. Et une seule vision d’auteur. Tout commence avec Avengers (vol. 5, il faut suivre), qui s’ouvre sur une volonté de grandeur. Tony Stark et Steve Rogers décident de faire passer les Avengers dans la division supérieure . Leur modèle ? La planète. L’équipe s’agrandit massivement, elle accueille alors aussi bien des figures connues que des recrues inédites. Le cast prend un sacré coup de fouet par là-même ! L’idée est de pouvoir faire face à toutes les menaces, y compris celles qui dépassent la simple Terre. D’emblée, Hickman pose les bases d’un conflit cosmique avec l’arrivée d’Ex Nihilo et d’Abyss, deux êtres venus du lointain système d’Alpha Centauri pour… remodeler la Terre à leur façon. Très vite, on comprend que ce n’est que le premier coup de semonce. La Terre, la nôtre, est spéciale. Et ce n’est pas une bonne nouvelle. En parallèle, dans New Avengers, Hickman délaisse l’héroïsme expansif pour se concentrer sur une tension sourde, presque claustrophobe. Ce sont les Illuminati qui occupent la scène, cette bande de petits cachotiers : Black Panther, Iron Man, Mister Fantastic, Namor, Docteur Strange, Flèche Noire et le Fauve. Ensemble, ils découvrent le phénomène des incursions : deux univers entrent en collision, et l’un des deux doit périr pour que l’autre survive. Le point d’impact est toujours le même : la Terre, chez nous. Le dilemme moral devient vite insoutenable. Détruire une planète, tuer des milliards pour sauver son propre monde ? Ou ne rien faire, et périr avec dignité ? Là où Avengers bâtit un empire de lumière, New Avengers creuse dans l’ombre. La construction est d’une rare intelligence : à mesure que l’équipe principale explore le renouveau cosmique (l’avènement des systèmes, la carte des Bâtisseurs, l’éveil de la Terre comme acteur cosmique), les Illuminati s’enfoncent dans des choix de plus en plus sombres. Le miroir est parfait. Les mêmes héros, deux visions irréconciliables. Il faut se salir les mains, à un moment donné.




Hickman ne ménage pas son lecteur. Il construit une fresque. À la manière d’un puzzle géant, chaque numéro ajoute une pièce au vaste échiquier qu’il déploie : l’univers est une machine, la Terre un point d’ancrage, et les Avengers des rouages dans un engrenage cosmique qui les dépasse. Et puis tout s’accélère avec le crossover Infinity. Dans le plus profond de l'espace la situation dégénère avec l'avancée inexorable de la race des Bâtisseurs qui envahissent et remodèlent tous les mondes qu'ils rencontrent. Accessoirement ils peuvent aussi les détruire. Sur Terre, c'est de Thanos dont il faut se méfier. Le Titan Fou a décidé d'écumer le cosmos à la recherche de tous les enfants illégitimes qu'il y a semé. Sur notre planète son rejeton vit caché au beau milieu d'une cité inhumaine secrète, mais avec les bonnes armes et un peu de persuasion on finit toujours par obtenir les renseignements les plus précieux. Thanos a su s'entourer d'un équipage aussi cruel que lugubre avec des créatures véritablement antipathiques et repoussantes, comme Proxima Minuit, Corvus Glaive ou Mâchoire d'ébène (dont le nom est tout un programme). Et dans les étoiles c'est la déroute, la débandade. Les Avengers pensaient avoir du pain sur la planche mais ils vont au devant d'une cuisante catastrophe et ils accumulent revers sur revers, devant ainsi se rendre à l'évidence : dans un conflit de cette ampleur avec de tels enjeux, les pertes humaines sont à prévoir, et il faudra un sacré talent de stratège pour trouver la faille et changer le cours d'une guerre inexorable. Infinity c’est aussi le premier point d’orgue de tout le travail du scénariste, depuis son arrivée sur la franchise des Avengers. La suite est encore plus dingue puisque son véritable objectif est de déconstruire le Marvel Universe avec Time runs out et Secret Wars (la suite au prochain omnibus, le second est programmé en décembre). La liste des artistes qui illustrent ces pages d'anthologie est longue et comprend des noms qui forcent le respect, comme Jerome Opena, Jim Cheung, Mike Deodato, Steve Epting, Stefano Caselli, Leinil Yu, ou encore Dustin Weaver. L'achat n'est pas recommandé, il est, pour ceux qui n'ont pas ces épisodes dans leur bibliothèque, simplement obligatoire. 



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA LONGUE ROUTE


 Dans le 201e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La longue route, adaptation de l’ouvrage de Bernard Moitessier par le scénario de Stéphane Melchior et le dessin de Younn Locard, un ouvrage publié chez Gallimard. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Manouche manouche que l’on doit à Johann G. Louis ainsi qu’aux éditions Dargaud


- La sortie de Rédemption, le cinquième titre de la série Wild west, un western que l’on doit au scénario de Thierry Gloris, au dessin de Jacques Lamontagne et c’est publié aux éditions Dupuis


- La sortie de l’album Méditerranée que l’on doit à Aurel, un titre publié aux éditions Futuropolis


- La sortie de Septembre 59, le premier tome de la série Les gorilles du général, un titre que l’on doit au scénario de Xavier Dorison, au dessin de Julien Telo et c’est publié aux éditions Casterman


- La sortie de l’album Après l’orage que l’on doit à Jean Cremers ainsi qu’aux éditions du Lombard


- La réédition au grand format avec bonus du second volet des aventures de Blacksad, un titre baptisé Arctic nation que nous devons au scénario de Juan Díaz Canales, au dessin de Juanjo Guarnido et c’est publié chez Dargaud.



 

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JOUR J (ÉDITION SPÉCIALE) : LOS ALAMOS

 

Tout est une question de point de vue : on peut voir en Robert Oppenheimer un génie scientifique ayant contribué à mettre fin à la Seconde Guerre mondiale, ou au contraire, un esprit torturé ayant ouvert la voie à la course à l’armement nucléaire, précipitant ainsi le monde au bord du gouffre. Oppenheimer divise, encore aujourd’hui. Dans cet album spécial de la collection Jour J, on le retrouve au Nouveau-Mexique, quelques jours avant le fameux test Trinity, celui-là même qui scellera le sort du monde pour les décennies à venir. Avant qu’Hiroshima et Nagasaki ne soient pulvérisées, il faut d’abord qu’un engin expérimental fonctionne en plein désert. Et sans Oppenheimer — sans son savoir, sans sa capacité à résoudre les derniers calculs cruciaux — la réussite de l’opération semble quasiment impossible. Mais imaginons, même un instant, ce qui se serait passé si, à la dernière minute, le physicien avait pris la fuite. S’il avait sauté dans une voiture, sans prévenir personne, et s’était évaporé sur les routes poussiéreuses pour vivre une étrange odyssée, quelque part entre le vagabondage existentiel et la métaphysique. Une errance au cours de laquelle il croise, par un hasard improbable, un certain Jack Kerouac — oui, ce Kerouac, figure tutélaire de la beat generation, esprit libre tout juste déserteur de la Navy, et qui va se prendre d’affection pour Oppenheimer, au point de décider de l’aider à fuir les militaires qui le recherchent frénétiquement. Entre les deux hommes naît une complicité inattendue. C’est cette histoire que nous raconte Los Alamos, édition spéciale de la collection Jour J, publiée chez Delcourt. Au départ, il s’agissait des tomes 32 et 33 de la scollection, parus en 2019 ; les voici réunis dans un seul volume, enrichi d’un cahier rédactionnel à visée historique.



On a ici affaire à une brillante uchronie : et si l’homme qui portait sur ses épaules la responsabilité d’un cataclysme atomique décidait, à l’instant décisif, de ne pas aller jusqu’au bout ? S’il trouvait dans l’anarchie douce et la liberté radicale de ses nouveaux compagnons un moyen d’échapper à son destin ? Mais les auteurs ne s’arrêtent pas à cette simple parenthèse romanesque : Oppenheimer ne reviendra pas sagement à la base pour valider le test et changer le monde. Non, l’album pousse l’idée jusqu’au bout, en y injectant du suspense, des espions du KGB bien décidés à mettre la main sur le scientifique, le célèbre Eliott Ness ou encore William Burroughs, et toute une reconfiguration de l’histoire du XXe siècle qui, par ricochet, bouleverse aussi celle de l’humanité. Signé par Fred Duval et Jean-Pierre Pécau au scénario, Los Alamos est mis en images par Denys, dont le trait réaliste et très classique assure une lecture fluide et plaisante. Ce qui commence comme une biographie apocryphe se mue peu à peu en réflexion subtile, maligne, sur le pouvoir, la conscience, la fuite et les fractures de notre époque. Si vous n'aviez pas pu lire cette bande dessinée lors de sa publication initiale, vous avez ainsi une seconde chance à saisir, complément idéal et poétique du film de Christopher Nolan, sorti en 2023.


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WONDER WOMAN HORS-LA-LOI TOME 3 : FURIE !


 Wonder Woman : Hors-la-loi, Tome 3, signé Tom King, nous rappelle avec éclat une vérité fondamentale : rien ni personne ne peut briser Diana. Peu importent les moyens déployés — coercition physique, isolement sensoriel, emprisonnement dans des cellules ultra-sécurisées —, la princesse amazone ne plie pas. Elle endure, elle transcende, et finit toujours par ressortir plus forte encore. Dans ce troisième tome, c’est le Souverain — héritier d’une dynastie occulte qui tire les ficelles de l’Amérique en coulisses depuis des générations — qui fait les frais de cette résilience quasi divine. Car Wonder Woman n’est pas qu’une héroïne de plus dans le panthéon DC : elle est une déesse incarnée, animée d’une compassion inébranlable, capable de défier n’importe quelle puissance, institutionnelle ou militaire. Alors, comment l’atteindre ? Comment espérer la faire vaciller ? Le stratagème est brutal : frapper là où ça fait mal. Assassiner Steve Trevor, son amour de toujours. Utiliser l’homme pour tenter de briser la femme, d’extirper la guerrière de sa dignité en l’amenant à céder à la rage, à la peur, à la vengeance. Mais là encore, l’entreprise échoue. Car si Wonder Woman vacille, elle ne s’effondre pas. Oui, elle souffre, elle traverse le chagrin, tente même de revoir Steve une dernière fois… jusque dans les Enfers. Et pourtant, derrière la peine, il y a la stratégie. Car Diana n’est pas seule. Avec l’aide de Chimp, le détective chimpanzé et d’un réseau de super-amis solidaires (tel que Clark Kent), elle orchestre un plan d’une précision chirurgicale, destiné à démanteler l’empire du Souverain pièce par pièce. On ne combat plus seulement un homme, mais tout un système. Ses avoirs, ses relations, son quotidien : tout est visé jusqu’à l’anéantissement.



Et n’oublions pas que Wonder Woman n’est pas seule. À ses côtés, trois jeunes héroïnes perpétuent la légende, et il faudrait aussi parler de sa propre fille, celle qu’on appelle Trinity. Le récit que nous découvrons est d’ailleurs tout entier construit en flashback : il part d’un point situé dans le futur, où le souverain déchu raconte cette sombre aventure à la fille de Wonder Woman. Contrairement aux récentes déclarations de Xavier Dorison dans Le Monde, où il exprimait sa déception face à la dérive autoritaire des super-héros américains devenus, selon lui, des figures aux accents fascisants, Tom King prend ici le contre-pied exact. Rien, absolument rien, dans Wonder Woman : Hors-la-loi ne relève de cette vision caricaturale. Bien au contraire, c’est une véritable leçon de tempérance, mais aussi une démonstration de force intérieure, de lucidité morale, et de résistance face à l’oppression venue des plus hautes sphères du pouvoir. À cela s’ajoute l’apport visuel exceptionnel de Daniel Sampere, dont les planches impressionnent par leur réalisme et leur puissance évocatrice. Son trait, précis et inspiré, donne vie à une Wonder Woman telle qu’on l’attend : lumineuse, imposante, jamais caricaturale, toujours juste, autant dans sa présence que dans ses émotions. Hors-la-loi s’impose donc comme une série à suivre de très près. On y lit, en filigrane, une réflexion profonde sur la liberté, la responsabilité politique, et l’éthique du pouvoir. Plus que jamais, si vous ne l’avez pas encore fait, il est temps de vous y plonger.



Pour en savoir plus :

Tome 1

Tome 2


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UNIVERSCOMICS LE MAG' 53 de JUIN 2025 : ABSOLUTE UNIVERSE

 


UniversComics Le Mag' 53

Juin 2025


Obtenez votre copie : PDF à votre disposition (allez sur le lecteur en bas de cet article et cliquez sur la petite flèche qui indique le bas), ou lecture en ligne ici 

https://madmagz.app/fr/viewer/681a4652bc3ee900149066cb


ABSOLUTE UNIVERS 

* L'Absolute universe chez Urban Comics avec Absolute #batman Absolute #wonderwoman et Absolute #superman 

* Comics VO : One world under doom, Superman Unlimited et les Avengers West Coast.

* Le cahier critique avec les nouveautés dispos chez Urban Comics, Panini Comics France Delirium Uppercut Éditions Éditions Dupuis Delcourt Comics 

* Hommage à #ButchGuice 

* Le meilleur de la #BD avec le podcast #lebulleur 

* #Sentry arrive sur grand écran et Panini vous le ressert sur un plateau

* Preview de #punisher red band (septembre)


Merci XXL à notre Absolute graphiste #benjamincarret 

Le Mag' est un mensuel comics/BD qui vous est offert par passion. Purement amateur et bénévole, mais un outil toujours plus soigné et nous l'espérons, pertinent. Auteurs, éditeurs, lecteurs, contactez-nous !

Merci pour tous vos partages et vos réactions ! 



MI-MOUCHE (PREMIER ROUND) : TU VEUX TE BATTRE ?


 Ce qui rend un personnage rapidement inoubliable et attachant, ce ne sont pas forcément ses compétences extraordinaires, ses super-pouvoirs ou sa facilité à faire les choses et à trouver sa place. Non, c’est bien plus souvent une faille, des défauts, des difficultés dans la vie quotidienne — autant d’éléments qui permettent au lecteur de se reconnaître, ou du moins de s’intéresser à ce genre de profil. Et la petite Colette, héroïne de Mi-Mouche, a décidément connu une vie assez difficile jusque-là. Tout commence par un accident de voiture dans lequel sa sœur Lison trouve une fin tragique. La mère non plus ne sort pas indemne de la catastrophe : elle y perd un bras… et une fille. Depuis, Colette est surprotégée. Elle fait tout ce qu’elle peut pour plaire à sa maman, quitte à s’effacer peu à peu derrière les attentes qu’on projette sur elle, les rêves qu’on construit pour elle — et qui ne sont peut-être pas les siens. Prenons la danse, par exemple. C’était aussi une des passions de Lison, avant l’accident. Colette comprend bien qu’on attend d’elle qu’elle prenne le relais, qu’elle s’affirme dans cette discipline. Oui, mais voilà : en réalité, elle n’est pas plus intéressée que cela. Et les choses prennent une tournure inattendue le jour où, à la suite d’un concours de circonstances assez improbable, elle se retrouve avec son meilleur ami Elias dans un bâtiment qui abrite une salle de boxe. Là, elle découvre des jeunes de son âge en train de s’affronter. Mais il ne s’agit pas de défouler une violence brute : au contraire, tout ici est affaire de canalisation, de transformation — on parle d’un sport, voire d’un art. Colette, aussitôt, sent qu’il se passe quelque chose. Elle est fascinée.



Mais attention : comme le nom de cette bande dessinée le laisse entendre, Colette est loin d’avoir le physique de l’emploi. Elle est toute petite, frêle, avec une silhouette juvénile, et subit régulièrement des brimades, voire du harcèlement à l’école. Et puis… la boxe ? Ce n’est pas exactement la discipline rêvée pour une mère qui couve son enfant comme une perle rare. Alors oui, il y a un peu de Billy Elliot dans cette bande dessinée, mais qui aurait définitivement décidé de troquer ses chaussons de danse pour enfiler des gants de boxe et monter sur le ring. Colette a droit à un premier cours gratuit et c'est le coup de foudre ! C'est alors que commence toute une série de quiproquos, ou comment cacher à sa mère le sport qu'elle a choisi, sachant que pour s'entraîner, il va falloir trouver des stratagèmes fort habiles, ne serait-ce que parce que se construire un punching-ball dans une chambre à coucher, ça n'est pas simple. La dessinatrice Carole Maurel livre une excellente prestation, avec un trait réaliste et touchant, et cette excellente représentation d'un personnage qui n'existe pas vraiment, une sorte d'ombre qui plane et permet à la petite Lison de s'affirmer, de devenir vraiment qui elle souhaite être, de dépasser les peurs, les doutes, pour enfin sortir de la case qu'on lui impose, c'est-à-dire la sœur de substitution, remplacer celle qui n'est plus là et qui sur tous les points était différente. Bref, c'est touchant particulièrement bien écrit par Véro Cazot. Tout, des rapports entre la mère et la fille, la fille et ses amis, sans oublier le milieu scolaire (harcèlement) et le sentiment de solitude, forme un cocktail savoureux et nous sommes bien disposés à nous resservir le plus rapidement possible, à l'occasion d'un futur tome 2 !



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STATIC : MATT LESNIEWSKI DE RETOUR CHEZ DELIRIUM


Parfois, on découvre des artistes qui vous balancent un monde à la figure, comme on jette une brique dans une vitrine lors d'une manif' pour les retraites. Matt Lesniewski, fait partie de cette catégorie de trublions. Vous l'avez peut-être découvert (et apprécié) dans Crimson Flower, son précédent album édité par Delirium, vous allez le retrouvez avec une œuvre encore plus aboutie et nécessaire.  Static s’ouvre donc sur un certain Emmett Stone vautré dans sa cuisine, dans un état qu'il est possible de qualifier de pitoyable, entouré de mégots, de cadavres de bouteilles et de regrets. On est loin du glamour. On est dans l’hyperréalisme sale, presque pathologique, où chaque case semble suinter la détresse. Et c’est là qu’on comprend : Lesniewski ne dessine pas seulement, il décape, récure, plonge les pinceaux dans le cambouis, pour faire du sale, et le pire c'est que c'est beau. L’histoire, dans tout ça? Emmett est un type fracassé par la vie et la came, endetté jusqu’aux globules face à des créanciers qui ont manifestement passé pas mal de temps dans une salle de muscu. Pour s’en sortir, il accepte un job totalement imprévisible pour vous et moi : braconner des créatures mutantes pour un savant fou digne d’un cauchemar bio-punk, une sorte de dingo émule du docteur Frankenstein. Le récit s’élance alors comme un dragster sous amphétamines, enchaînent les scènes d’action furieuses, les créatures grotesques, et les pauses-cafés mélancoliques. Car oui, Lesniewski sait ralentir. Mieux : il sait se taire. Certaines planches sont muettes, suspendues, et dans ce silence, Emmett fume, comate, se ressaisit. Dans le genre dépressif, ça a son charme, indéniablement. Graphiquement, c’est un cas d’école. Les personnages sont bodybuildés jusqu’à l’absurde, parcourus de veines hypertrophiées qui ressemblent à des racines de baobab ou des câbles qui nervurent les membres, sous la peau. Les bâtiments s’effritent, les rochers mutent, et les rues dégoulinent de textures inquiétantes. Les cases, elles, explosent le gaufrier classique pour n'en faire qu'à leur tête, et de toute manière, le lecteur est plongé si profondément dans un univers dérangé qu'il n'est plus à ce détail près. Static est dingue, faut juste l'accepter. 



Au milieu de cette crasse et de ce délire, il y a Emmett, donc. Emmett et son cœur, ses failles, son besoin de rédemption. On ne sait pas trop s’il va s’en sortir — ni s’il le mérite — mais il essaie. Et ça suffit à créer de l’empathie. Le gars a véritablement perdu le contrôle de son existence et ça ne concerne pas que sa petite personne, mais aussi sa famille : il est séparé de sa femme et ne peut plus avoir accès à son petit garçon. Pire encore, ces derniers sont menacés par les mafieux qui entendent récupérer l'argent qu'ils ont prêté au pauvre bougre, et qu'il a dépensé sans compter pour se procurer les substances illicites auxquelles il est clairement dépendant. Alors, on peut aussi voir dans Static l'histoire d'un homme pris au piège, englué dans un quotidien comme une mouche préhistorique dans l'ambre, qui tente absolument de se relever, de repartir du bon pied, en tous les cas de se donner une autre possibilité de vivre. C'est d'ailleurs quelque chose qui va se produire de la plus inattendue des manières, aussi baroque que terrifiante, au point qu'on se surprend, lorsqu'arrive le moment de se quitter à la dernière planche, à hésiter entre espoir sincère et résignation la plus totale, devant ce parcours absolument inédit, qui ne peut pas laisser indifférent. Static, c’est donc tout ça : un roman graphique moite et mutant, tout sauf une lecture confortable et consensuelle. C’est un uppercut visuel doublé d’un récit tendu qui parle d’addiction, de dette, de survie, avec un poil de tendresse dans la balance, quand même, parce que Matt Lesniewski, dans le fond, doit être quelqu'un de gentil. Côté couleurs, Carlos Badilla ne fait pas dans la dentelle : bleus maladifs, ocres crayeux pour les intérieurs puis les extérieurs. L’ensemble est parfaitement dosé, homogène, presque organique. C'est bancal à première vue, c'est même repoussant quand on jette un œil distrait, mais c'est jouissif quand on s'y arrête vraiment, et qu'on donne une chance, une vraie, à cette bande dessinée foutraquement géniale. Chez Delirium, ça va de soi. 

Sortie cette semaine

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LES AVENGERS DE JONATHAN HICKMAN EN OMNIBUS

 Avec son travail sur Avengers et New Avengers , Jonathan Hickman a redéfini le concept-même de nos bons vieux Vengeurs, transformant un gro...